Face à la Russie, 8 priorités pour les armées européennes - Par Guerric Poncet

Armement, renseignement, nucléaire, technologie… Sans l’appui des Américains, « le basculement de nos forces vers l’est nécessite de revoir le modèle des armées », prévient un rapport.


Mars 2017, à Madama, une base avancée française dans le Sahara nigérien. Avec ses 150 soldats, le capitaine Alban contrôle 50 000 kilomètres carrés. Dans le ciel rugit un des six Mirage 2000 qui couvrent une superficie équivalente à celle de l'Union européenne. « Ici, nous sommes des pions insubmersibles : nous pouvons subir une embuscade, mais pas perdre la guerre », glissait un officier sur place. Voilà ce à quoi les militaires français étaient habitués. Mais le désengagement d'Ukraine lancé par les États-Unis est un retournement géostratégique majeur.

L'Agence européenne d'innovation de rupture (Jedi) a publié, jeudi 13 mars, son rapport « Make European Defense Great » qui demande aux dirigeants européens d'« arrêter de se faire des illusions sur la situation actuelle », de « faire des économies massives en réduisant drastiquement la complexité » des processus, de « mener des transformations radicales » et de préparer l'avenir en façonnant des « ruptures technologiques ».
« Les Européens doivent passer d'une phase de conflits asymétriques contre des acteurs non étatiques ou de petits États à une ère de conflit potentiel avec des adversaires de même puissance », explique Antonio Calcara, directeur du programme géopolitique et technologies à la Vrije Universiteit de Bruxelles.

« Les États-Unis ont des intérêts de plus en plus divergents de ceux de l'Europe et souhaitent se concentrer sur l'Asie. Donald Trump n'est que la manifestation la plus explicite de cette tendance, qui a commencé avant lui », déchiffre Alexandre Massaux, chercheur associé à l'observatoire des États-Unis de l'Université du Québec à Montréal.
Il faut reconstruire les armées européennes, et vite. « Pour la France, comme pour l'Europe, l'avenir va se jouer dans les six à vingt-quatre mois, et cela va déterminer notre rang pour la prochaine décennie », abonde Kévin Martin, expert en défense à la Fondation pour la recherche stratégique.

Selon lui, « le basculement de nos forces vers l'est nécessite de revoir totalement le modèle des armées ». À partir d'une force expéditionnaire dotée d'une poignée d'équipements high-tech, il faut rebâtir une armée de masse taillée pour la haute intensité, c'est-à-dire capable d'encaisser des pertes et de se régénérer. Les spécialistes que nous avons interrogés ont identifié huit priorités.

  1. Refaire le stock de munitions
  2. Équiper tous les soldats
  3. Généraliser les petits drones
  4. Redévelopper des compétences perdues
  5. Geler certains programmes
  6. Muscler le renseignement
  7. Réduire notre cybervulnérabilité
  8. Permettre le déploiement de renforts