L’immigration divise l’Occident : un nouvel accord transatlantique peut-il sauver la relation ? - Par Henrik Werenskiold

Un nouveau consensus transatlantique sur la réforme des politiques d’immigration, d’asile et de liberté d’expression pourrait être la clé pour unir l’Europe et les États-Unis face aux défis modernes. C’est ainsi que l’on pourrait poser les bases d’une nouvelle alliance transatlantique revitalisée.

Il est temps de sortir des sentiers battus concernant la relation entre l’Europe et les États-Unis. Étant donné les derniers événements, il est évident que le statu quo géopolitique transatlantique d’hier et d’aujourd’hui n’est plus tenable. Il faut donc innover pour préserver une relation qui a été la pierre angulaire du système international relativement stable conçu après la Seconde Guerre mondiale – avant que des contradictions diamétralement opposées entre les États-Unis et l’Europe ne le fassent s’effondrer sous son propre poids.


L’inquiétude américaine

La droite américaine observe avec inquiétude l’évolution de l’Europe, notamment en ce qui concerne l’immigration de masse et la restriction grandissante de la liberté d’expression au nom de la tolérance et du multiculturalisme. Beaucoup d’Américains craignent que l’Ancien Continent ne devienne méconnaissable – et qu’il ne puisse plus être un partenaire géopolitique crédible pour les États-Unis dans les décennies à venir. Des personnalités éminentes du mouvement MAGA l’ont d’ailleurs laissé entendre à plusieurs reprises.

Malgré ce qu’affirment les radicaux de gauche, ce point de vue n’est plus vraiment controversé chez la plupart des Européens. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : non seulement les partis critiques à l’égard de l’immigration gagnent du terrain élection après élection, mais, sondage après sondage, on constate que les citoyens européens partagent ces inquiétudes au sujet de l’immigration de masse. Il est également logique de penser qu’une majorité de la population européenne ressent la même angoisse face à une liberté d’expression toujours plus restreinte, et il est évident que ces deux défis sont liés.

Il doit aussi être clair aujourd’hui qu’une immigration de masse incontrôlée fragilise nos sociétés de l’intérieur et constitue une menace potentielle pour l’Europe. Non seulement en raison des énormes difficultés sociales et des coûts considérables qu’implique le dogme politique actuel en matière d’immigration, mais aussi parce que cela peut miner la coopération transatlantique jusqu’à risquer une rupture définitive.

C’est un sujet si sensible et brûlant que les dirigeants et les voix influentes en Europe hésitent à l’aborder, mais il faut s’y atteler avant qu’il ne soit trop tard. Pour les responsables politiques courageux et prêts à trouver des solutions, il existe peut-être une triple occasion : négocier un nouveau consensus transatlantique sur les questions de migration, de droit d’asile et de liberté d’expression avec les États-Unis.

L’administration Trump a été on ne peut plus claire : l’immigration de masse en Europe représente la plus grande menace pour l’alliance occidentale. En proposant à Trump un tel accord, on pourrait potentiellement atteindre trois objectifs d’un seul coup : préserver l’alliance transatlantique, réformer un système d’asile qui a largement fait son temps et ne sert plus les intérêts des Européens, et, surtout – si les négociations sont menées avec discernement –, garantir à l’Ukraine des assurances de sécurité américaines.


Sans wokisme, pas de trumpisme

Le mouvement MAGA, tout comme une grande partie de la droite en Europe, considère la montée du progressisme de gauche radical, du multiculturalisme extrême et de la libéralisation à outrance de l’immigration comme des menaces pour les sociétés occidentales – et ce n’est pas sans raison. L’émergence de ces idéologies dogmatiques – souvent qualifiées de « wokisme » – n’a guère apporté d’avantages à l’Occident. Il y a fort à parier que la polarisation intense vécue par nos sociétés ces dernières années soit directement liée à cette idéologie.

En tant qu’idéologie autocritique d’inspiration marxiste, qui interprète tous les problèmes et injustices sociales à travers le prisme du racisme structurel, de la masculinité toxique, du néocolonialisme, des restrictions migratoires et des hiérarchies sociales jugées injustes – le tout sous-tendu par un capitalisme occidental oppresseur –, cette vision paraît éloignée de la réalité aux yeux de la plupart.

Les plus bruyants à gauche ont dominé le débat public trop longtemps, et cela est allé trop loin. Nous devons désormais vivre avec les conséquences. Quand l’évolution d’une société va trop loin dans une direction, le pendule social revient d’autant plus fort dans l’autre sens. On peut donc aisément soutenir que l’essor du wokisme aux États-Unis s’est accompagné du trumpisme comme contre-réaction politique.

La forte aversion générale envers la politique dite « woke » de la gauche progressiste moderne explique probablement aussi les voix supplémentaires parmi les républicains modérés et les électeurs indépendants, dont Trump et le mouvement MAGA avaient besoin pour franchir la ligne d’arrivée lors de l’élection présidentielle de novembre. Même si beaucoup n’étaient pas ravis de voter pour l’alternative MAGA, ils l’ont fait en considérant qu’il s’agissait du moindre mal.

En Europe, la montée d’une politique progressiste de gauche radicale a également créé de vives tensions et s’est heurtée à un rejet populaire, mais ces réserves ont souvent été balayées comme « réactionnaires » par les élites. Pourtant, il apparaît qu’une majorité de la population d’Europe occidentale partage les inquiétudes exprimées, parfois de façon subtile, par le vice-président américain Vance à la conférence sur la sécurité à Munich cette semaine.

Cela s’est vu non seulement dans la progression continue de partis d’extrême droite dans toute l’Europe de l’Ouest, mais aussi dans la montée de l’euroscepticisme et le fort rejet de l’UE – illustré très concrètement par le Brexit. L’UE, en tant que porte-drapeau de l’universalisme, est devenue le principal moteur des valeurs progressistes et du libéralisme migratoire. Elle se retrouve donc la cible privilégiée de la frustration grandissante d’une base populaire en Europe, qui voit dans l’élite politique de Bruxelles un groupe déconnecté du peuple.


Des propos clairs

Après son intervention controversée à Munich, Vance a martelé le même message lors d’une conférence conservatrice, la CPAC à Washington D.C., ce jeudi : la plus grande menace pour l’Europe et les États-Unis, c’est l’immigration de masse. « Nous allons continuer à avoir des alliances importantes avec l’Europe, mais cela dépend de la direction que nous prenons pour nos sociétés. Cette amitié est fondée sur des valeurs communes », a déclaré le vice-président des États-Unis.

Les dernières déclarations de Vance ne laissent guère place à l’équivoque : soit l’Europe réforme sa politique migratoire et met fin à l’immigration de masse en provenance du Sud global, soit l’alliance transatlantique relèvera bientôt du passé. C’est un véritable ultimatum à l’Europe : faites ce que nous exigeons ou assumez les conséquences sur le plan de la sécurité.

On peut reprocher aux Américains leur attitude actuelle, mais le fait est que l’Europe dépend toujours des garanties de sécurité des États-Unis pour tenir notre voisin russe à distance – et cela durera de longues années. Il s’agit en réalité de la relation future avec notre principal protecteur en matière de défense ; ne pas accepter leurs exigences serait un suicide géopolitique.

Les pays européens ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. Après avoir mené pendant des décennies une variante moderne de la « politique du fusil brisé », ils doivent maintenant assumer les conséquences de leurs choix. Cela veut dire qu’ils ont perdu une partie de leur souveraineté et de leur pouvoir de décision dans des questions géopolitiques majeures concernant les intérêts américains, et qu’ils doivent se conformer aux consignes de Washington.


Une opportunité en or

Le système actuel en Europe concernant l’immigration n’est pas tenable, et les limites – légales ou volontaires – imposées à la liberté d’expression nuisent directement à nos sociétés. Tout n’est cependant pas sans espoir, et une piste qui profiterait à tous se profile : proposer à Trump de négocier un nouveau consensus transatlantique sur un régime d’asile et d’immigration repensé, ainsi que sur les limites à fixer à la liberté d’expression. Mais il faudra pour cela des dirigeants européens visionnaires et courageux, capables de franchise envers leur population et prêts à s’opposer à des élites européennes transnationales figées, qui peinent à innover.

Cela implique de réformer le droit d’asile tel qu’il est inscrit dans la Convention de Genève de 1951 et son Protocole additionnel de 1967. Cette convention remonte à une époque révolue, lorsque l’Europe et l’Occident étaient nettement plus forts, à la fois sur le plan économique et culturel, par rapport au reste du monde. On pensait alors que les pays en développement suivraient tôt ou tard la voie occidentale vers la démocratie libérale. Cela devait, selon la théorie de la paix démocratique, amener une paix durable entre les nations, et rendre la Convention de Genève obsolète.

Or, il n’en a rien été, bien au contraire. Au lieu d’exporter la démocratie et la paix, l’Europe importe aujourd’hui divers problèmes venus d’ailleurs. La plupart des Européens ne profitent donc pas de la politique migratoire actuelle, et une réforme de l’asile est nécessaire de toute façon. Mais voici qu’une chance unique se présente : employer cette réforme comme moyen de pression dans d’éventuelles négociations avec l’administration Trump à propos de l’avenir de l’alliance transatlantique – et peut-être même comme argument pour obtenir des garanties de sécurité américaines en faveur de l’Ukraine.

Les détracteurs diront que cette idée est naïve et irréaliste et qu’elle ne peut aboutir, étant donné les profondes divergences et le caractère décentralisé et figé de la politique européenne. C’est possible. Mais il se trouve qu’une majorité des citoyens d’Europe de l’Ouest s’accorde sur le fait que le statu quo actuel en matière d’immigration n’est plus souhaitable. Les règles du jeu démocratique exigent donc d’agir. Il existe désormais une opportunité de tirer parti de ce changement en l’offrant comme monnaie d’échange au prétendu « maître de la négociation ».

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