Mathieu Bock-Côté: «Il ne suffira pas d’un coup de baguette laïque…»
La meilleure manière de lutter contre l’islamisation de la France consiste moins à faire de la laïcité une religion civique qu’à fermer les valves administratives et juridiques qui rendent possible l’immigration massive.
Quelle place accorder au voile dans le sport et lors des compétitions sportives ? C’est ainsi que la question de l’islam en France vient de se réinviter dans l’actualité. Au nom de la laïcité, plusieurs s’y opposent : l’esprit sportif exigerait une mise à l’écart des signes religieux ostentatoires, qu’ils assimilent à une forme de prosélytisme. Ils en appellent à la loi de 1905, et souhaitent étendre son domaine dans ce qui est aujourd’hui un lieu de socialisation presque aussi fort que l’école. Ce serait une question d’émancipation. C’est évidemment vrai.
D’autres, plus perspicaces, ou plus courageux, nomment les choses plus clairement, et dénoncent l’entrisme islamiste. Ils rappellent que « la religion » en soi est un concept approximatif. Ce n’est pas la religion qui revient, c’est l’islam qui arrive. Le « retour du religieux » n’est pas un phénomène métaphysique mais démographique. Disons-le encore autrement : l’islam n’est pas qu’une religion, à sa manière, une civilisation, poussée aujourd’hui par un puissant inconscient collectif revanchard.
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D’ailleurs, le voile n’est pas, quoi qu’en disent ses zélateurs et ses détracteurs, qu’un signe religieux, témoignant d’une spiritualité brûlante, qu’on veut afficher publiquement. Il s’agit d’abord d’un marqueur sociopolitique, permettant à l’islam, dans sa version conquérante, de prendre ses marques dans l’espace public, d’y imposer ses codes, en obligeant la société d’accueil à s’y plier. Il relève d’un exhibitionnisme de la vertu dans la mesure où il se veut le signe d’une décence supérieure dans une société moralement déchue.
Un contre-colonialisme
À certains égards, l’islamisme est un contre-colonialisme, ou mieux, un néoimpérialisme. Le voile s’accompagne d’ailleurs d’autres marqueurs de l’espace public, comme l’hallalisation de l’alimentation et la multiplication des « accommodements raisonnables » pour respecter les codes de la pudeur musulmane. On y verra l’étendard d’une idéologie conquérante, qui s’empare du corps des femmes pour les transformer en bannières ambulantes. C’est une banalité oubliée, mais toute société se constitue symboliquement dans sa mise en forme de la différence sexuelle. La mixité occidentale est incompatible avec l’apartheid sexuel.
Assurément, plusieurs portent le voile librement, sans arrière-pensées. Mais la subjectivité compte moins ici que la vérité objective d’un symbole porté par l’histoire. Le voile n’est ni français, ni européen, et à grande échelle, il devient même le marqueur d’un refus de la France. On nous répondra, avec raison, qu’il faut distinguer l’islam de l’islamisme, que le premier est une des grandes traditions spirituelles de l’humanité, et que le second est une idéologie politique. C’est très juste, à condition de dire que l’islam contemporain est travaillé par l’islamisme et qu’à la distinction analytique entre les deux ne répond pas une coupure sociologique aussi nette.
Mais revenons-y : le voile serait un problème relativement facile à résoudre s’il ne s’appuyait aujourd’hui sur le poids du nombre. Toynbee disait avec raison que trois facteurs pèsent dans l’histoire : le nombre, le nombre et le nombre. Aujourd’hui, il existe de nombreux quartiers islamisés et la loi voudrait-elle les ramener dans les paramètres de la norme culturelle française qu’elle découvrirait la force des mœurs, et d’une population dont certains segments en viennent quelquefois à se voir comme un autre peuple. Cela ne veut dire qu’il faille renoncer à l’imposer, mais qu’il ne s’agira pas d’une décision politique ordinaire. On y verra une décision « refondatrice ».
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L’identité française
D’ailleurs, la question du voile, détachée du plus vaste contexte, est datée, et ne correspond plus vraiment à une société dont plusieurs pans sont islamisés en profondeur. L’interdiction du voile dans le sport, ou même dans la rue, comme le souhaiteraient certains, ne suffirait à stopper l’islamisation. La laïcité est certes essentielle, vitale et admirable, mais elle devient un piège si on veut en faire la seule expression autorisée et contraignante de l’identité française, qui ne saurait s’y réduire. Un pays ne saurait être indifférent à la population qui le compose. Qui a pu croire un jour le contraire ?
Mais c’est l’illusion préférée de l’extrême centre : croire qu’on peut favoriser l’installation de millions de musulmans en France tout en espérant qu’ils n’apporteront pas l’islam dans leurs bagages, et qu’il suffira d’un coup de baguette laïque pour en faire d’excellents républicains. Mais l’humanité n’est pas une pâte à modeler et ce coup de baguette laïque ne suffira pas. La meilleure manière de lutter contre l’islamisation de la France consiste moins à faire de la laïcité une religion civique qu’à fermer les valves administratives et juridiques qui rendent possible l’immigration massive. Je ne crois pas me tromper en disant qu’on fait exactement le contraire.