Monter nos dépenses militaires à 3% du PIB : mais avec quelle efficacité par euro investi…? - Par' Michel Goya

Mieux nous défendre est un impératif. Mais nos dépenses militaires et d’armement sont-elles mieux gérées que les multiples gaspillages identifiés dans la dépense publique de manière générale ?


La France veut se réarmer. L’objectif fixé par l’Elysée et le ministère de la défense est que notre budget militaire atteigne 100 milliards d’euros en 2030 hors pensions, soit 3 % du PIB. Alors que les menaces se font de plus en plus pressantes et diverses, la France entend mener la charge en Europe et montrer l’exemple du rehaussement collectif de nos moyens militaires. Nous pouvons toujours compter sur notre dissuasion nucléaire et l’armée européenne la plus indépendante des Etats-Unis de tout le continent, grâce à l’héritage gaulliste. Nous avons aussi la seule armée d’Europe rompue au feu. Mais sait-on si le budget est aujourd’hui correctement affecté ? A-t-on retenu les leçons des erreurs passées en matière industrielle ou en matière de stratégie d’orientations de nos armées ? Pour en parler, le colonel Michel Goya.

Comme on le constate régulièrement dans des domaines divers, encore illustré la semaine passée par l’affaire du programme « Numérique en détention » d’un coût de 125 millions d’euros suspendu par Gérald Darmanin, la dépense publique peut parfois sembler aberrante. Comment se décompose réellement le budget militaire français ? Quelle part relève de la commande achat d’armes, quelle part relève du fonctionnement général de l’armée ? A-t-on déjà constaté des dépenses surprenantes et susceptibles d’être supprimées ?

Michel Goya : Je vais vous donner un exemple. Je suis parti à la retraite en 2015, au grade d’active de colonel. Je touche une pension de retraite de général. La raison est simple : c’était une période de restructuration massive des personnels des armées où il était proposé des départs anticipés à la retraite, afin de faire des économies, mais en touchant la pension complète du grade supérieur. C’était donc une bonne affaire, sauf que ce que nous avons alors économisé dans l’immédiat, nous l’avons reporté dans le futur. Nous avons transféré une dette aux générations suivantes. Il faut savoir que les pensions militaires représentent à elles seules 0.3 % du PIB français total, et elles sont incluses dans les dépenses de fonctionnement.

Le budget des armées pour l’année 2025, d’un montant total de 50.5 milliards, soit 3.3 milliards de plus qu’en 2024, est composé pour deux tiers par les dépenses d’équipement, c’est-à-dire 31.3 milliards d’euros, et la masse salariale représente 21.7 %, soit 13.6 milliards d’euros. Le restant correspond aux dépenses de fonctionnement et aux opérations extérieures, qui sont paradoxalement le parent pauvre du budget… Ce budget, nous essayons de le remonter à des niveaux acceptables depuis 2015. Si nous avions respecté les trajectoires que nous avions alors fixées, nous serions aujourd’hui déjà à 75 milliards d’euros par an et notre armée aurait meilleure allure. Si nous dépensions proportionnellement autant que les Américains, nous serions à 100 milliards d’euros, ce qui correspond à l’objectif 2030 actuellement visé par le ministère en vue du « réarmement ». Il faut donc comprendre que nous faisons du rattrapage.

Je ne sais pas si nous prenons des dépenses aberrantes, mais je sais qu’on pourrait dépenser moins. En France, nous sommes incapables de faire du low cost, alors que c’est ce que demandent les militaires. Voyez l’exemple du Jaguar, véhicule blindé de reconnaissance et de combat de nouvelle génération entré en service en 2022. Il a un coût unitaire de 6 millions d’euros. C’est un fabuleux engin, une Rolls. Mais le CRAB développé par Panhard general defense avait un coût unitaire d’1 million d’euros. Il n’a pas été retenu parce qu’on a eu peur que Bercy ne nous baisse le budget si nous commandions un véhicule « trop bon marché ». Nous aurions pu en commander 1.000 et être parés. Il répondait parfaitement à nos besoins. C’est un peu surréaliste, n’est-ce pas ? Comme je l’écrivais sur mon blog La Voie de l’Epée, le cœur du problème budgétaire de nos forces armées réside dans le maintien des grands programmes d’équipements lancés à la fin des années 1980 et au début des années 1990 alors que le budget de la défense était, en euros constants, maintenu à celui de 1982 plus ou moins 10 %. Comme ces nouveaux matériels coûtaient unitairement entre deux et huit fois ceux qu’ils remplaçaient, ce gel des dépenses ne pouvait que provoquer une crise de financement. Cette crise a été gérée à la « petite semaine », c’est-à-dire d’une année sur l’autre et sans décision courageuse (financer réellement ou abandonner). On a commencé par réduire les commandes, ce qui a permis de réduire les dépenses immédiates mais au prix d’une augmentation très sensible des coûts unitaires. On aura donc moins d'équipements que prévus mais pour sensiblement le même coût total, voire même parfois supérieur, mais à très court terme les gouvernements ont pu faire de petites économies.

Le départ du CEMA Pierre de Villiers en 2017 cachait aussi des dissensions avec la Direction générale de l’armement qui reprochait aux industriels français de profiter leur position pour « surfacturer ». Qu’en est-il ?
.
 Il y a de ça mais c’est un peu plus compliqué tout de même. Notre problème majeur vient du fait que les grands programmes de rééquipements datent des années 1980 : le rafale, l’hélicoptère Tigre, le char Leclerc dont il n’existe d’ailleurs plus une ligne de production, ou encore le porte-avions. Et chaque grand programme nouveau représente quatre fois le coût de la génération précédente. Les industriels ont donc dû réduire leurs capacités de production et les militaires leurs stocks. Comme c’est cher, on commande moins de nouveaux équipements que nous ne devrions le faire et nous gardons du matériel ancien. Dans les nouveaux programmes, les industriels ne peuvent pas faire autrement que se rattraper sur le coût unitaire. Pour les VBCI comme les frégates multimissions, nous avons fini par payer plus cher que ce qui était à l’origine provisionné et nous avons reçu moins de matériels que ce que nous avions annoncé au départ ! C’est irréel. Les lois de programmation militaires ne sont pas contraignantes. Elle fixe des objectifs mais la seule loi contraignante est la loi de finance annuelle… Nous avons donc une bosse budgétaire puisqu’on reporte les dépenses futures pour réduire artificiellement le déficit.

Est-ce que cette incapacité à fixer des commandes importantes aux industriels est aussi liée au fait que nous en avons fini avec une armée de « masse » ou de « volume » ?

Notre problème est aussi structurel qu’ancien, en effet. La crise du financement militaire date des années 1990, après la Guerre Froide. Nous n’avons rien planifié, rien organisé. Nous n’avons pas prévu de remontée en puissance. Pourquoi croyez-vous que les Polonais ont commandé leurs chars en Corée-du-Sud ? Parce que ces derniers ont gardé des capacités et des lignes industrielles de « surproduction ». En un coup de sifflet, ils sont capables de produire deux fois plus, pas nous. Nos entreprises sont à flux tendu parce qu’elles dépendent trop de la commande publique et que l’export ne suffit pas pour compenser. Nous n’avons pas fait l’effort budgétaire suffisant pour relancer de nouvelles chaînes de production. On a saupoudré par-ci par-là sans adopter une stratégie industrielle de l’armement cohérente. Certes, des efforts sont fournis mais trop lentement. Car nos besoins sont partout. Donc on se retrouve parfois à devoir opérer des arbitrages cruels comme réduire le nombre de véhicules Griffon pour payer les munitions qui manquent… Nous n’anticipons pas.

https://grandeschroniquesdefrance.blogspot.com/https://parolesdevangiles.blogspot.com/https://raymondaronaujourdhui.blogspot.com/

#JeSoutiensNosForcesDeLOrdre par le Collectif Les Citoyens Avec La Police