Russie : la stratégie de la guerre des nerfs - Par Edouard Chaplault-Maestracci


Depuis le début de l’« opération spéciale » russe en Ukraine, le Kremlin n’a eu de cesse de cibler l’Europe aux moyens d’attaques clandestines. Si cette campagne de guerre hybride pouvait de prime abord sembler désordonnée et ne constituer qu’une riposte primaire au soutien affiché par l’Union Européenne et le Royaume-Uni à Kiev, il s’avère en réalité que la Russie entend minutieusement éroder ce soutien.

Une stratégie de guerre hybride ciblée

L’affaire des Minions, révélée par les médias britanniques au début du mois de mars dernier, n’est que le dernier exemple en date de cette guerre hybride que Moscou mène sur le continent européen et dont l’intensité ne cesse de croitre depuis l’invasion de l’Ukraine. Les trois citoyens bulgares effectuaient des missions d’espionnage pour le compte du service de renseignement militaire russe[1]. Les activités de ces réseaux de surveillance s’ajoutent aux nombreuses opérations visant à déstabiliser les alliés européens de Kiev.


Du sabotage des chemins de fer tchèques au déclenchement d’une série d’alertes à la bombe secouant les aéroports britanniques[2] en passant par des incendies en Pologne[3], les agents russes rivalisent de moyens pour saper les capacités militaires, économiques et politiques des soutiens à l’Ukraine. Plus de 750 diplomates russes ayant été expulsés par l’Occident depuis le début de la guerre, le Kremlin s’est tourné vers les réseaux criminels pour mettre en œuvre cette campagne de déstabilisation aux allures de partie d’échecs, la rendant d’autant plus difficile à détecter et à anticiper.

À lire aussi : La Russie refuse tout échange de territoires occupés avec l’Ukraine

Il en va ainsi des multiples cyberattaques émanant de pirates russes pouvant par exemple viser des diplomates afin de collecter des informations sensibles ou encore des activités menées par la flotte fantôme de la Russie frappant des infrastructures dont le fonctionnement est vital d’un point de vue économique voir environnemental. On pense notamment à la destruction de câbles de télécommunications dans les eaux territoriales suédoises[4].

Géographiquement, on constate que ces attaques visent avec plus d’insistance les pays d’Europe de l’est comme la Lituanie, la Lettonie, l’Estonie et la Pologne. C’est ce que révèle le renseignement intérieur estonien comme nous l’apprend Le Figaro[5]. Cela n’est pas le simple fruit du hasard.

Le risque de la « fatigue ukrainienne »[6]

Aucune de ces attaques n’est suffisamment explicite pour risquer de déclencher une riposte d’envergure de la part des pays ciblés. Pris séparément, ces actes de sabotage peuvent sembler aléatoires. Or, bien loin d’être dénués de finalité, ils visent au contraire à stopper le soutien militaire apporté aux forces de Volodymyr Zelensky en faisant planer le spectre de la guerre sur les peuples européens.

Les attaques visant à obtenir des informations sensibles ou à coordonner des réseaux d’espions sont clairement destinées à collecter des renseignements pouvant être mis à profit sur le front ukrainien. Il en va différemment des sabotages visant des infrastructures publiques sans lien avec le secteur de la défense. Les incendies criminels déclenchés dans un centre commercial polonais[7] ou encore lituanien[8] ont pour seule finalité d’instiller la peur dans les esprits des civils européens.

À lire aussi Lu à l’étranger. L’évolution de la guerre en Ukraine vue de Russie

Ces attaques pernicieuses font ainsi planer le spectre d’une guerre contre la Russie dans l’inconscient collectif. Déjà confrontés à des menaces existentielles telles que le terrorisme islamiste, l’insécurité croissante ou encore une immigration incontrôlée, les Européens n’ont nullement besoin d’une source supplémentaire d’anxiété. En faisant germer ce sentiment, le pouvoir russe cherche à retourner l’opinion publique européenne contre ses gouvernants et leur volonté de soutenir l’Ukraine. La perspective d’une telle guerre effraie les peuples. Les priorités sont ailleurs et les Européens ne semblent pas souhaiter affronter un ennemi supplémentaire si l’on croit le sondage mis en avant par le magazine The European Conservative selon lequel 60% des Allemands ne souhaitent pas défendre leur pays en cas d’invasion[9].

Dans ces conditions, le Kremlin espère que les dirigeants européens se verront contraints par la pression populaire d’éloigner tout risque de guerre et donc d’abandonner leur soutien à Kiev. Soutien qui implique par ailleurs un désarmement progressif des pays qui la fournissent en ce qu’ils puisent toujours davantage dans leurs arsenaux sans pouvoir les reconstituer à court terme. Les sociétés occidentales verraient en effet d’un très mauvais œil un désarmement à l’aune de la peur diffusée par Moscou.

[1] https://www.bfmtv.com/international/europe/angleterre/royaume-uni-trois-bulgares-surnommes-les-minions-juges-coupables-d-espionnage-au-profit-de-la-russie_AN-202503070700.html
[2] https://www.spectator.co.uk/article/russias-sabotage-campaign-against-the-west/
[3] https://www.euractiv.fr/section/politique/news/pologne-le-ministre-de-la-justice-evoque-une-possible-implication-de-la-russie-dans-les-recents-incendies/
[4] https://fr.euronews.com/my-europe/2025/01/27/un-nouveau-cable-sous-marin-reliant-la-suede-a-la-lettonie-endommage-en-mer-baltique
[5] https://www.lefigaro.fr/international/estonie-expulsion-d-un-diplomate-russe-pour-ingerence-dans-les-affaires-interieures-20240319
[6] https://www.spectator.co.uk/article/russias-sabotage-campaign-against-the-west/
[7] https://euromaidanpress.com/2025/03/14/russian-saboteur-charged-with-arson-attack-on-polish-building-store/
[8] https://www.ctvnews.ca/world/article/lithuania-says-russian-military-intelligence-was-behind-an-arson-attack-at-an-ikea-store-in-vilnius/
[9] https://europeanconservative.com/articles/news/germany-army-military-report-bundeswehr/

https://grandeschroniquesdefrance.blogspot.com/https://parolesdevangiles.blogspot.com/https://raymondaronaujourdhui.blogspot.com/