Sécurité et psychiatrie : l’angle mort de la politique française - Par Alexandre Baratta, Pascal Neveu et Gérald Pandelon
De nombreuses affaires criminelles, dont les auteurs présentaient des troubles psychiatriques, se sont multipliées ces derniers mois. A quel point l’institution judiciaire et la classe politique passent-elles à côté des enjeux liés à l’encadrement des personnes concernées par des troubles psychiatriques ?
Psychiatre, praticien hospitalier, Alexandre Baratta est expert auprès de la Cour d'appel de Metz, et expert associé à l'Institut pour la Justice. Il est également correspondant national de la Société médico-psychologique.
Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).
Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020).
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Gérald Pandelon : Les études montrent en fait une prévalence significative des troubles psychiatriques parmi les populations carcérales en France :
- Prévalence des troubles mentaux en milieu carcéral : Selon une enquête de 2004 (une "Etude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues en prison", pour le groupe Cemka-Eval), environ 80 % des détenus masculins et 70 % des détenues féminines présentaient au moins un trouble psychique, souvent multiple. Plus précisément, 47 % souffraient de troubles dépressifs, 34 % étaient dépendants à des substances illicites ou à l'alcool, et 24 % présentaient des troubles psychotiques, dont 8 % de schizophrénie.
- Nature des infractions commises : Les détenus suivis pour des troubles psychiatriques sont incarcérés pour des crimes dans 46 % des cas, contre 24 % pour les autres détenus. De plus, 65 % de ces infractions sont des atteintes aux personnes, comparativement à 18 % chez les détenus sans suivi psychiatrique.
Ces données suggèrent une surreprésentation des troubles psychiatriques parmi les populations carcérales, notamment en lien avec des infractions violentes.
Existe-t-il un "profil" d’individus susceptibles de commettre de telles atrocités ?
Alexandre Baratta : Les crimes et délits violents ne sont pas l'apanage d'un profil type. Bien au contraire : le phénomène criminel regroupe des profils extrêmement hétérogènes. Pour faire simple, il est possible de distinguer 4 profils :
- les malades mentaux. Il s'agit de personnes souffrant de réelle maladie mentale type schizophrénie ou trouble bipolaire. Cette catégorie est très minoritaire, puisqu'elle représente moins de 10% des actes de violences. Les actes sont immotivés, sans mobile cohérent. Les victimes sont majoritairement représentées par la famille proche (les mères surtout, puis le père et le reste de la fratrie). Les homicides sont réalisés au domicile, à l'arme blanche, régulièrement dans les semaines suivants la sortie d'une hospitalisation psychiatrique. Moins souvent les victimes sont des inconnus croisées au hasard sur la voie publique. C'est le cas par exemple de Lina qui a vraisemblablement été tuée par un homme souffrant de trouble bipolaire.
- Le quidam exempt de maladie mentale (90% des cas). Les facteurs de risque de violences sont bien connus : le sexe masculin, une instabilité socio professionnelle, une consommation excessive d'alcool, une addiction aux stupéfiants. A quoi s'ajoutent les troubles graves de la personnalité, au premier rang desquels la personnalité dyssociale (ou psychopathie) et la personnalité borderline. Il ne s'agit pas de maladies mentales, mais d'une mauvaise structuration de la personnalité durant l'enfance et l'adolescence sur fond de carences affectives et éducatives. Il s'agit d'hommes impulsifs, ne tolérant pas la frustration, et vivant uniquement dans l'instant présent à la recherche de satisfactions immédiates. Le profil type peut être illustré par les 2 adolescents ayant tué le jeune Elias à la machette, au profil poly délinquantiel et recourant à la violence à visée ludique et/ou utilitaire.
- Le criminel "professionnel". Il s'agit d'un profil très minoritaire, retrouvé dans les mafias ou cartels du crime organisé (réseaux de trafics de stupéfiants). Le profil type est celui d'un homme stable, pouvant garder son sang-froid, organisé, méthodique, bref les qualités requises pour un militaire. Aucune place n'est laissée à l'improvisation. L'exemple type est probablement celui de l'attaque à la grenade à Grenoble ou les fusillades à l'arme de guerre à Marseille.
- Enfin, la dernière catégorie est d'apparition très récente. Il s'agit des attaques commises au nom de l'islam par des auteurs du territoire national ou venant de l'extérieur (réfugiés et demandeurs d'asile). Les exemples médiatisés ne manquent pas: attaque au couteau en Autriche commise par un réfugié syrien; à la voiture bélier à Munich par un demandeur d'asile afghan. Le profil de ces auteurs est difficile d'analyse, du fait de la barrière culturelle. La radicalisation n'est pas une maladie mentale. Toutefois lorsque l'on étudie les profils, on retrouve régulièrement une intrication entre trouble de la personnalité, consommation de stupéfiants, et quelques fois maladie mentale en plus.
Alexandre Baratta : Dans la grande majorité des cas, les auteurs de crime ou délits violents ne sont pas des fous ni des malades mentaux. Ils sont le fait d'hommes (majoritairement) au profil social instable, impulsifs, désinsérés, consommant alcool ou stupéfiants, et présentant des troubles de la personnalité. Les causes de passages à l'actes peuvent être très variées : une frustration même mineure, une désinhibition liée à une prise de toxique (alcool, cocaïne), voir même simplement pour "le fun". Je me souviens d'un jeune homme multi récidiviste expertisé en prison. Il avait été condamné pour des faits de violences totalement gratuits. Alors qu'il quittait une "soirée festive" à 5 heures du matin, il croisait un septuagénaire faisant son footing matinal. Il l'a agressé gratuitement, lui fracturant le massif facial juste "pour s'amuser".
Concernant la petite minorité des malades mentaux, les violences sont classiquement réalisées lors de poussées psychotiques aigues favorisées par un arrêt du traitement médicamenteux et/ou une prise de stupéfiants. C'est le cas par exemple d'un homme souffrant de schizophrénie, ayant interrompu son traitement neuroleptique tout en consommant de grandes quantités d'amphétamines. Il avait alors tué à l'arme blanche une femme de ménage, sur son lieu de travail, à Metz en mai 2020.
Enfin, les auteurs d'actes de violences de revendication "religieuse" islamiste ont le plus souvent un profil qualifié de mixte, associant radicalisation religieuse, profil de personnalité psychopathique ou paranoïaque, et il est possible de trouver en plus des éléments évoquant une maladie mentale sous-jacente. Mais j'insiste sur le caractère difficile d'analyse de ces profils, du fait de la barrière culturelle en décalage considérable avec la nôtre.
Combien de personnes sont concernées par des troubles psychiatriques en France et quels sont les principaux troubles en question qui peuvent conduire à des passages à l’acte violents ?
Pascal Neveu : La France connaît des tragédies judiciaires nombreuses et très médiatisées ces dernières semaines. Je me permets de rappeler quelques chiffres : 90000 expertises psychiatriques judiciaires ont lieu en France tous les ans, pour seulement environ 300 experts travaillant sur des dossiers parfois de plus de 2000 pages, et sous-payés.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, la maladie mentale et les troubles psychiques touchent près d’1/5ème de la population, soit 13 millions de Français. Bien évidemment qui ne se retrouvent pas dans les tribunaux.
Sur ces chiffres, 3 millions de personnes souffrent de troubles psychiques sévères menant à des actes violents. En France, 1 % de la population souffre de troubles schizophréniques et 1 % de troubles bipolaires. Ils sont à l’origine de 3 à 5 % des cas de violence. Prévenir le risque de passage à l’acte violent constitue donc un des enjeux majeurs de la prise en charge médicale de ces patients. Sans oublier que la consommation d’alcool ou de drogue multiplie ce risque dans un facteur très significatif.
L’Institut national de la recherche et de la santé médicale (Inserm) relève qu’un mineur sur huit souffre de troubles mentaux susceptibles de se manifester par des troubles du comportement, des troubles alimentaires, des troubles de la dépression mais aussi par des conduites à risques, des troubles schizophréniques, des troubles bipolaires et des conduites agressives.
Il est également constaté que près de la moitié des mineurs impliqués dans des affaires pénales sont âgés de seize à dix-sept ans. En effet, selon les chiffres clés de la Justice des enfants et des adolescents, ils représentent environ 50% % de la totalité des mineurs délinquants.
La violence doit être différenciée de l’agression et de l’agressivité, l’agression étant une attaque contre les personnes ou les biens, attaque violente, avec altération chez la victime de l’intégrité des fonctions physiques ou mentales, et l’agressivité une « intention agressive sans acte agressif ».
Pour l’OMS, qui en donne une définition plus large, la violence est « un usage délibéré ou la menace d’usage délibéré de la force physique ou de la puissance contre soi-même, contre une autre personne ou contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque d’entraîner un traumatisme, un décès, un dommage moral, un mal-développement ou une carence ».
Ces dernières décennies, de nombreuses études ont montré une association modérée mais significative entre troubles mentaux graves et comportements violents envers autrui, en particulier en cas de troubles schizophréniques. Si dans les pays industrialisés le taux des homicides est compris entre 1 et 5 pour 100 000 habitants, les personnes atteintes de troubles mentaux graves ne seraient responsables que de 0,16 homicide pour 100 000 habitants, soit environ un homicide sur 20.
Une fois de plus je rappelle, comme je l’ai fait dans vos colonnes, tout dernièrement, lors de cette triste affaire de la petite Louise, qu’il n’y a aucune étude sérieuse démontrant un lien de causalité entre l’utilisation des jeux vidéo et passage à l’acte criminel. 2-3% des gamers ont effectivement un souci d’addiction, malgré les mises en garde des éditeurs de logiciels, des parents et des proches. Il n’existe aucune étude prouvant que c’est le jeu vidéo qui mène à des actes de délinquance, de suicide.
Car les jeux vidéo ne rendent pas violents. Ils sont des facilitateurs de l’expression, hélas par passage à l’acte, en lien avec un état dépressif sous-jacent. Et la dépression est sans doute le grand mal de l’adolescence, également présente chez le jeune adulte.
- Enfin, la dernière catégorie est d'apparition très récente. Il s'agit des attaques commises au nom de l'islam par des auteurs du territoire national ou venant de l'extérieur (réfugiés et demandeurs d'asile). Les exemples médiatisés ne manquent pas: attaque au couteau en Autriche commise par un réfugié syrien; à la voiture bélier à Munich par un demandeur d'asile afghan. Le profil de ces auteurs est difficile d'analyse, du fait de la barrière culturelle. La radicalisation n'est pas une maladie mentale. Toutefois lorsque l'on étudie les profils, on retrouve régulièrement une intrication entre trouble de la personnalité, consommation de stupéfiants, et quelques fois maladie mentale en plus.
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De quels types de troubles psychiatriques ces individus sont-ils généralement atteints ? Un événement particulier peut-il favoriser ou déclencher le passage à l’acte ?Alexandre Baratta : Dans la grande majorité des cas, les auteurs de crime ou délits violents ne sont pas des fous ni des malades mentaux. Ils sont le fait d'hommes (majoritairement) au profil social instable, impulsifs, désinsérés, consommant alcool ou stupéfiants, et présentant des troubles de la personnalité. Les causes de passages à l'actes peuvent être très variées : une frustration même mineure, une désinhibition liée à une prise de toxique (alcool, cocaïne), voir même simplement pour "le fun". Je me souviens d'un jeune homme multi récidiviste expertisé en prison. Il avait été condamné pour des faits de violences totalement gratuits. Alors qu'il quittait une "soirée festive" à 5 heures du matin, il croisait un septuagénaire faisant son footing matinal. Il l'a agressé gratuitement, lui fracturant le massif facial juste "pour s'amuser".
Concernant la petite minorité des malades mentaux, les violences sont classiquement réalisées lors de poussées psychotiques aigues favorisées par un arrêt du traitement médicamenteux et/ou une prise de stupéfiants. C'est le cas par exemple d'un homme souffrant de schizophrénie, ayant interrompu son traitement neuroleptique tout en consommant de grandes quantités d'amphétamines. Il avait alors tué à l'arme blanche une femme de ménage, sur son lieu de travail, à Metz en mai 2020.
Enfin, les auteurs d'actes de violences de revendication "religieuse" islamiste ont le plus souvent un profil qualifié de mixte, associant radicalisation religieuse, profil de personnalité psychopathique ou paranoïaque, et il est possible de trouver en plus des éléments évoquant une maladie mentale sous-jacente. Mais j'insiste sur le caractère difficile d'analyse de ces profils, du fait de la barrière culturelle en décalage considérable avec la nôtre.
Combien de personnes sont concernées par des troubles psychiatriques en France et quels sont les principaux troubles en question qui peuvent conduire à des passages à l’acte violents ?
Pascal Neveu : La France connaît des tragédies judiciaires nombreuses et très médiatisées ces dernières semaines. Je me permets de rappeler quelques chiffres : 90000 expertises psychiatriques judiciaires ont lieu en France tous les ans, pour seulement environ 300 experts travaillant sur des dossiers parfois de plus de 2000 pages, et sous-payés.
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, la maladie mentale et les troubles psychiques touchent près d’1/5ème de la population, soit 13 millions de Français. Bien évidemment qui ne se retrouvent pas dans les tribunaux.
Sur ces chiffres, 3 millions de personnes souffrent de troubles psychiques sévères menant à des actes violents. En France, 1 % de la population souffre de troubles schizophréniques et 1 % de troubles bipolaires. Ils sont à l’origine de 3 à 5 % des cas de violence. Prévenir le risque de passage à l’acte violent constitue donc un des enjeux majeurs de la prise en charge médicale de ces patients. Sans oublier que la consommation d’alcool ou de drogue multiplie ce risque dans un facteur très significatif.
L’Institut national de la recherche et de la santé médicale (Inserm) relève qu’un mineur sur huit souffre de troubles mentaux susceptibles de se manifester par des troubles du comportement, des troubles alimentaires, des troubles de la dépression mais aussi par des conduites à risques, des troubles schizophréniques, des troubles bipolaires et des conduites agressives.
Il est également constaté que près de la moitié des mineurs impliqués dans des affaires pénales sont âgés de seize à dix-sept ans. En effet, selon les chiffres clés de la Justice des enfants et des adolescents, ils représentent environ 50% % de la totalité des mineurs délinquants.
La violence doit être différenciée de l’agression et de l’agressivité, l’agression étant une attaque contre les personnes ou les biens, attaque violente, avec altération chez la victime de l’intégrité des fonctions physiques ou mentales, et l’agressivité une « intention agressive sans acte agressif ».
Pour l’OMS, qui en donne une définition plus large, la violence est « un usage délibéré ou la menace d’usage délibéré de la force physique ou de la puissance contre soi-même, contre une autre personne ou contre un groupe ou une communauté, qui entraîne ou risque d’entraîner un traumatisme, un décès, un dommage moral, un mal-développement ou une carence ».
Ces dernières décennies, de nombreuses études ont montré une association modérée mais significative entre troubles mentaux graves et comportements violents envers autrui, en particulier en cas de troubles schizophréniques. Si dans les pays industrialisés le taux des homicides est compris entre 1 et 5 pour 100 000 habitants, les personnes atteintes de troubles mentaux graves ne seraient responsables que de 0,16 homicide pour 100 000 habitants, soit environ un homicide sur 20.
Une fois de plus je rappelle, comme je l’ai fait dans vos colonnes, tout dernièrement, lors de cette triste affaire de la petite Louise, qu’il n’y a aucune étude sérieuse démontrant un lien de causalité entre l’utilisation des jeux vidéo et passage à l’acte criminel. 2-3% des gamers ont effectivement un souci d’addiction, malgré les mises en garde des éditeurs de logiciels, des parents et des proches. Il n’existe aucune étude prouvant que c’est le jeu vidéo qui mène à des actes de délinquance, de suicide.
Car les jeux vidéo ne rendent pas violents. Ils sont des facilitateurs de l’expression, hélas par passage à l’acte, en lien avec un état dépressif sous-jacent. Et la dépression est sans doute le grand mal de l’adolescence, également présente chez le jeune adulte.
Alexandre Baratta : La prévalence de la schizophrénie en France est faible : 1% de la population, soit environ 600 000 personnes. Dont la grande majorité des malades ne passeront jamais à l'acte.
Concernant les troubles graves de la personnalité, leur prévalence et de 2,5% pour la borderline et de 3% pour la dyssociale (ou psychopathique). Il s'agit des 2 profils les plus souvent représentés chez les auteurs de violences, avec cumul des autres facteurs classiques criminogènes déjà cités : faible insertion socio professionnelle, usage de produits, commissions de précédents actes de violences.
Le meilleur marqueur de risque de commettre un acte violent, chez un individu, est simple : c'est la commission antérieure d'un acte de violence. Quelqu'un qui a déjà été violent, quel que soit son profil, a plus de risque de commettre de nouvelles violences. C'est la raison pour laquelle il ne faut jamais banaliser un acte de violence. Il peut être une porte d'entrée vers la commission d'actes répétitifs voir d'escalade dans l'intensité des actes. Surtout si aucun obstacle ne vient y mettre un terme. C'est un peu comme chez les enfants : un bambin de 3 ans qui ne se retrouve confronté à aucune limite multipliera les actes jusqu'à la trouver. Pour le psychopathe c'est la même chose : en l'absence de réponse adaptée, pourquoi changerait-il ses habitudes ?
Concernant les troubles graves de la personnalité, leur prévalence et de 2,5% pour la borderline et de 3% pour la dyssociale (ou psychopathique). Il s'agit des 2 profils les plus souvent représentés chez les auteurs de violences, avec cumul des autres facteurs classiques criminogènes déjà cités : faible insertion socio professionnelle, usage de produits, commissions de précédents actes de violences.
Le meilleur marqueur de risque de commettre un acte violent, chez un individu, est simple : c'est la commission antérieure d'un acte de violence. Quelqu'un qui a déjà été violent, quel que soit son profil, a plus de risque de commettre de nouvelles violences. C'est la raison pour laquelle il ne faut jamais banaliser un acte de violence. Il peut être une porte d'entrée vers la commission d'actes répétitifs voir d'escalade dans l'intensité des actes. Surtout si aucun obstacle ne vient y mettre un terme. C'est un peu comme chez les enfants : un bambin de 3 ans qui ne se retrouve confronté à aucune limite multipliera les actes jusqu'à la trouver. Pour le psychopathe c'est la même chose : en l'absence de réponse adaptée, pourquoi changerait-il ses habitudes ?
Par ailleurs, il faut souligner que des actes peuvent être commis par des personnes exemptes de toute problématique de trouble de la personnalité ou prise de toxiques. Monsieur (ou madame) tout le monde peut commettre l'irréversible au grès d'évènements de vie singuliers. C'est le cas du double infanticide commis à Strasbourg en 2019 : un père, bien inséré socialement, tuait ses 2 enfants dans le cadre d'un conflit conjugal.
Enfin, la problématique de radicalisation religieuse est souvent le fait de profils de personnalités mal structurés (paranoïaque et/ou psychopathiques). La co-existence d'une éventuelle maladie mentale reste possible mais n'est pas systématique. S'agissant d'une problématique récente dans l'histoire de la criminologie, et les auteurs pouvant venir de "l'intérieur" comme de "l'extérieur", il me semble très difficile de pouvoir en faire une évaluation précise du phénomène. Toutefois, il semble utile de rappeler que ce profil reste statistiquement très minoritaire comparativement à tous les autres auteurs de délits et crimes violents commis en France.
Pascal Neveu : Dans les années 1930, de nombreux pays européens ont créé des structures visant à accueillir spécifiquement les personnes souffrant de troubles psychiatriques ayant commis une infraction pénale et présentant un « danger » pour la société.
La peur du crime immotivé, la peur de l’acte irraisonné ont conduit à édifier des règles spéciales pour cette population de malades. Le Code civil de 1804 prévoyait des mesures d’interdiction visant autant à « protéger » la société qu’à protéger l’individu, car les autorités publiques ne devaient intervenir que dans les cas prévus dans l’article 491 où la « fureur » de l’insensé menaçait « le repos et la sûreté publique ». Dans tous les autres cas, c’était à la famille seule de statuer sur l’avenir de l’aliéné (art. 490). Elle pouvait garder l’aliéné, à condition de l’empêcher de troubler l’ordre public. Cette clause restrictive fut renforcée par le Code pénal de 1810, qui prévoyait des peines de police pour ceux qui auraient laissé « divaguer des fous ou des furieux étant sous leur garde » (art. 475 n° 7). Et surtout, l’article 64 du Code pénal prévoyait l’irresponsabilité pénale en cas de démence au moment des faits. Le sort de l’irresponsable n’était pas pour autant réglé car il restait placé en prison sur décision administrative. Ce n’est qu’en 1838 que la loi a organisé les asiles en hôpitaux départementaux. Les mêmes ambiguïtés ont présidé à cette institutionnalisation. On peut lire dans le rapport Vivien de mars 1837 : « Nous n’avons pas voulu faire une loi judiciaire de procédure, une loi de chicane, nous avons considéré d’abord l’intérêt du malade » alors que De Portalis, à la Chambre des pairs, le 8 février 1838, déclarait : « Nous ne faisons pas une loi pour la guérison des personnes menacées ou atteintes d’aliénation mentale, nous faisons une loi d’administration de police et de sureté. » La psychiatrie était ainsi au service de l’ordre public par le biais du placement d’office.
Il est important de noter que toutes les données internationales sont concordantes. Toutes les personnes souffrant de troubles mentaux graves ne sont pas violentes et toute violence n’est pas attribuable à la maladie mentale. Si dans les études internationales disponibles, les personnes souffrant de troubles mentaux graves sont 4 à 7 fois plus souvent auteurs de violence que les personnes sans trouble mental, elles ne sont que rarement auteurs d’actes de violence grave.
En présence de ces comorbidités (prises d’alcool ou d’autres substances psycho-actives ou d’un trouble de la personnalité antisociale) le risque est 2 fois supérieur à celui des personnes sans trouble mental.
Le plus souvent, la violence des personnes souffrant de troubles mentaux est dirigée contre les proches ou les membres de la famille. Par ailleurs, la violence, dont ils sont eux-mêmes l’objet, est méconnue. En effet, elles sont 7 à 17 fois plus souvent victimes de violence (verbale et/ou physique) que les personnes sans trouble mental.
Les passages à l’acte violents de personnes concernées par des troubles psychiatriques sont-ils en hausse actuellement ? Y a-t-il une réelle recrudescence des passages à l’acte et de faits délictuels de la part de personnes atteintes de troubles psychiatriques par rapport aux années et aux décennies passées ? Existe-t-il une évolution de la prévalence de tels troubles en France ?
Pascal Neveu : Tous auteurs d’homicide (ayant ou non des troubles mentaux) confondus relevaient la relation suivante entre l’auteur et sa victime : un membre de la famille ou le partenaire dans 36 % des cas, une connaissance ou un voisin dans 39 % des cas et une victime inconnue dans 25 % des cas. Dans 75 % des cas, les personnes concernées se connaissaient. Au sein des homicides commis par des hommes, on relevait que 44 % des victimes étaient un membre de la famille de l’auteur chez les personnes souffrant de troubles mentaux, contre 24 % quand l’auteur était indemne de trouble mental. Chez les femmes, le pourcentage de victimes intrafamiliales était identique dans les deux groupes. Les victimes privilégiées des hommes étaient l’épouse et la maîtresse chez les auteurs d’homicide indemnes de trouble mental, l’épouse et la mère chez les auteurs souffrant de troubles mentaux. Les victimes des femmes auteurs d’homicide étaient le mari lorsqu’elles ne souffraient pas de trouble mental et les enfants quand elles souffraient d’un trouble mental.
Il reste cependant un pourcentage croissant d’actes criminels ou violents dont les études actuelles ne sont pas publiées afin de voir un lien avec la désaffection psychiatrique, des patients non diagnostiqués ou suivis médicalement, des sorties de structures pénitentiaires, des troubles de l’identité suite à un petite de repère identitaire.
Gérald Pandelon : L'analyse historique et criminologique révèle des tendances contrastées concernant la violence associée aux troubles mentaux :
- Augmentation du risque de violence : Des études épidémiologiques indiquent une hausse du risque de comportements violents chez les personnes atteintes de troubles mentaux graves. Toutefois, il est crucial de noter que ce risque reste minoritaire et est souvent exacerbé par des facteurs concomitants tels que la consommation de substances psychoactives.
- Comparaison avec la population générale : Les personnes souffrant de maladies mentales sont dix fois plus susceptibles d'être victimes d'actes criminels qu'elles n'en sont les auteurs. En dehors des cas liés aux addictions, il n'existe pas de risque criminogène accru lié aux troubles mentaux.
Ainsi, bien que certains troubles psychiatriques puissent être associés à un risque accru de violence, la majorité des individus concernés ne présentent pas de dangerosité supérieure à celle de la population générale.
Dans Le Suicide (1897), Durkheim explique comment les troubles sociaux influencent la santé mentale des individus. Il parle d'anomie, un état de dérégulation sociale où les normes s’effondrent, menant à des comportements pathologiques, y compris la délinquance et la violence. Si l’on applique cette idée au système pénal actuel, on constate que l’exclusion et l’érosion des structures de soin psychiatrique favorisent l’isolement et la marginalisation des personnes souffrant de troubles mentaux. Dans Surveiller et punir (1975), Michel Foucault explique comment les institutions (prisons, hôpitaux psychiatriques) sont historiquement liées et comment la psychiatrie a été utilisée pour contrôler les comportements déviants plutôt que pour réellement soigner. Il montre comment la distinction entre "folie" et "crime" a été manipulée pour justifier la répression sociale.
Alexandre Baratta : En effet, les chiffres publiés par le ministère de l'Intérieur tendent à montrer une augmentation des faits de violences tout azimut : violences conjugales, viols, homicides. Pour autant la prévalence des troubles graves de la personnalité (ainsi que des maladies mentales) reste stable. Ce qui signifie que les auteurs de violences ne sont pas nécessairement plus nombreux. L'explication pourrait être plus simple : ils passent à l'acte plus souvent, et selon des modalités encore plus violentes, dans un phénomène d'escalade.
Une autre piste doit également être abordée. Celle de l'éducation positive de nos enfants, phénomène en vogue depuis quelques années. Le problème posé est celui de l'absence de cadre et de limites posées aux enfants, qui ne connaissent plus le sentiment de frustration. Ils grandissent dans une bulle émotionnellement aseptisée, où tout devient accessible instantanément, sans fournir d'effort important. Arrivés à l'âge adulte, les premières expériences de frustration en société sont vécues de façon déstabilisante, et le jeune adulte se retrouve en difficulté dans la gestion de ses émotions. Ce mécanisme pourrait expliquer, en partie, la multiplication des cas de violences dans les jeunes populations.
Cela pourrait nous éclairer au moins en partie quant au profil d'Owen, tuant sa jeune victime, sur fond de frustration mineure. Tous les joueurs de Fortnite ne sont pas de tueurs en puissance et d'autres facteurs de vulnérabilités doivent être identifiés. L'éduction positive pourrait bien y jouer un rôle.
Remettre du cadre, poser des limites, représente la base d'une vie en société. Et il me semble impossible d'en faire l'économie si l'on veut réduire les actes de violences en société. Cela doit commencer dès le plus jeune âge au niveau éducatif. Et se poursuivre sur le long cours, avec des sanctions adaptées à la gravité des faits commis. Un médecin de Drancy a été violemment agressé par l'un de ses patients en novembre dernier. L'auteur des faits a été condamné à une peine symbolique de 3 semaines de travaux d'intérêt général, rappelant le principe de l'éducation positive. Comme le disait Sénèque en son temps : "on doit punir, non pour punir, mais pour prévenir".
Parvenons-nous à identifier et à suivre correctement les personnes souffrants de troubles psychiatriques ?
Alexandre Baratta : Diagnostiquer une maladie mentale ne pose aucune difficulté. Concernant l'évaluation d'un risque de violence chez les malades mentaux, la Haute Autorité de Santé (HAS) avait publié des recommandations en 2010 auprès des professionnels de la santé mentale. Les facteurs de risques sont bien connus. Et la meilleure façon d'éviter un passage à l'acte, c'est de bien soigner un malade mental. Et c'est là que le bât blesse. Depuis plusieurs décennies, le nombre de lits ne cesse de diminuer dans les hôpitaux psychiatriques. Résultat : une réduction considérable de la durée d'hospitalisation. Elle passe de 86 jours en 1989 à 45 jours en 2000. En 2010, elle est passée à 29 jours puis à 25 jours en 2021. La prise en charge hospitalière couteuse, est réduite au profit des prises en charges ambulatoires. Avec en conséquence des malades mentaux quittant l'hôpital partiellement stabilisés, donc encore en état de fragilité. Et il est avéré que la période suivant la sortie d'une hospitalisation sous contrainte (justifiée par des comportements violents) est précisément un moment à risque de renouvellement de passage à l'acte. L'illustration que nous pouvons apporter est celle de l'attaque au couteau commise en Eure-et-Loire, le 13 février dernier, par un patient, identifié comme dangereux par les psychiatres assurant son suivi, et ayant fugué de son hôpital de jour.
Pour l'immense majorité des auteurs de crimes (qui ne souffrent d'aucune maladie mentale) là encore il n'y a pas de difficulté à identifier leurs fragilités. Les intéressés ne souffrant pas de trouble psychiatrique, leur suivi ne dépend donc pas de la psychiatrie mais de la justice. Et il est de notoriété publique que la Justice connait, à l'image de la psychiatrie, un état de délabrement en France. Manque de places de prisons, sous effectifs chronique chez les Conseillers d'Insertion et de Probation (SPIP), et les magistrats qui croulent sous des montagnes de dossiers. Pour illustrer mon propos, je prendrais le cas de Tony Meilhon, condamné pour le meurtre de Laetitia Perrais en 2011. Il était déjà connu de la justice avec 5 précédentes condamnations, dont une pour vols à main armée. Lorsqu'il tue sa victime, il est sorti de prison depuis un an et devait être encadré par un suivi socio judiciaire. Suivi n'ayant jamais été mis en place, faute de SPIP et de magistrats suffisants en nombre dans le ressort du Tribunal de Nantes.
Le problème posé par la violence commise au nom d'une idéologie religieuse extrémiste est plus complexe à analyser. Le suivi de ces auteurs reste difficile en fonction du profil et du risque persistant de récidive. S'ils sont atteints d'une maladie mentale sous-jacente, la stabilisation de cette dernière ne signifie pas pour autant que la personne ne sera plus dangereuse. Le risque persistera au nom de l'idéologie, qui, elle, sera toujours présente. La radicalisation n'est pas une maladie mentale.
Quel est le regard que porte l’institution judiciaire sur la psychiatrie ? Y a-t-il une forme de culture de l’excuse qui est à l’oeuvre ? Les personnalités du monde judiciaire sont-elles bien armées intellectuellement pour comprendre les individus concernés par des troubles psychiatriques ?
Pascal Neveu : La psychiatrie a toujours été le parent pauvre du monde médical. Et cela augmente avec es années.
Contrairement à la notion de responsabilité, la dangerosité n’est pas un concept juridique, mais une notion criminologique qui sert à définir une politique criminelle. Elle évoque la probabilité de survenue d’une nouvelle infraction et d’une infraction grave. Dès lors, pour le juge, elle constitue un élément d’appréciation de la sanction à infliger au regard du risque de récidive qu’elle représente. Ce sont les experts psychiatres qui vont être invités dans la deuxième moitié du XXe siècle à se prononcer sur la dangerosité de l’accusé et qui distingueront alors « dangerosité psychiatrique » et « dangerosité criminologique ».
Depuis 1994, le lien entre les questions de réitération, récidive, dangerosité, peine et mesure de sûreté a été constant. Plusieurs textes, de la loi de 1998 sur les infractions sexuelles à la loi du 10 mars 2010 sur la récidive criminelle, illustrent la renaissance d’une politique criminelle inspirée par la défense sociale qui est dirigée vers la prévention de la récidive par la dissuasion, la surveillance, les soins ou la neutralisation.
« On assiste à un déplacement de l’hôpital psychiatrique vers la prison » s’alarmait déjà il y a près de quinze ans le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE). Selon la dernière enquête, plus de 20% des personnes incarcérées sont atteintes de troubles psychotiques dont 7,3% de schizophrénie et 7% de paranoïa et autres psychoses hallucinatoires chroniques. Au total, huit hommes détenus sur dix et plus de sept femmes sur dix présentent au moins un trouble psychiatrique, la grande majorité en cumulant plusieurs (troubles anxieux, dépressions, troubles bipolaires, psychoses…) et des dépendances. 35% à 42% des hommes étaient considérés comme manifestement malades, gravement malades ou parmi les patients les plus malades (2006). Des résultats qui font écho à une enquête régionale plus récente, menée entre 2015 et 2017 dans le Nord-Pas-de-Calais : les comorbidités sont très fréquentes en détention. 45% des arrivants présentent au moins deux troubles psychiatriques et plus de 18% au moins quatre. Le taux de pathologies psychiatriques est quatre à dix fois plus élevé en prison que dans la population générale. Or, la prison est un milieu pathogène. Et « l’incarcération de personnes atteintes de maladies mentales graves ne peut qu’entraîner une perte de repères et de sens : perte du sens même de la peine et de l’emprisonnement » mais aussi « perte du sens même du soin et du rôle de soignant » comme le relève le CCNE. Pourtant, loin de remédier à ce phénomène par une réflexion sur les failles de la psychiatrie générale en milieu libre, les pouvoirs publics mettent en place des dispositifs judiciaro-sanitaires qui avalisent la présence de ces publics en prison.
Cependant, la justice ne dispose pas des moyens nécessaires pour identifier les pathologies mentales.
A quel point l’institution judiciaire et la classe politique passent-elles à côté de cet enjeu-là, de la question des troubles psychiatriques ? Y a-t-il suffisamment de moyens, notamment sur le plan budgétaire, déployés par l’institution judiciaire et par la classe politique pour encadrer et accompagner les personnes concernées par des troubles psychiatriques pour limiter les passages à l’acte violents et renforcer la sécurité au sein de la société ?
Gérald Pandelon : La gestion des troubles psychiatriques constitue un défi majeur pour les institutions judiciaires et politiques, tant sur le plan des ressources que des approches adoptées :
- Ressources allouées : La psychiatrie en France a connu une réduction significative de ses capacités d'hospitalisation, passant de 77 000 lits en 1987 à 55 000 en 2000, en partie compensée par une augmentation du recours aux médicaments psychotropes. Cette diminution des moyens dédiés à la psychiatrie a conduit à une prise en charge insuffisante des troubles mentaux, contribuant potentiellement à une augmentation des comportements violents non maîtrisés.
- Prise en charge en milieu carcéral : La surpopulation carcérale en France est préoccupante, avec 79 631 détenus pour 62 279 places, entraînant des conditions de détention indignes et des répercussions sur le personnel pénitentiaire. Cette situation complique la prise en charge adéquate des détenus souffrant de troubles mentaux, nécessitant des solutions alternatives telles que des peines substitutives et une meilleure articulation entre soins en ville et hospitaliers.
Enfin, la problématique de radicalisation religieuse est souvent le fait de profils de personnalités mal structurés (paranoïaque et/ou psychopathiques). La co-existence d'une éventuelle maladie mentale reste possible mais n'est pas systématique. S'agissant d'une problématique récente dans l'histoire de la criminologie, et les auteurs pouvant venir de "l'intérieur" comme de "l'extérieur", il me semble très difficile de pouvoir en faire une évaluation précise du phénomène. Toutefois, il semble utile de rappeler que ce profil reste statistiquement très minoritaire comparativement à tous les autres auteurs de délits et crimes violents commis en France.
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Par rapport aux données sur la délinquance, quels sont les chiffres et les proportions de personnes concernées par des troubles psychiatriques qui sont parmi les délinquants ? Quelle part de la délinquance, de la criminalité peut être imputée aux personnes souffrant de troubles psychiatriques ? Ces données sont-elles bien plus importantes et hautes par rapport aux chiffres de la délinquance de la population générale ?Pascal Neveu : Dans les années 1930, de nombreux pays européens ont créé des structures visant à accueillir spécifiquement les personnes souffrant de troubles psychiatriques ayant commis une infraction pénale et présentant un « danger » pour la société.
La peur du crime immotivé, la peur de l’acte irraisonné ont conduit à édifier des règles spéciales pour cette population de malades. Le Code civil de 1804 prévoyait des mesures d’interdiction visant autant à « protéger » la société qu’à protéger l’individu, car les autorités publiques ne devaient intervenir que dans les cas prévus dans l’article 491 où la « fureur » de l’insensé menaçait « le repos et la sûreté publique ». Dans tous les autres cas, c’était à la famille seule de statuer sur l’avenir de l’aliéné (art. 490). Elle pouvait garder l’aliéné, à condition de l’empêcher de troubler l’ordre public. Cette clause restrictive fut renforcée par le Code pénal de 1810, qui prévoyait des peines de police pour ceux qui auraient laissé « divaguer des fous ou des furieux étant sous leur garde » (art. 475 n° 7). Et surtout, l’article 64 du Code pénal prévoyait l’irresponsabilité pénale en cas de démence au moment des faits. Le sort de l’irresponsable n’était pas pour autant réglé car il restait placé en prison sur décision administrative. Ce n’est qu’en 1838 que la loi a organisé les asiles en hôpitaux départementaux. Les mêmes ambiguïtés ont présidé à cette institutionnalisation. On peut lire dans le rapport Vivien de mars 1837 : « Nous n’avons pas voulu faire une loi judiciaire de procédure, une loi de chicane, nous avons considéré d’abord l’intérêt du malade » alors que De Portalis, à la Chambre des pairs, le 8 février 1838, déclarait : « Nous ne faisons pas une loi pour la guérison des personnes menacées ou atteintes d’aliénation mentale, nous faisons une loi d’administration de police et de sureté. » La psychiatrie était ainsi au service de l’ordre public par le biais du placement d’office.
Il est important de noter que toutes les données internationales sont concordantes. Toutes les personnes souffrant de troubles mentaux graves ne sont pas violentes et toute violence n’est pas attribuable à la maladie mentale. Si dans les études internationales disponibles, les personnes souffrant de troubles mentaux graves sont 4 à 7 fois plus souvent auteurs de violence que les personnes sans trouble mental, elles ne sont que rarement auteurs d’actes de violence grave.
En présence de ces comorbidités (prises d’alcool ou d’autres substances psycho-actives ou d’un trouble de la personnalité antisociale) le risque est 2 fois supérieur à celui des personnes sans trouble mental.
Le plus souvent, la violence des personnes souffrant de troubles mentaux est dirigée contre les proches ou les membres de la famille. Par ailleurs, la violence, dont ils sont eux-mêmes l’objet, est méconnue. En effet, elles sont 7 à 17 fois plus souvent victimes de violence (verbale et/ou physique) que les personnes sans trouble mental.
Les passages à l’acte violents de personnes concernées par des troubles psychiatriques sont-ils en hausse actuellement ? Y a-t-il une réelle recrudescence des passages à l’acte et de faits délictuels de la part de personnes atteintes de troubles psychiatriques par rapport aux années et aux décennies passées ? Existe-t-il une évolution de la prévalence de tels troubles en France ?
Pascal Neveu : Tous auteurs d’homicide (ayant ou non des troubles mentaux) confondus relevaient la relation suivante entre l’auteur et sa victime : un membre de la famille ou le partenaire dans 36 % des cas, une connaissance ou un voisin dans 39 % des cas et une victime inconnue dans 25 % des cas. Dans 75 % des cas, les personnes concernées se connaissaient. Au sein des homicides commis par des hommes, on relevait que 44 % des victimes étaient un membre de la famille de l’auteur chez les personnes souffrant de troubles mentaux, contre 24 % quand l’auteur était indemne de trouble mental. Chez les femmes, le pourcentage de victimes intrafamiliales était identique dans les deux groupes. Les victimes privilégiées des hommes étaient l’épouse et la maîtresse chez les auteurs d’homicide indemnes de trouble mental, l’épouse et la mère chez les auteurs souffrant de troubles mentaux. Les victimes des femmes auteurs d’homicide étaient le mari lorsqu’elles ne souffraient pas de trouble mental et les enfants quand elles souffraient d’un trouble mental.
Il reste cependant un pourcentage croissant d’actes criminels ou violents dont les études actuelles ne sont pas publiées afin de voir un lien avec la désaffection psychiatrique, des patients non diagnostiqués ou suivis médicalement, des sorties de structures pénitentiaires, des troubles de l’identité suite à un petite de repère identitaire.
Gérald Pandelon : L'analyse historique et criminologique révèle des tendances contrastées concernant la violence associée aux troubles mentaux :
- Augmentation du risque de violence : Des études épidémiologiques indiquent une hausse du risque de comportements violents chez les personnes atteintes de troubles mentaux graves. Toutefois, il est crucial de noter que ce risque reste minoritaire et est souvent exacerbé par des facteurs concomitants tels que la consommation de substances psychoactives.
- Comparaison avec la population générale : Les personnes souffrant de maladies mentales sont dix fois plus susceptibles d'être victimes d'actes criminels qu'elles n'en sont les auteurs. En dehors des cas liés aux addictions, il n'existe pas de risque criminogène accru lié aux troubles mentaux.
Ainsi, bien que certains troubles psychiatriques puissent être associés à un risque accru de violence, la majorité des individus concernés ne présentent pas de dangerosité supérieure à celle de la population générale.
Dans Le Suicide (1897), Durkheim explique comment les troubles sociaux influencent la santé mentale des individus. Il parle d'anomie, un état de dérégulation sociale où les normes s’effondrent, menant à des comportements pathologiques, y compris la délinquance et la violence. Si l’on applique cette idée au système pénal actuel, on constate que l’exclusion et l’érosion des structures de soin psychiatrique favorisent l’isolement et la marginalisation des personnes souffrant de troubles mentaux. Dans Surveiller et punir (1975), Michel Foucault explique comment les institutions (prisons, hôpitaux psychiatriques) sont historiquement liées et comment la psychiatrie a été utilisée pour contrôler les comportements déviants plutôt que pour réellement soigner. Il montre comment la distinction entre "folie" et "crime" a été manipulée pour justifier la répression sociale.
Alexandre Baratta : En effet, les chiffres publiés par le ministère de l'Intérieur tendent à montrer une augmentation des faits de violences tout azimut : violences conjugales, viols, homicides. Pour autant la prévalence des troubles graves de la personnalité (ainsi que des maladies mentales) reste stable. Ce qui signifie que les auteurs de violences ne sont pas nécessairement plus nombreux. L'explication pourrait être plus simple : ils passent à l'acte plus souvent, et selon des modalités encore plus violentes, dans un phénomène d'escalade.
Une autre piste doit également être abordée. Celle de l'éducation positive de nos enfants, phénomène en vogue depuis quelques années. Le problème posé est celui de l'absence de cadre et de limites posées aux enfants, qui ne connaissent plus le sentiment de frustration. Ils grandissent dans une bulle émotionnellement aseptisée, où tout devient accessible instantanément, sans fournir d'effort important. Arrivés à l'âge adulte, les premières expériences de frustration en société sont vécues de façon déstabilisante, et le jeune adulte se retrouve en difficulté dans la gestion de ses émotions. Ce mécanisme pourrait expliquer, en partie, la multiplication des cas de violences dans les jeunes populations.
Cela pourrait nous éclairer au moins en partie quant au profil d'Owen, tuant sa jeune victime, sur fond de frustration mineure. Tous les joueurs de Fortnite ne sont pas de tueurs en puissance et d'autres facteurs de vulnérabilités doivent être identifiés. L'éduction positive pourrait bien y jouer un rôle.
Remettre du cadre, poser des limites, représente la base d'une vie en société. Et il me semble impossible d'en faire l'économie si l'on veut réduire les actes de violences en société. Cela doit commencer dès le plus jeune âge au niveau éducatif. Et se poursuivre sur le long cours, avec des sanctions adaptées à la gravité des faits commis. Un médecin de Drancy a été violemment agressé par l'un de ses patients en novembre dernier. L'auteur des faits a été condamné à une peine symbolique de 3 semaines de travaux d'intérêt général, rappelant le principe de l'éducation positive. Comme le disait Sénèque en son temps : "on doit punir, non pour punir, mais pour prévenir".
Parvenons-nous à identifier et à suivre correctement les personnes souffrants de troubles psychiatriques ?
Alexandre Baratta : Diagnostiquer une maladie mentale ne pose aucune difficulté. Concernant l'évaluation d'un risque de violence chez les malades mentaux, la Haute Autorité de Santé (HAS) avait publié des recommandations en 2010 auprès des professionnels de la santé mentale. Les facteurs de risques sont bien connus. Et la meilleure façon d'éviter un passage à l'acte, c'est de bien soigner un malade mental. Et c'est là que le bât blesse. Depuis plusieurs décennies, le nombre de lits ne cesse de diminuer dans les hôpitaux psychiatriques. Résultat : une réduction considérable de la durée d'hospitalisation. Elle passe de 86 jours en 1989 à 45 jours en 2000. En 2010, elle est passée à 29 jours puis à 25 jours en 2021. La prise en charge hospitalière couteuse, est réduite au profit des prises en charges ambulatoires. Avec en conséquence des malades mentaux quittant l'hôpital partiellement stabilisés, donc encore en état de fragilité. Et il est avéré que la période suivant la sortie d'une hospitalisation sous contrainte (justifiée par des comportements violents) est précisément un moment à risque de renouvellement de passage à l'acte. L'illustration que nous pouvons apporter est celle de l'attaque au couteau commise en Eure-et-Loire, le 13 février dernier, par un patient, identifié comme dangereux par les psychiatres assurant son suivi, et ayant fugué de son hôpital de jour.
Pour l'immense majorité des auteurs de crimes (qui ne souffrent d'aucune maladie mentale) là encore il n'y a pas de difficulté à identifier leurs fragilités. Les intéressés ne souffrant pas de trouble psychiatrique, leur suivi ne dépend donc pas de la psychiatrie mais de la justice. Et il est de notoriété publique que la Justice connait, à l'image de la psychiatrie, un état de délabrement en France. Manque de places de prisons, sous effectifs chronique chez les Conseillers d'Insertion et de Probation (SPIP), et les magistrats qui croulent sous des montagnes de dossiers. Pour illustrer mon propos, je prendrais le cas de Tony Meilhon, condamné pour le meurtre de Laetitia Perrais en 2011. Il était déjà connu de la justice avec 5 précédentes condamnations, dont une pour vols à main armée. Lorsqu'il tue sa victime, il est sorti de prison depuis un an et devait être encadré par un suivi socio judiciaire. Suivi n'ayant jamais été mis en place, faute de SPIP et de magistrats suffisants en nombre dans le ressort du Tribunal de Nantes.
Le problème posé par la violence commise au nom d'une idéologie religieuse extrémiste est plus complexe à analyser. Le suivi de ces auteurs reste difficile en fonction du profil et du risque persistant de récidive. S'ils sont atteints d'une maladie mentale sous-jacente, la stabilisation de cette dernière ne signifie pas pour autant que la personne ne sera plus dangereuse. Le risque persistera au nom de l'idéologie, qui, elle, sera toujours présente. La radicalisation n'est pas une maladie mentale.
Quel est le regard que porte l’institution judiciaire sur la psychiatrie ? Y a-t-il une forme de culture de l’excuse qui est à l’oeuvre ? Les personnalités du monde judiciaire sont-elles bien armées intellectuellement pour comprendre les individus concernés par des troubles psychiatriques ?
Pascal Neveu : La psychiatrie a toujours été le parent pauvre du monde médical. Et cela augmente avec es années.
Contrairement à la notion de responsabilité, la dangerosité n’est pas un concept juridique, mais une notion criminologique qui sert à définir une politique criminelle. Elle évoque la probabilité de survenue d’une nouvelle infraction et d’une infraction grave. Dès lors, pour le juge, elle constitue un élément d’appréciation de la sanction à infliger au regard du risque de récidive qu’elle représente. Ce sont les experts psychiatres qui vont être invités dans la deuxième moitié du XXe siècle à se prononcer sur la dangerosité de l’accusé et qui distingueront alors « dangerosité psychiatrique » et « dangerosité criminologique ».
Depuis 1994, le lien entre les questions de réitération, récidive, dangerosité, peine et mesure de sûreté a été constant. Plusieurs textes, de la loi de 1998 sur les infractions sexuelles à la loi du 10 mars 2010 sur la récidive criminelle, illustrent la renaissance d’une politique criminelle inspirée par la défense sociale qui est dirigée vers la prévention de la récidive par la dissuasion, la surveillance, les soins ou la neutralisation.
« On assiste à un déplacement de l’hôpital psychiatrique vers la prison » s’alarmait déjà il y a près de quinze ans le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE). Selon la dernière enquête, plus de 20% des personnes incarcérées sont atteintes de troubles psychotiques dont 7,3% de schizophrénie et 7% de paranoïa et autres psychoses hallucinatoires chroniques. Au total, huit hommes détenus sur dix et plus de sept femmes sur dix présentent au moins un trouble psychiatrique, la grande majorité en cumulant plusieurs (troubles anxieux, dépressions, troubles bipolaires, psychoses…) et des dépendances. 35% à 42% des hommes étaient considérés comme manifestement malades, gravement malades ou parmi les patients les plus malades (2006). Des résultats qui font écho à une enquête régionale plus récente, menée entre 2015 et 2017 dans le Nord-Pas-de-Calais : les comorbidités sont très fréquentes en détention. 45% des arrivants présentent au moins deux troubles psychiatriques et plus de 18% au moins quatre. Le taux de pathologies psychiatriques est quatre à dix fois plus élevé en prison que dans la population générale. Or, la prison est un milieu pathogène. Et « l’incarcération de personnes atteintes de maladies mentales graves ne peut qu’entraîner une perte de repères et de sens : perte du sens même de la peine et de l’emprisonnement » mais aussi « perte du sens même du soin et du rôle de soignant » comme le relève le CCNE. Pourtant, loin de remédier à ce phénomène par une réflexion sur les failles de la psychiatrie générale en milieu libre, les pouvoirs publics mettent en place des dispositifs judiciaro-sanitaires qui avalisent la présence de ces publics en prison.
Cependant, la justice ne dispose pas des moyens nécessaires pour identifier les pathologies mentales.
A quel point l’institution judiciaire et la classe politique passent-elles à côté de cet enjeu-là, de la question des troubles psychiatriques ? Y a-t-il suffisamment de moyens, notamment sur le plan budgétaire, déployés par l’institution judiciaire et par la classe politique pour encadrer et accompagner les personnes concernées par des troubles psychiatriques pour limiter les passages à l’acte violents et renforcer la sécurité au sein de la société ?
Gérald Pandelon : La gestion des troubles psychiatriques constitue un défi majeur pour les institutions judiciaires et politiques, tant sur le plan des ressources que des approches adoptées :
- Ressources allouées : La psychiatrie en France a connu une réduction significative de ses capacités d'hospitalisation, passant de 77 000 lits en 1987 à 55 000 en 2000, en partie compensée par une augmentation du recours aux médicaments psychotropes. Cette diminution des moyens dédiés à la psychiatrie a conduit à une prise en charge insuffisante des troubles mentaux, contribuant potentiellement à une augmentation des comportements violents non maîtrisés.
- Prise en charge en milieu carcéral : La surpopulation carcérale en France est préoccupante, avec 79 631 détenus pour 62 279 places, entraînant des conditions de détention indignes et des répercussions sur le personnel pénitentiaire. Cette situation complique la prise en charge adéquate des détenus souffrant de troubles mentaux, nécessitant des solutions alternatives telles que des peines substitutives et une meilleure articulation entre soins en ville et hospitaliers.
- Initiatives récentes : Des dispositifs tels que le Centre renforcé d'urgences psychiatrie (CRUP) ont été mis en place pour améliorer la gestion des patients psychiatriques aux urgences. Cependant, la pénurie de professionnels de santé et les fermetures de lits compliquent la prise en charge rapide de ces patients, soulignant la nécessité d'une meilleure coordination entre les services de santé et les institutions judiciaires.
Dans L’homme criminel (1876), Lombroso défendait l'idée que certains individus étaient "prédestinés" à la criminalité en raison de traits physiologiques et mentaux. Si cette théorie a été largement critiquée et dépassée, elle a influencé la perception des troubles psychiatriques dans la criminalité.Aujourd’hui, les études modernes montrent que ce n’est pas la maladie mentale elle-même qui crée la criminalité, mais bien les conditions sociales et les interactions avec l’environnement (chômage, précarité, exclusion, consommation de drogues).
Perspective sociologique : Robert Merton et la théorie de la tension
Dans Social Structure and Anomie (1938), Merton explique que lorsque les individus ne peuvent pas atteindre les objectifs valorisés par la société (emploi, reconnaissance sociale), certains adoptent des comportements déviants. L’abandon des malades psychiatriques par le système de soin favorise une exclusion qui peut les pousser à des comportements violents.
En conclusion, la complexité de la relation entre troubles psychiatriques et criminalité exige une approche multidisciplinaire, intégrant des perspectives philosophiques, criminologiques, psychiatriques et historiques. Les données disponibles mettent en évidence la nécessité d'une politique publique renforcée, alliant prévention, soins adaptés et réponses judiciaires proportionnées, pour assurer la sécurité de la société tout en respectant les droits des personnes souffrant de troubles mentaux.
Pascal Neveu : Depuis sa création, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a relevé, à de nombreuses reprises, les carences de la prise en charge de la santé mentale des personnes détenues et leurs lourdes conséquences.
S'agissant des personnes détenues souffrant de troubles mentaux, le Contrôleur général s'assure du respect des droits fondamentaux liés à leur statut de détenu (défense, conditions de détention, dignité, intégrité physique et psychologique, maintien des liens familiaux, accès aux activités, accès aux soins, réinsertion) et de ceux qui s'attachent à leur qualité de patient (accès à une prise en charge équivalente à celle dont bénéficie la population générale, dignité et confidentialité des soins, libre choix du médecin, continuité des soins, etc.).
Cependant des pathologies lourdes aggravées par l'enfermement et l'isolement, un risque de suicide accru et des conditions de détention qui perturbent l'accès aux soins, nuisent à leur efficacité et, finalement, privent la sanction pénale de son sens. A l'origine de ces situations, trois facteurs principaux peuvent être identifiés : la méconnaissance des pathologies affectant la population pénale, l'insuffisance des moyens institutionnels de leur prise en charge et la banalisation d'atteintes quotidiennes aux droits fondamentaux, parfois de faible gravité, mais récurrentes.
La Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France à plusieurs reprises, en raison notamment du suicide de personnes détenues, de sanctions infligées à un détenu souffrant de troubles psychotiques et/ou de son maintien en détention, sans encadrement médical approprié. La dernière étude réalisée en France sur la santé mentale dans les prisons françaises montre que huit détenus masculins sur dix souffrent d'au moins un trouble psychiatrique dont 42 % des hommes et la moitié des femmes ayant des antécédents personnels et familiaux d'une gravité manifeste et 18 % ayant au moins quatre pathologies.
Il est aujourd'hui indispensable d'améliorer la connaissance des pathologies mentales des personnes détenues, en l'orientant vers la recherche d'une prise en charge adaptée.
De plus, les avocats, généralement désignés d'office, qui interviennent, n'ont pas toujours la possibilité d'étudier l'intégralité des dossiers et lorsqu'une expertise psychiatrique est diligentée, elle n'est pas suspensive : la personne objet de l'expertise est donc susceptible d'être incarcérée dans l'attente des conclusions. Lorsqu'une peine d'emprisonnement est prononcée, elle est souvent exécutée alors que l'état de la personne condamnée nécessiterait une prise en charge psychiatrique que la prison, contrairement à une idée reçue, parfois même parmi les magistrats, n'est pas en mesure de prodiguer.
Enfin, comme le souligne un rapport parlementaire de l'Assemblée nationale sur la détention, l'expertise psychiatrique traverse une crise profonde, en raison notamment du nombre insuffisant d'experts dotés des compétences criminologiques et pénales nécessaires, de la multiplication des demandes d'expertise, du manque de formation des professionnels et de la faible attractivité financière de cet exercice.
Le personnel pénitentiaire n'est pas non plus formé pour appréhender et gérer la maladie mentale.
Egalement, certains troubles mentaux préexistent à l'incarcération, tandis que d'autres peuvent survenir au cours de l'incarcération. Dans certains cas, des troubles latents mais « compensés » en milieu libre, peuvent se manifester ou s'aggraver en détention.
Puis, hélas, tragiquement, à sa sortie.
C'est pourquoi, ainsi qu'il l'a fait dans son rapport annuel pour 2013 et dans son rapport « Le personnel des lieux de privation de liberté » (8), le CGLPL recommande que le personnel de surveillance des établissements pénitentiaires bénéficie systématiquement d'une formation élémentaire à la détection et à la gestion des troubles mentaux de la population pénale. Il ne s'agit évidemment pas de conduire des surveillants à prendre en charge la pathologie mais de favoriser son repérage et la mise en œuvre de modalités de surveillance qui la prennent en compte sans l’aggraver.
Depuis la création des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) en 2002 (9 en tout), la prise en charge de la maladie mentale en prison est organisée selon trois modalités :
- l'ambulatoire, dans les unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP)
- l'hospitalisation de jour dans les services médico-psychologiques régionaux (SMPR) et certaines USMP
- l'hospitalisation complète, soit en UHSA, en soins libres ou sans consentement, soit dans des services psychiatriques de proximité, uniquement en soins sans consentement sur décision du représentant de l'Etat, prise à l'initiative du psychiatre et non de l'administration pénitentiaire ;
Enfin, le CGLPL a constaté de nombreuses difficultés rencontrées par les personnes détenues pour accéder à des soins psychiatriques. Cette situation est d'autant plus préjudiciable que la condamnation de ces personnes à une peine d'emprisonnement est le plus souvent assortie d'une obligation de soins qu'il leur est impossible de respecter dans le cadre de leur incarcération.
Il reste un grand chemin à parcourir et une énorme réforme dans ce domaine de la psychiatrie et de la justice.
Le personnel pénitentiaire n'est pas non plus formé pour appréhender et gérer la maladie mentale.
Egalement, certains troubles mentaux préexistent à l'incarcération, tandis que d'autres peuvent survenir au cours de l'incarcération. Dans certains cas, des troubles latents mais « compensés » en milieu libre, peuvent se manifester ou s'aggraver en détention.
Puis, hélas, tragiquement, à sa sortie.
C'est pourquoi, ainsi qu'il l'a fait dans son rapport annuel pour 2013 et dans son rapport « Le personnel des lieux de privation de liberté » (8), le CGLPL recommande que le personnel de surveillance des établissements pénitentiaires bénéficie systématiquement d'une formation élémentaire à la détection et à la gestion des troubles mentaux de la population pénale. Il ne s'agit évidemment pas de conduire des surveillants à prendre en charge la pathologie mais de favoriser son repérage et la mise en œuvre de modalités de surveillance qui la prennent en compte sans l’aggraver.
Depuis la création des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) en 2002 (9 en tout), la prise en charge de la maladie mentale en prison est organisée selon trois modalités :
- l'ambulatoire, dans les unités sanitaires en milieu pénitentiaire (USMP)
- l'hospitalisation de jour dans les services médico-psychologiques régionaux (SMPR) et certaines USMP
- l'hospitalisation complète, soit en UHSA, en soins libres ou sans consentement, soit dans des services psychiatriques de proximité, uniquement en soins sans consentement sur décision du représentant de l'Etat, prise à l'initiative du psychiatre et non de l'administration pénitentiaire ;
Enfin, le CGLPL a constaté de nombreuses difficultés rencontrées par les personnes détenues pour accéder à des soins psychiatriques. Cette situation est d'autant plus préjudiciable que la condamnation de ces personnes à une peine d'emprisonnement est le plus souvent assortie d'une obligation de soins qu'il leur est impossible de respecter dans le cadre de leur incarcération.
Il reste un grand chemin à parcourir et une énorme réforme dans ce domaine de la psychiatrie et de la justice.