Turquie : quatre notions clés pour comprendre l’ébullition actuelle - Par Samim Akgönül
Pour mieux comprendre ce qui se joue actuellement en Turquie, où des manifestations massives ont lieu sans discontinuer depuis l’arrestation, le 19 mars, du maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu, il convient de s’intéresser à des mots turcs – sans véritable traduction française – qui ont fait leur apparition, ou leur réapparition, dans l’espace public et qui traduisent la réécriture des règles politiques à laquelle se livre actuellement le pouvoir du président Recep Tayyip Erdogan.
Samim Akgönül est historien et politologue, enseignant chercheur à l'Université de Strasbourg et au CNRS
Arrêté le 19 mars, avec plusieurs dizaines de ses collaborateurs, d’élus et de membres du Parti républicain du peuple (CHP, kémaliste), pour des accusations de « corruption », de « terrorisme » et d’« aide au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) », le maire d’Istanbul Ekrem Imamoglu, 53 ans, élu en 2019 et réélu en 2024, a été démis de ses mandats et incarcéré le 23 mars.
Le pouvoir a également entrepris de remettre en cause ses acquis académiques, car, selon la Constitution, le président de la République doit être diplômé d’une université. Or, le diplôme universitaire d’Imamoglu, obtenu il y a 32 ans à l’Université d’Istanbul, vient d’être annulé sous la pression du pouvoir. Ironiquement, Recep Tayyip Erdogan est lui-même soupçonné de ne pas avoir réellement obtenu le diplôme universitaire dont il se prévaut, et ne peut présenter aucune preuve de fréquentation universitaire (photos, témoignages, etc.), même si l’université dont il prétend être diplômé assure qu’il y était bien étudiant.
Cette brutale mise à l’écart d’un personnage politique incontournable en Turquie, séduisant tant l’électorat séculier que les milieux conservateurs, et qui était pressenti pour être le candidat de l’opposition face à Erdogan à la présidentielle de 2028, a immédiatement suscité une vaste réaction. Depuis une semaine, le pays est balayé par une vague d’immenses manifestations réunissant des centaines de milliers de personnes exprimant leur solidarité avec l’édile emprisonné. On y retrouve des jeunes comme des universitaires, en passant par des citoyens issus de villes traditionnellement fidèles à l’AKP. Tandis que les médias classiques restent étrangement silencieux et que X a déjà bloqué, à la demande d’Ankara, de nombreux comptes d’opposition, les chiffres avancés par le secrétaire général du CHP évoquent un million de manifestants.
Dans ce contexte explosif, il est utile de s’arrêter sur certains termes spécifiques, très présents dans le débat public turc actuel, qui reflètent finement la situation actuelle d’un pays en ébullition.