Béatrice Brugère : «Les ultra-courtes peines permettront paradoxalement de vider les prisons»

Alors que l’Assemblée nationale vient d’adopter une proposition de loi visant à revenir sur l’aménagement obligatoire des courtes peines, le syndicat Unité Magistrats FO publie une note en faveur de peines de prison ultra-courtes. Sa secrétaire générale, Béatrice Brugère, explique cette position.

Magistrate, Béatrice Brugère est secrétaire générale du syndicat Unité Magistrats FO, qui publie la note « Les ultra-courtes peines, un changement nécessaire de paradigme ».

LE FIGARO. - Le nombre d’entrées en prison par an n’a pas augmenté depuis 1980, il a même diminué si l’on prend en compte l’élévation de la population générale en France qui a augmenté d’environ 23 %. Comment expliquer ce paradoxe ?

Béatrice BRUGÈRE. -
Notre politique d’exécution des peines ne satisfait ni les magistrats, du fait de sa complexité, ni les citoyens, du fait de son inefficacité (en termes de récidive et de sanctions), ni l’administration pénitentiaire, du fait de la surpopulation carcérale. Son objectif est de privilégier des alternatives aux poursuites et à l’incarcération. Pour autant, nous souffrons de plus en plus d’une surpopulation carcérale : nous manquons de places de prison par rapport à la moyenne européenne et la promesse de 15.000 nouvelles places faite par Emmanuel Macron lors de son premier mandat n’a pas été tenue.

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Nos prisons sont ainsi de plus en plus sous tension, alors que l’on incarcère de moins en moins : en 1980, il y avait près de 97.000 entrants ; il y en a moins de 80.000 par année désormais. Paradoxalement, donc, malgré une tendance à l’incarcération plus faible qu’en 1980 - surtout si l’on prend en compte l’augmentation de la population - nos prisons débordent, l’insécurité augmente et la violence et la criminalité ne sont pas contenues.

LE FIGARO. - Dans quelle mesure les peines de moins d’un an sont-elles véritablement exécutées en France à l’heure actuelle ? Comment expliquez-vous la volonté française de privilégier des peines de prison longues au détriment de l’exécution réelle des plus courtes ?

En 2019, la ministre Nicole Belloubet a fait voter une loi d’application des peines, qui s’inscrit dans un contexte idéologique, depuis Christiane Taubira, défavorable à la prison et aux courtes peines, mais aussi dans un échec à endiguer la surpopulation carcérale. Cette loi empêche les magistrats de prononcer des peines courtes (inférieures à un mois) et conduit à l’aménagement quasi automatique des peines jusqu’à un an. En réalité, les peines d’un an représentent plus de deux tiers des peines. Cette loi part du postulat que la détention doit être l’ultime recours du magistrat qui doit au préalable prononcer des alternatives à l’incarcération (travail d’intérêt général, sursis, bracelet électronique, etc.) - car la prison, notamment sur les courtes peines, ne remplirait pas son rôle de sanction utile ni de prévention de la récidive ou de réinsertion.

Mon intérêt ne se porte pas tant sur les courtes peines que sur les ultra-courtes peines qui vont de 7 à 14 jours et ont fait l’objet d’études en termes d’efficacité. Ainsi, ce qui est à l’origine de la surpopulation carcérale n’est pas que l’on prononce davantage de peines de prison mais vient de l’allongement du temps moyen d’incarcération qui a doublé depuis les années 1980 car les peines sont prononcées très tard dans un parcours de délinquance et souvent trop tard pour avoir un effet sur la réinsertion.

LE FIGARO. - Quels seraient les avantages des ultra-courtes peines que vous préconisez ?

Elles sont rapides, efficaces et proportionnelles. Il s’agit de sanctionner avec justesse et de manière certaine, pour éviter par exemple que les mineurs s’ancrent dans la délinquance. Elles pourraient aider à réduire la surpopulation carcérale avec des prisons qui ne seraient plus des lieux de détention ultimes. Ces ultra-courtes peines n’ont jamais été mises en place en France. Il était possible de prononcer jusqu’à un mois de prison, mais les ultra-courtes peines relèvent encore d’un autre système et ont été beaucoup employées dans les pays du Nord. L’Allemagne, elle, utilise des jours-amendes. Ce sont des peines qui, arrivant vite dans le parcours de délinquance, ne sont pas désocialisantes, rappellent la loi, sanctionnent de façon proportionnelle et évitent les classements.

LE FIGARO. - Aux Pays-Bas, le nombre d’entrées en prison chaque année est parmi les plus élevés d’Europe, tout comme le nombre de sorties de prison. Faudrait-il se rapprocher de ce modèle ? Quels sont les autres grands modèles européens ?

Ces peines permettent de lutter contre le sentiment d’impunité. La détention, actuellement utilisée comme le dernier recours, pourrait être employée plus rapidement pour tous les faits de violences avec atteinte grave à l’intégrité physique. Pour les mineurs, cela consiste aussi à poser des limites - ce que le pédopsychiatre Maurice Berger appelle une butée.

Si vous attendez trop longtemps, vous pourriez avoir une personne dont la peine n’a soit pas encore été exécutée, soit été aménagée, au risque de ne pas dissuader un condamné qui souhaiterait recommencer. Aux Pays-Bas, on observe donc un paradoxe : plus ils incarcèrent, moins leurs prisons sont pleines. Les incarcérations sont très courtes, il y a un renouvellement des détenus. De plus, cette politique nécessite très peu de places de prison ou d’établissements avec beaucoup de moyens de sécurité et donc pourrait être mise en place très vite. Pour 10.000 condamnations à 7 jours, on estime avoir besoin de 400 places.

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Les ultra-courtes peines sont ainsi un changement de paradigme total : les alternatives à l’incarcération n’ont jamais prouvé réellement leur efficacité contre la récidive. Certaines d’ailleurs ne sont pas efficaces : selon un rapport de mars 2025 de la Cour des comptes, les peines de travail d’intérêt général et le bracelet électronique présentent un taux de récidive élevé. Ainsi, le discours anti-détention est à la fois injuste et juste : injuste car les ultra-courtes peines n’ont jamais été essayées, tandis que les courtes peines souffrent d’un mauvais préjugé (criminogène, désocialisantes) ; juste car les places de prison manquent et les conditions de détention sont mauvaises. Il faut lutter contre l’argument selon lequel le manque de places invite à cesser les incarcérations et faire de la régulation. Il faut revoir la politique pénale d’exécution et réinvestir de manière sérieuse.

LE FIGARO. - Les aménagements de peine ou les condamnations sans incarcération trouvent-ils une place dans votre proposition ?

Les aménagements de peine conviennent à certains profils ciblés, pas à une politique pénale systématique. En décidant d’aménager chaque peine jusqu’à deux ans (maintenant un an), on a permis de remanier près de 80 % des peines prononcées. L’aménagement est devenu un droit. Je suis favorable aux aménagements de peine, mais les profils doivent être choisis avec précision et des moyens doivent être déployés. C’est le cas aux Pays-Bas et dans les pays du Nord où, en plus de ces aménagements de peine, une police de la probation a été mise en place, afin de vérifier que ces peines en milieu ouvert soient suivies avec sérieux.

En France, les services pénitentiaires n’ont pas les moyens de suivre tous les dossiers ! A contrario, les ultra-courtes peines n’impliquent pas de prononcer de la prison pour tous les délinquants. Elles ne concerneraient que les faits graves (atteintes aux personnes, violences) et les jeunes profils pour qui il faut arrêter rapidement un début de parcours de délinquance et de violence. Cette proposition était d’ailleurs à l’origine réfléchie pour les mineurs ultraviolents et réitérants. Il faut sortir de notre impasse pénale qui préconise de faire plus avec ce qui ne marche pas et regarder sans préjugés les pratiques qui sont en place ailleurs.

Béatrice Brugère : «Les ultra-courtes peines permettront paradoxalement de vider les prisons»