Bruno Tertrais: «À défaut de le prendre au mot, il faut prendre Donald Trump au sérieux»
Le géopolitologue Bruno Tertrais fait le point sur les cent premiers jours du nouveau mandat du président américain.
Depuis que Donald Trump est de retour à la Maison-Blanche, les États-Unis ont quitté l’Organisation mondiale de la santé, retiré leur signature de l’Accord de Paris sur le climat, démantelé leur programme humanitaire USAid, remis en cause leur aide militaire à l’Ukraine, entamé des pourparlers bilatéraux avec l’Iran sur le nucléaire, promis de transformer Gaza en nouvelle Riviera et déclaré une guerre tarifaire au monde entier, avant de la mettre en pause. Difficile face à une telle déferlante de voir clair dans le jeu du «roi du deal ». Le spécialiste des relations internationales Bruno Tertrais, qui présente l’avantage de n’être animé ni par la haine ni par la dévotion envers le nouveau président des États-Unis, fait le point sur les cent premiers jours de Trump 2 et montre en quoi l’Europe est en réalité mise au défi par l’administration américaine d’opérer ce qu’il appelle une « transition géostratégique».
Causeur. Vous faites partie des observateurs qui, notamment dans nos colonnes, avaient prédit que nous serions déroutés par Donald Trump. N’avez-vous pas toutefois été surpris par l’ampleur de ses annonces ?
Bruno Tertrais. Il est déjà arrivé par le passé qu’un président républicain accomplisse des gestes spectaculaires de ce type sur la scène internationale. Ronald Reagan s’était retiré de l’UNESCO. George W. Bush était sorti du traité sur les ABM (Anti-Ballistic Missiles). Ce qui est différent avec Trump, c’est qu’il est capable de prendre des initiatives auxquelles personne ne s’attendait, comme lorsque, durant son premier mandat, il a tenté de réconcilier son pays avec la Corée du Nord. En soi, l’imprévisibilité n’est pas nécessairement une mauvaise méthode géopolitique. Elle peut s’avérer un excellent moyen de déstabiliser un ennemi. Pendant la campagne de 2024, Trump avait dit que Xi n’envahirait pas Taïwan car « il sait que [je] suis totalement fou ». Il reprend ainsi ce que Richard Nixon avait appelé la « théorie du fou » : faire croire que l’on est prêt à tout pour faire plier l’adversaire. Le problème c’est que son propre équilibre mental semble effectivement laisser à désirer ! Et surtout que Trump déstabilise non seulement ses adversaires mais aussi ses alliés, à commencer par nous, les Européens…
Comment expliquez-vous une telle transgression des règles ?
Par l’inexpérience de l’équipe désormais au pouvoir à la Maison-Blanche, mais aussi par la psychologie extraordinairement autocentrée de Donald Trump. Nous avons affaire à des amateurs qui ne semblent pas bien réfléchir aux conséquences de leurs paroles et de leurs actes. Je pense notamment à l’envoyé spécial des États-Unis pour l’Ukraine, le général Keith Kellogg, qui a déclaré, le 12 avril, que Kiev pourrait finir par ressembler au « Berlin d’après la Seconde Guerre mondiale ». Ou à Steve Witkoff, l’envoyé spécial pour à peu près toutes les crises – et dont la seule compétence politique est d’avoir la pleine confiance de Trump – qui, la veille à Saint-Pétersbourg, posait sa main sur son cœur au moment de saluer son hôte Vladimir Poutine. Et je ne parle pas de la boucle de discussion sur la messagerie Signal dans laquelle le rédacteur en chef du magazine The Atlantic s’est retrouvé invité par erreur de sorte qu’il a été témoin d’échanges secret-défense sur un bombardement américain au Yemen… Mais le comportement le plus stupéfiant demeure celui de Donald Trump, qui par pur narcissisme, multiplie les caprices et les prises de parole choc afin de se donner l’impression de maîtriser la situation.