Comment lutter contre l’État-nounou ? - Par Philbert Carbon
Nous soulignions, il y a quelques semaines, l’infantilisation des Français par l’État qui les conduit à se comporter en enfants qui font tout le contraire de ce qu’on exige d’eux. Mais pourquoi ne s’opposent-ils pas plus fortement aux politiques d’« État nounou » ?
Responsable du département d’économie des modes de vie à l’Institute of Economic Affairs (IEA), Christopher Snowdon a mis au point le Nanny State Index qui classe les États européens en fonction de leur politique « moralisatrice », c’est-à-dire des réglementations et taxes comportementales qu’ils appliquent au tabac, à l’alcool et aux aliments et boissons sucrés. Dans la dernière note qu’il vient de rédiger pour l’IEA, Snowdon se demande si le peuple a les moyens de lutter contre ce paternalisme étatique délétère.
La logique déprimante de l’action collective
Snowdon s’appuie sur Mancur Olson et son ouvrage « La logique de l’action collective » pour expliquer que les petits groupes d’intérêt concentrés prévalent souvent sur les grands groupes d’intérêt diffus. Un exemple classique est celui d’une association professionnelle qui souhaite instaurer des tarifs douaniers afin de protéger ses membres de la concurrence. Ces derniers pouvant en escompter des bénéfices importants, ils sont fortement motivés pour les défendre. Des millions de consommateurs seront désavantagés par la hausse des prix qui en résultera, mais qui sera en quelque sorte diluée, trop pour inciter chacun, individuellement, à assumer les coûts d’une mobilisation qui défendrait l’intérêt collectif. De plus, si un « entrepreneur politique » décide de former un groupe de pression avec cet objectif, les consommateurs individuels bénéficieront de son existence, qu’ils y participent ou non (passager clandestin).
C’est ainsi qu’il existe, au Royaume-Uni, de très nombreux groupes financés par les industriels pour défendre leurs intérêts : British Soft Drinks Association, Food and Drink Federation, Freedom Organisation for the Right to Enjoy Smoking Tobacco (FOREST), Betting and Gaming Council, Scotch Whisky Association, etc. Cependant, ils ont tous plus ou moins perdu les batailles politiques qu’ils ont menées ces dernières années. Ils n’ont pas pu empêcher la taxe sur le sucre, l’interdiction de fumer dans les lieux publics, les emballages neutres des cigarettes, le prix minimum unitaire sur l’alcool, etc.
Ce sont ceux que Snowdon appelle les « groupes paternalistes de santé publique » qui ont remporté presque toutes les batailles. Pourquoi ? Parce qu’ils se présentent souvent comme les adversaires d’industriels uniquement intéressés par le profit. Qu’ils fabriquent des cigarettes, des spiritueux ou des bonbons, ces entreprises sont accusées de vouloir empoisonner les consommateurs pour gagner toujours plus d’argent. Snowdon cite Joseph Schumpeter pour qui il existe un « préjugé indéracinable selon lequel toute action destinée à servir le profit doit être antisociale de ce seul fait ».
Ce parti-pris anticapitaliste, conjugué à l’absence d’action collective des consommateurs, confère ainsi aux groupes de pression paternalistes un avantage politique considérable. Ils finiront, écrit Snowdon, par réduire à néant la liberté des adultes de manger, boire, vapoter, fumer et jouer, et les consommateurs, malgré leur nombre, lèveront à peine le petit doigt pour protester. Pour les défenseurs de la liberté individuelle et du libre marché, ce n’est pas une conclusion réjouissante.
Les consommateurs ne se mobilisent pas
Alors que la cigarette électronique est de plus en plus attaquée au Royaume-Uni, menacée de taxation accrue et d’usage réglementé dans les lieux publics, les associations de défense de la vape ont le plus grand mal à recruter des adhérents. WeVape, créée en 2020 pour représenter les utilisateurs, dispose d’un « budget très limité », selon son site web.La New Nicotine Alliance, une association regroupant ceux qui optent pour des alternatives plus sûres aux cigarettes, a déclaré 2 168,43 £ de cotisations en 2022/23.
De même, alors que la Chambre des communes a adopté (le 26/03/2025) l’interdiction générationnelle du tabac – qui consiste à interdire à vie la vente de produits du tabac à toute personne née après le 31 décembre 2008 – l’association Freedom 2Choose, fondée en 2007 pour défendre des droits des fumeurs, a bien du mal à encaisser 100 £ de cotisations par an !
Il n’en est pas autrement chez nous. Alors que le Gouvernement souhaite interdire les sachets de nicotine – solution pourtant efficace pour arrêter de fumer –, nous n’avons vu personne pétitionner, descendre dans la rue ou s’exprimer à la télévision pour s’y opposer.
Bien évidemment, cette faible mobilisation des consommateurs est interprétée, par les gouvernements et les « groupes de pression paternalistes », comme une absence d’opposition, voire un soutien aux politiques restrictives.
Quant aux « groupes de pression paternalistes », ils n’existent le plus souvent que parce qu’ils sont subventionnés. La célèbre Action on Smoking and Health (ASH) n’a collecté, en 2021/22, que 5 809 £ de dons. Des associations telles que UK Health Forum, Smokefree Southwest, Alcohol Concern et UK Public Health Network ont toutes été dissoutes lorsque les subventions gouvernementales, ou en provenance des collectivités locales, ont été supprimées.
En France, les associations anti-tabac qui défendent la hausse des taxes sur les cigarettes et l’interdiction des alternatives à nocivité réduite, sont toutes financées par l’État grâce au produit de ces mêmes taxes. Sans cet argent, elles n’existeraient plus depuis longtemps. Ce sont pourtant à elles, qui ne représentent personne, que les médias donnent toujours la parole.
Créer un mouvement de consommateurs contre la réglementation des modes de vie
Malgré tout, il existe encore une raison d’espérer. Et c’est chez Olson que Snowdon la trouve : « une incitation distincte et sélective incitera un individu rationnel au sein d’un groupe latent à agir de manière collective ». Autrement dit, si un groupe offre des avantages à ses membres – et à ses membres uniquement –, il peut surmonter le problème du passager clandestin évoqué plus haut.
Ces incitations sélectives peuvent n’avoir aucun lien direct avec la cause politique défendue par le groupe, et certains de ceux qui le rejoignent pour bénéficier des avantages exclusifs de l’adhésion peuvent n’avoir que peu d’intérêt pour la cause elle-même. Ils sont néanmoins incités à payer leur cotisation, non pas tant pour ce que le groupe peut faire pour eux en tant que membres d’un collectif, mais plutôt pour ce qu’il peut faire pour eux en tant qu’individus.
Par exemple, la Campaign for Real Ale (CAMRA), créée en 2004 pour promouvoir le brassage traditionnel, compte aujourd’hui plus de 100 000 membres. Pour Snowdon, ils n’ont pas tous été attirés par les combats de l’association pour la baisse des taxes sur la bière dans le secteur de la restauration ou contre les restrictions en matière de licences de pubs. En revanche, il est certain que la plupart des membres de la CAMRA sont intéressés par les avantages qu’elle leur offre : des exemplaires à prix réduit de son « Good Pub Guide », des abonnements avantageux à son magazine « Beer », des bons d’achat pour de la bière artisanale, des réductions sur les festivals de la bière….
Par conséquent, pour Christopher Snowdon, il apparaît évident que les associations de défense des buveurs, des vapoteurs et autres groupes de personnes menacés par une réglementation plus stricte et une fiscalité plus élevée, doivent s’inspirer de la CAMRA.
Par exemple, si quelqu’un veut créer une association de vapoteurs, il devrait contacter les fabricants et les détaillants de cigarettes électroniques pour leur demander d’accorder à ses membres une réduction de 10% ou 20% sur une sélection d’articles de leur gamme. Les économies annuelles réalisées par une personne qui profiterait pleinement de cette offre devraient, en toute hypothèse, dépasser le montant de la cotisation annuelle. Les entreprises y trouveraient aussi leur intérêt, en promouvant certains produits et en fidélisant les consommateurs.
Par conséquent, il devrait être ainsi possible de créer un groupe de consommateurs indépendant des industriels et du gouvernement. Une organisation comptant 10 000 membres acquittant une cotisation de 50 £ par an disposerait d’un budget de 500 000 £. Ce budget suffirait à embaucher une petite équipe à temps plein pour gérer ses activités quotidiennes et s’engager dans des actions publiques sur des sujets qui l’intéresse.
Pour Snowdon, les enseignements de la théorie des choix publics et l’expérience d’autres groupes de pression montrent qu’il est possible de créer un mouvement populaire contre le paternalisme coercitif. Saura-t-il trouver un leader en France ?
Comment lutter contre l’État-nounou ?