Espace : la course privé / public - Par Jean-Baptiste Noé

Longtemps, la course à l’espace a été du seul ressort des États. Les entreprises et les programmes étaient liés aux gouvernements, ainsi que les projets. Depuis une vingtaine d’années, les choses sont en train de changer et l’immersion d’Elon Musk bouleverse la mise. L’espace devient aussi un lieu privatisé.

La course à l’espace est liée aux programmes gouvernementaux et aux liens entre les scientifiques et l’armée, notamment celle de l’Air. L’envoi de Spoutnik, pour l’URSS, répondait autant à un projet scientifique qu’à une démonstration de force politique et un enjeu idéologique. Il fallait démontrer, aux yeux de tous, que la science et la technologie issues du monde communiste étaient supérieures au monde capitaliste. Pour les États-Unis, ce furent un camouflet. D’où la volonté de Kennedy de fixer comme cap à la NASA d’envoyer des hommes sur la Lune, et surtout d’y arriver en premier. Là aussi, enjeux scientifiques, militaires et politiques étaient liés et les pas de Buzz Aldrin effacèrent Youri Gagarine et Spoutnik.

Combats URSS / États-Unis

Le nombre de lancements orbitaux atteint un sommet dans les années 1965-1970 et ils sont surtout le fait de l’URSS. Les enjeux concernent la maîtrise de l’espace, mais aussi les lieux d’où sont réalisés ces lancements : Cap Canaveral en Floride, Kourou en Guyane, Baïkonour au Kazakhstan actuel. Comme toujours, les Américains savent mettre en avant leur puissance. Cap Canaveral est non seulement un lieu scientifique, mais aussi un lieu d’attraction, à la gloire de la NASA et de la science américaine. Avec les parcs Disney et les autres attractions d’Orlando, c’est à la fois un lieu de tourisme, de construction de l’identité américaine et de soft power culturel. Tout l’inverse des Russes qui cachent leur base et qui ne développent aucune activité autour. Il en va de même pour le cinéma, qui a contribué à populariser la conquête de l’espace et, surtout, à mettre en vedette la puissance américaine.

À partir des années 1990, le nombre global de lancements orbital diminue, du fait du désengagement de la Russie post-soviétique et il faut attendre les années 2000 pour que la Chine prenne un essor de plus en plus important. La carte des lancements orbitaux et des pays qui y participent dessine donc celle de la puissance et de la grandeur au cours des décennies écoulées. Participer à la course à l’espace, c’est non seulement s’imposer en matière scientifique et technique, mais aussi démontrer sa volonté de puissance politique.

À cet égard, il est triste d’impuissance de constater que l’Europe n’a pas encore réussi à créer une alternative au GPS, malgré les financements importants de Galileo et les promesses invoquées. Le déploiement de Galileo est un peu comme la fin du pétrole : toujours annoncé, jamais arrivé.

Le privé prend le pas

À partir des années 1990-1995, on voit apparaître de plus en plus de lancements privés, d’abord en Europe, puis aux États-Unis. Après un pic dans les années 2010-2015, c’est surtout à partir de 2020 que le nombre de lancements privés explose, porté par Elon Musk et Starlink. Aujourd’hui, les lancements gouvernementaux sont essentiellement le fait de la Chine et les lancements privés essentiellement le fait des États-Unis. La divergence idéologique se traduit aussi dans l’approche du spatial. L’Europe, en revanche, est beaucoup moins présente dans les lancements privés qu’elle ne l’était dans les années 2000. Les déboires d’Ariane espace y sont en partie pour quelque chose, le lanceur ayant eu du mal à s’adapter aux nouvelles techniques. Il y a quelques années, lors d’une conférence, le président d’Ariane espace expliquait que jamais il ne serait possible de récupérer les lanceurs. C’est pourtant ce que fait aujourd’hui Elon Musk. La bureaucratie a étouffé l’innovation et fait manquer plusieurs ruptures technologiques. Il est toujours plus compliqué de faire la course derrière qu’en tête.

Starlink s’est imposé lors de la guerre d’Ukraine. Avant l’offensive de 2022, l’armée russe a détruit les systèmes de communication de l’armée ukrainienne. Sans possibilité de communiqué entre les brigades, l’armée de Kiev était vaincue d’office et clouée sur place. C’est grâce au déploiement de Starlink et l’offre gratuite de communication que les unités ukrainiennes ont pu contourner les destructions russes, échanger entre elles et supporter le choc initial. Lors du typhon qui s’est abattu sur Mayotte, c’est Starlink que le gouvernement français a choisi pour assurer le continuum d’internet, et donc la vie économique et sociale sur l’archipel. Comme la marine vénitienne en son temps, les moyens de communication d’Elon Musk ont aidé les États à dépasser leurs crises. Aujourd’hui, Starlink est en vente dans de nombreux magasins français et peut être déployé sur les maisons de vacances à la campagne. La technologie fait fi des contraintes géographiques et des barrières technologiques.


Nous devons beaucoup à l’espace, pour la connaissance de la météo, pour les communications, pour les échanges. Et donc, nous devons beaucoup aux innovations, aux investissements et aux découvertes. Comme toujours dans l’histoire, les entrepreneurs sont les moteurs du progrès humain.