FONDAPOL : Le mythe de la France raciste (2 tomes) - Par Vincent Tournier


Vincent Tournier publie pour la Fondapol deux notes sur le mythe de la France raciste.La première de celles-ci, intitulée « Le racialisme, histoire d'un échec », propose d’analyser les principales raisons qui, au fil du temps, à la suite d’une série de conjonctures et de bifurcations originales, ont conduit à neutraliser la question de la race. La seconde note, « De l'échec du racialisme à la naissance du mythe », s’intéresse aux indices – très concrets – qui confirment que la société française se caractérise par une hostilité structurelle envers le racisme et le racialisme.

Vincent Tournier est  Maître de conférences de sciences politiques, Institut d’études politiques de Grenoble.

Le racialisme, histoire d'un échec

Formalisées au travers d’expressions telles que « racisme structurel » ou « racisme systémique », des accusations particulièrement sévères ont été lancées contre la France au cours des dernières années. Ces accusations, jamais sérieusement étayées, sont d’autant plus injustes qu’elles entrent en contradiction flagrante avec une histoire nationale profondément réfractaire aux théories de la race. La première partie de cette note propose d’analyser les principales raisons qui, au fil du temps, à la suite d’une série de conjonctures et de bifurcations originales, ont conduit à neutraliser la question de la race.

Ce processus de longue durée, fruit des conditions propres à l’histoire de France, repose sur une multitude de facteurs décisifs que l’on propose d’analyser ici : l’héritage chrétien, le mariage exogamique, la sociologie des élites aristocratiques, la valorisation de l’éducation, la conception de la nation ou encore l’attitude des intellectuels.

Après avoir souligné, dans le premier volume de cette note, les facteurs qui ont permis de tenir la France à distance de l’idéologie de la race, on s’intéresse désormais aux indices – très concrets – qui confirment que la société française se caractérise par une hostilité structurelle envers le racisme et le racialisme. Une comparaison avec les États-Unis, pays proche par de nombreux aspects, aide à mieux faire ressortir la divergence des trajectoires entre les deux pays.

Au-delà d’une critique de la thèse du racisme systémique, il s’agit alors de comprendre pourquoi une telle thèse a pu émerger et bénéficier d’un succès relatif. Pour cela, un détour par la mythologie est nécessaire. Situer le racisme systémique sur le terrain du mythe permet d’en comprendre les ressors intellectuels et de saisir les risques que recèle cette théorie en cette période de tensions autour de l’immigration et de la place des minorités.



Charles Jaigu : «Non, les Français ne sont pas racistes»

CHRONIQUE - L’historien Vincent Tournier revient sur l’histoire longue et nous invite à ne pas confondre la crise du modèle assimilationniste avec un quelconque « racisme systémique » de la société française.

Il n’est pas toujours aisé pour un professeur d’histoire ou de science politique d’échapper aux brigades de « l’académiquement correct ». « Récemment, dans un cours, j’ai utilisé la formule “idéologie décoloniale” . Que n’avais-je pas dit ! », se souvient Vincent Tournier, maître de conférences à l’Institut d’études politiques de Grenoble. Certains de ses étudiants ont bruyamment contesté cette appréciation. Vincent Tournier est habitué à ce genre de rappel à l’ordre.

En décembre 2020, Sciences Po Grenoble organisait une « semaine de l’égalité ». Dans ce cadre, une journée était consacrée au rejet du « Racisme, de l’islamophobie et de l’antisémitisme ». Un professeur d’allemand, Klaus Kinzler, avait alors exprimé son désaccord dans un échange de mails avec d’autres professeurs. Il jugeait que cette journée « serait une insulte aux victimes réelles (et non imaginaires !) du racisme et de l’antisémitisme ». Contestant la notion d’« islamophobie », et refusant de lui conférer une légitimité en la plaçant au même niveau que le racisme et l’antisémitisme, Klaus Kinzler a bien sûr été accusé à son tour d’islamophobie. Vincent Tournier, qui dispensait un cours sur l’islam, a soutenu son collègue, ce qui lui a valu d’être qualifié d’islamophobe lui aussi.

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Depuis, Kinzler a été encouragé à anticiper son départ à la retraite. Son confrère, qui est bien plus jeune, continue d’enseigner. Mais le climat reste tendu. Il risque à nouveau de s’exposer aux quolibets, lazzi, ou accusations d’accointance avec le diable, car il publie à la Fondation pour l’innovation politique (fondation de centre droit, faut-il préciser) une note d’analyse intitulée « Le mythe de la France raciste ». Voilà une idée intéressante. L’assassinat d’un fidèle musulman dans une mosquée par un individu de nationalité française, gitan d’origine bosniaque, lui donne une actualité immédiate. Cet événement a été l’occasion, pour les tenants du discours sur l’islamophobie, de dénoncer « le racisme anti-musulman » dont la France serait le foyer. En tout cas les Français les écoutent. « 54 % des Français sont convaincus que le racisme systémique est une réalité, et 66 % chez les moins de 35 ans », relève Tournier. Est-ce vrai ?

Un «habitus» raciste

Le jargon de notre époque suppose l’existence d’un « habitus » raciste inconscient ou non dit qui « surdétermine », comme disent les marxistes, le fonctionnement ordinaire de la société française. Il faut s’entendre ici en préambule le sens des mots qu’on emploie. Confondre le racisme et l’ethnocentrisme est très embêtant. En effet, l’ethnocentrisme est la chose du monde la plus banale. Aucun groupe majoritaire ne recherche spontanément la mixité. C’est un fait historique et anthropologique.

Il est donc inhabituel pour un peuple culturellement homogène d’accueillir des étrangers et encore plus de partager femmes, richesses, pouvoir. La plupart des nations dans le monde ne le font pas, sauf quand les nécessités de la survie les orientent autrement et qu’ils y voient un intérêt de court ou de long terme. Faut-il répéter cette phrase plusieurs fois ? L’écrire en majuscule ? La mixité sociale, ethnique, culturelle, n’est pas spontanée. Le rejet de l’autre est plutôt la règle. Une fois cet axiome énoncé, regardons la France. Vincent Tournier étaye très solidement l’argument en faveur d’une société française plus ouverte que la moyenne, et imperméable, tout au long de son histoire, à l’idée de supériorité raciale.

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Dans l’histoire de France, tout va à l’encontre du racisme structurel dont les Français sont accusés. Les voies par lesquelles la nation s’est construite depuis le XIe siècle l’établissent de manière itérative. L’institution du mariage exogamique par l’Église catholique à partir du XIe siècle est un premier facteur, la loyauté que demande le jeune État aux individus et non aux groupes en est un autre. De même, dans la classe savante, c’est l’humanisme qui l’emporte largement : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », estime Descartes. Cette grande idée simple a laissé le racialiste Arthur de Gobineau, deux siècles plus tard, dans une grande solitude.

«L’assimilation rend invisible»

La liste des arguments et précisions sur diverses polémiques - celle de la traite négrière ou des colonies - est soigneusement traitée par Tournier. C’est le mérite qui définit d’abord l’appartenance française, bien avant la Révolution, et plus encore ensuite. Cette idée s’applique à tous, d’abord aux régions pauvres de l’Hexagone, puis aux colonies ou aux migrants. C’est la condition de la mixité réussie. Et cette mixité par le mérite suppose un « optimisme assimilateur », comme l’écrit Tournier.

« L’assimilation vise à faire passer inaperçus les nouveaux arrivants. Autrement dit, elle rend invisible. Elle est la contrepartie d’une forte immigration. Si tout le monde ne naît pas français, tout le monde peut le devenir. L’assimilation est optimiste. » On objecte parfois, en ces temps décoloniaux, que les populations musulmanes d’Algérie n’ont pas été assimilées. On en fait un argument pour démontrer les soubassements de l’islamophobie française. C’est inverser l’ordre des facteurs. Les musulmans d’Algérie pouvaient devenir français, mais ils ne voulaient pas renoncer au droit coranique. Les Juifs d’Algérie en saisirent l’occasion en 1870, tout comme les Indiens de Pondichéry l’avaient acceptée en 1848, les Tahitiens en 1880, ou les Sénégalais des quatre communes en 1916, nous rappelle Tournier.

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La brièveté de cette chronique nous contraint de sauter les décennies. Nous voici dans les années 1970. On mesure les dérives d’une France collabo, de la France coloniale. Et on les exagère. Bernard-Henri Lévy se complaît, c’est l’esprit de l’époque, dans la réprobation morale à l’égard de « la France moisie ». L’antiracisme devient une machine de guerre de la gauche contre le FN. On décréta la préférence pour l’autre – le lointain – contre le même. L’assimilation républicaine fut jugée néocoloniale, et moisie elle aussi. On la disqualifia au nom du multiculturalisme fantasmé des mondes anglo-américains. Triste méprise. Si l’islamophobie, c’est le refus du communautarisme musulman, alors les Français sont tous islamophobes.

Comme l’écrit Raphaël Doan dans un livre qui recoupe le propos de Tournier (Le Rêve de l’assimilation, Éditions Passés/Composés), « Hannah Arendt fait remarquer que la montée au pouvoir de Hitler fut perçue par les juifs allemands comme “la défaite de l’assimilationnisme”, les nazis ayant commencé par imposer la dissimilation aux juifs, par le port de l’étoile jaune ». Quelle est la morale de cette histoire ? Ceux qui visibilisent leurs différences devraient y réfléchir à deux fois. C’est l’assimilation qui les protège le mieux contre le « rejet de l’autre », pas la revendication d’une différence communautaire. Malheureusement, ce bon sens là est devenu la chose du monde la moins partagée. Vincent Tournier le dit fort bien.