François, un pape paradoxal - Par Jean-Baptiste Noé
Le décès du pape François suscite des hommages mondiaux, notamment dans les sphères non chrétiennes. Des hommages qui saluent ses actions diplomatiques, ses efforts pour la paix et qui reconnaissent la centralité du catholicisme. Mais au-delà de ses hommages, son action diplomatique fut paradoxale.
Avec la Chine, François a tout tenté. Il a signé un accord avec Pékin, qui n’a pas été rendu public, pour organiser la nomination des évêques, accord qui a provoqué beaucoup de déceptions et d’incompréhensions à Hong Kong et dans l’Église souterraine. On peut comprendre les raisons de cet accord : il n’est pas bon qu’il y ait deux Églises parallèles en Chine, l’une officielle et l’une souterraine. Si la situation avait été acceptée sous Paul VI pour répondre à un problème du moment, celui de la persécution sous le maoïsme, elle ne pouvait pas durer perpétuellement. Le problème est que François a cru qu’il pourrait amadouer Pékin et signer un accord d’égal à égal, alors que le gouvernement chinois actuel est engagé dans une politique de sinisation des religions, c’est-à-dire de soumission des religions présentes en Chine à l’idéologie communiste. Pour Pékin, l’Église catholique est vue comme une puissance étrangère, qui ne doit donc pas intervenir dans les affaires intérieures. Les évêques sont des préfets, que le gouvernement doit nommer selon ses seuls critères. Une position qui n’est pas très éloignée de ce qui fut pratiqué en France sous la Révolution. Le dossier chinois est donc bloqué et ce sera là un des gros dossiers du prochain pape.
Si quasiment tous les chefs d’État asiatiques ont publié des messages de condoléances, rien en revanche n’est sorti de la Chine : aucun message ni de Xi Jinping ni du gouvernement. Un silence qui en dit beaucoup sur la considération que la Chine porte à l’égard du Vatican.
Les mondes musulmans : une reconnaissance sincère
C’est dans les mondes musulmans que François a obtenu de nombreuses reconnaissances. Ses voyages au Kazakhstan, en Azerbaïdjan, au Maroc, en Égypte et dans le Golfe ont laissé des souvenirs forts parmi les dirigeants et les dignitaires. Parce que c’est une reconnaissance diplomatique pour ces pays, parce que c’est aussi la preuve que la diplomatie vaticane leur porte de la considération. L’engagement au dialogue entre religions est parfois mal compris. François estime qu’il n’y a de toute façon pas le choix : c’est le dialogue ou la guerre. Dialoguer ne signifiant pas se soumettre à l’autre, mais opérer une discussion par la raison, donc obliger l’autre à raisonner, à faire usage de sa raison afin de déminer les passions et les mythes. Quand il appelle à la liberté religieuse dans les pays musulmans c’est pour permettre à l’ensemble des populations, y compris chrétiennes, de pouvoir pratiquer librement leur foi et de disposer de lieux de culte accessibles. La liberté religieuse est ici un pari, une audace et souvent un défi pour les pays où elle n’est pas pratiquée.
Les migrants, le point de friction
Le soutien aux migrants aura été le fil conducteur de ce pontificat, François y revenant régulièrement. Son premier déplacement d’envergure fut sur l’île de Lampedusa, pour dénoncer le fait que la Méditerranée soit devenue un cimetière. En 2016, il s’est rendu sur l’île grecque de Lesbos, ramenant des migrants dans son avion. Si on ne peut que lui donner raison sur le fond : tout être humain est digne et doit être protégé, son obsession migratoire a parfois viré à l’aveuglement. En ne parlant que des migrations du sud vers le nord, il a oublié que, pour l’essentiel elles se font de pays du sud vers d’autres pays du sud. En rendant responsables les pays occidentaux des vagues migratoires, il n’a pas toujours assez insisté sur le rôle des mafias et des réseaux criminels dans les traites humaines. Traite qui est par ailleurs souvent pratiquée par des réseaux issus des pays de départ.
D’autant que l’action concrète de la cité du Vatican fut en total décalage avec les propos du pape. Il n’a jamais été aussi difficile que sous François de pénétrer dans la cité et de franchir ses frontières. Pour accéder aux archives, j’en ai fait les frais, il faut une lettre de recommandation pour pouvoir entrer dans la cité et remplir de nombreux documents auprès de la gendarmerie vaticane, qui assure le contrôle des frontières. C’est, en Europe, le pays où il est le plus difficile d’accéder. Le Vatican a également la politique migratoire la plus répressive d’Europe, avec des mesures adoptées qui sont interdites par l’Union européenne (dont le Vatican n’est pas membre).
Par un décret du 19 décembre 2024, le gouvernorat de la cité du Vatican a ainsi édicté de nouvelles peines à l’encontre des personnes qui entrent de façon illégale sur son territoire. Ce que l’on appelle en droit « le délit d’entrée illégale ». Les peines encourues vont de un à quatre ans de prison et de 10 000 à 25 000 euros d’amende. Les personnes condamnées peuvent en outre se voir assorties d’une peine d’interdiction d’entrée sur le territoire durant une période de dix ans.
À la répression contre les entrées illégales s’ajoutent les limitations de l’accueil. Pour pouvoir héberger des personnes extérieures, les résidents de l’État de la Cité du Vatican doivent obtenir une autorisation du gouvernorat. Le cas échéant, ils encourent une amende allant là aussi de 10 000 à 25 000 €.
Lorsque des gouvernements français avaient voulu mettre en place ce « délit de séjour irrégulier », cela avait été retoqué par le Conseil constitutionnel.
Le dossier migratoire tel qu’il fut traité par François montre que, comme souvent, il faut étudier les discours, mais aussi les mesures adoptées.