Ghislain Benhessa : « Depuis des décennies, on observe la montée en puissance du pouvoir judiciaire, doublée d’une volonté de contrôler la politique »
Avocat et essayiste, auteur de plusieurs ouvrages, dernièrement On marche sur la tête : La France, l’UE et les mensonges (L’artilleur, 2024), Ghislain Benhessa répond aux questions d’Epoch Times sur la condamnation de Marine Le Pen.
Epoch Times : Comment avez-vous réagi à la condamnation de Marine Le Pen à cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire ?
Ghislain Benhessa : En réalité, je n’ai pas vraiment été sidéré par cette décision. En tout cas pas par la condamnation de Marine Le Pen en tant que telle. Depuis plusieurs années, il règne un climat de tension entre juges et politiques, alimenté par la mise en cause de François Fillon dans le sprint final de la présidentielle de 2017. Je rappelle qu’à l’époque, sa campagne a été sabordée par les affaires qui ont fini par pourrir, d’abord sa candidature, puis le scrutin tout entier, au profit d’Emmanuel Macron, qui a profité de l’aubaine pour siphonner une partie de l’électorat des Républicains.
S’agissant du dossier Le Pen, le Tribunal judiciaire de Paris a finalement suivi les réquisitions prononcées à l’automne dernier par la Procureure de la République, laquelle avait requis une peine de cinq ans d’emprisonnement à l’encontre de la cheffe du RN, dont deux années fermes, mais surtout cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. À l’époque, des « off » avaient fuité dans la presse, selon lesquels la Procureure aurait glissé que « ça lui ferait trop mal » de requérir la relaxe à l’endroit de Marine Le Pen… Certes, de tels propos doivent être évalués avec précaution.
Il n’empêche, un air de règlement de comptes se faisait sentir. Et le jugement rendu n’a fait que confirmer l’état délétère de notre démocratie, minée par les affaires et les mises à l’index judiciaires. Si la condamnation de Madame Le Pen n’est pas inattendue, ses répercussions pourraient être dramatiques.
Cette décision de justice a relancé le débat sur le « gouvernement des juges ». Qu’en pensez-vous ?
Loin de moi l’idée de remettre en cause cette expression – désormais sur toutes les lèvres. En revanche, il faut bien comprendre que le problème dépasse la question de la politisation de la justice, comme certains le disent. La question est celle de la place fondamentale occupée par les juges.
Depuis des décennies, on observe la montée en puissance du pouvoir judiciaire, doublée d’une volonté de contrôler la politique. Vous savez, j’ai moi-même publié un ouvrage sur le sujet en 2021, intitulé Le Totem de l’État de droit : Concept flou, conséquences claires. J’y montrais comment, depuis les années 1970, le pouvoir échappe aux politiques au profit des juges, à la fois français et européens.
Cette dynamique s’inscrit dans une tendance lourde : l’installation du juge au centre du jeu. Jadis, on disait qu’il était « la bouche de la loi », pour reprendre l’expression célèbre de Montesquieu. C’est-à-dire qu’il était un instrument au service du législateur, composé des représentants du peuple.
Avec le temps, le tableau s’est métamorphosé. Avec l’essor du Conseil constitutionnel, la jurisprudence des Cours suprêmes, l’imposition de la primauté européenne par le biais de la Cour de justice de Luxembourg, l’impact de la Cour européenne des droits de l’Homme, la justice a muté. Les juges ont étendu leur pouvoir et leur marge d’interprétation. D’arbitres en retrait, ils se sont mués en acteurs de premier plan, jusqu’à phagocyter le politique.
L’affaire Marine Le Pen en est le parfait exemple. Pour justifier l’exécution provisoire attachée à son inéligibilité, les juges ont sorti deux arguments de leur chapeau. Premièrement, ils ont invoqué le risque de récidive – comme si Marine Le Pen pouvait récidiver, alors même qu’elle ne siège plus au Parlement européen. Ils ont d’ailleurs mis en cause la stratégie du RN, reprochant au parti de porter « atteinte aux intérêts de l’Union européenne » en s’appuyant sur les valeurs listées à l’article 2 du Traité sur l’Union européenne.
Deuxièmement, les juges ont invoqué un risque de trouble à l’ordre public « démocratique ». Outre le fait qu’on ne sait pas trop ce que ça veut dire, ne serait-il pas plus perturbant et antidémocratique qu’un candidat, dont la condamnation est susceptible d’être annulée en appel, ne puisse se présenter à l’élection présidentielle ? C’est bien la latitude laissée aux magistrats qui est au centre des débats. Et c’est grâce à cette marge d’appréciation qu’ils ont écarté Marine Le Pen du scrutin-roi de la démocratie française.
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