Les villes et la puissance - Par Jean-Baptiste Noé
L’audition du DG de Safran à l’Assemblée nationale, Olivier Andriès, a fait grand bruit. Interrogé sur la réindustrialisation et l’aménagement du territoire, celui-ci a expliqué que Safran avait prévu d’implanter une usine de fonderie d’aubes de turbines à Rennes. Avec 500 emplois générés, il avait obtenu l’aval de la municipalité pour débuter les travaux de création. C’était sans compter sur les écologistes, qui se sont opposés au projet et ont manifesté contre Safran et son DG. Dépité, celui-ci décida d’aller voir ailleurs. Et de conclure durant son audition : « Chaque fois qu’on aura un choix de localisation, je bannirai une offre faite par une ville détenue par une majorité écologiste ».
La ville et la puissance
Le sujet est crucial, pour le développement de la France et celui de ses différents territoires. Dans moins d’un an, en mars 2026, se tiendront les élections municipales. On peut d’ores et déjà donner à l’avance le programme de tous les candidats : « ville verte », « ville agréable à vivre », « ville écologiste », avec plus ou moins de sécurité et de social dans le programme, selon que le candidat soit de droite ou de gauche.
Que des sujets de vie quotidienne et d’immédiateté, jamais des sujets de puissance, de développement et de temps long. Ayant siégé trois mandats durant dans un conseil municipal, j’ai pu constater que ces sujets n’intéressent pas la majorité des électeurs et qu’ils ne sont donc pas des sujets de campagne ; quand bien même l’un des candidats aurait pour idée de les mettre à son programme.
Donc, les pistes cyclables l’emportent sur l’industrie, les tarifs de la cantine sur le développement économique. À quoi s’ajoute, dans les villes tenues par les écologistes, une détestation de tout ce qui est entreprise et industrie. D’où le départ du DG de Safran. L’effondrement des villes dirigées par les écologistes est un véritable problème de puissance et de souveraineté, tant la ville est le lieu par excellence de l’échange et de la création. Rennes est tombée dans la violence et l’insécurité, comme Nantes, comme Grenoble, pourtant capitale industriele et capitale des ingénieurs, comme Bordeaux, Poitiers, Strasbourg. Liste à laquelle il faudra peut-être ajoutée Lyon, dont le centre-ville se dégrade de plus en plus et, hélas, Paris.
Paris, une cause nationale
Même les provinciaux ne peuvent pas se satisfaire de l’état de délabrement dans lequel Paris est tombé. Paris est la capitale de la France, sa vitrine sur la scène mondiale en plus d’être son moteur. C’est à Paris que viennent les touristes du monde entier et que, visitant la ville, ils visitent la France. C’est à Paris que siègent les ambassades, que se rendent les hommes d’affaires, les intellectuels, tous ceux qui comptent dans le monde. De tout temps, la capitale a toujours été choyée par le pouvoir parce qu’elle est l’image de la puissance et de la grandeur d’un pays. Tous les monarques ont rénové et modelé Paris, pour bâtir le Louvre, les Invalides, les grandes avenues. Napoléon III et Haussmann ont réalisé le Paris que l’on connaît aujourd’hui et qui fait la fierté des films, des publicités, des voyageurs. Aucun gouvernement ne peut accepter que Paris soit devenu une ville salle, abandonnée, dégradée, tant sa dégradation est aussi l’image de la dégradation de la France. Se rendre à Moscou, c’est avoir une idée, même faussée, de la Russie. Se rendre à Rabat, c’est voir le Maroc moderne et conquérant, se rendre à Londres, c’est voir la puissance du Royaume-Uni. Sauver Paris est donc une cause nationale pour l’image et le statut de la France.
Raison pour laquelle Paris ne devrait pas être dirigé par un maire, mais par un préfet, comme cela était le cas avant la réforme de Giscard. Des maires d’arrondissement pour gérer les affaires locales (propreté des rues, fêtes, brocantes, affaires sociales) et un préfet pour les aménagements structurants, qui tiennent compte de l’intégration de Paris dans la région Île-de-France et des intérêts de la France. Quelle image renvoie-t-on quand les touristes qui atterrissent à Roissy doivent emprunter le coupe-gorge du RER B pour arriver jusqu’à Paris ? Que signifient les rues délabrées, les poubelles, les trous, la saleté ? Il y a là une cause majeure à défendre, qui ne concerne pas que les Parisiens, mais bien tous les Français.
Il y a quelques années, Rome était sale, avec de graves problèmes de gestion des ordures. Aujourd’hui, c’est une ville propre, qui a été restaurée à l’occasion du jubilé. Madrid était encore il y a quinze ans une ville provinciale à l’échelle de l’Europe, c’est désormais une ville dynamique, agréable à vivre pour les touristes, qui sait attirer les entreprises et donc les cadres internationaux.
Responsabilité financière
Ce qu’énonce le DG de Safran peut être décliné en plusieurs exemples. En Corse, la collectivité de l’île, qui mène une politique socialiste assumée, augmente sans cesse les taxes pesant sur le billet d’avion, notamment pour le tarif résident. Une collectivité qui empêche toute concurrence dans le domaine aérien, voulant maintenir le monopole d’Air Corsica et les dérogations d’Air France. Avec un billet d’avion de plus en plus cher, les Corses habitant sur le continent sont donc limités dans leurs déplacements, ce qui nuit au développement économique des villes corses et donc in fine de l’ensemble de l’île.
Comme les villes dépendent essentiellement, pour leurs finances, de l’argent versé par l’État, elles sont irresponsables face aux conséquences de leurs choix. En cas de problème grave, elles se tournent vers l’État pour demander plus de budget, de sécurité, de subventions. La solution passe par une autonomie totale des villes en matière budgétaire, c’est-à-dire qu’elles ne vivent que des impôts qu’elles peuvent prélever. Ainsi, une mauvaise politique provoquera la fuite des habitants et donc moins de rentrées fiscales, ce qui limitera les budgets, obligeant les municipalités à être vigilantes dans les politiques menées.
Cette responsabilité financière, beaucoup de maires n’en veulent pas, tant il est plus confortable d’incriminer la faute de l’État et de se dédouaner vis-à-vis de ses électeurs sur le gouvernement.
Le travail sur la puissance et sur la grandeur nationale passe donc aussi par le renouveau des villes et des territoires locaux.