Loi contre le narcotrafic : « On assiste à une prise de conscience par nos élus des risques que font peser sur notre société les ramifications du crime organisé » - Par Frédéric Ploquin
Le grand reporter spécialiste de la criminalité, documentariste, auteur de nombreux ouvrages, en dernier lieu Braqueur, mercenaire, aventurier : de l’OAS au grand banditisme (Nouveau monde, 2025) Frédéric Ploquin répond aux questions d’Epoch Times sur le contenu de la loi contre le narcotrafic, la légalisation du cannabis et le profil psychologique de Mohamed Amra.
Epoch Times : La semaine dernière, les députés ont adopté la proposition de loi sénatoriale visant à « sortir la France du piège du narcotrafic ». Elle prévoit notamment la création d’un parquet national anticriminalité organisée (Pnaco), ou encore la création d’un « dossier coffre ». Pensez-vous que ces mesures sont à la hauteur du fléau du narcotrafic ?
Frédéric Ploquin : Le piège s’est déjà refermé depuis longtemps. La séquence parlementaire que nous venons de vivre change cependant la donne : pour la première fois, on assiste à une prise de conscience par nos élus des risques que font peser sur notre société les ramifications du crime organisé. Les sénateurs ont montré l’exemple en adoptant ces nouvelles mesures à l’unanimité. L’affaire Amra, plus précisément l’exécution de deux surveillants de prison lors de son évasion au péage de Tancarville, a marqué les esprits.
Ce caïd avait grandi sous les radars en profitant des failles de la justice, et surtout de l’absence de coordination entre les différents parquets qui se penchaient sur son cas. Cet éparpillement a privé l’administration pénitentiaire d’un vrai diagnostic, qui aurait permis d’ajuster l’escorte du prisonnier lors de son transfert au palais de justice. Le dossier « coffre » vise à rééquilibrer la balance en faveur de l’accusation, en privant le suspect d’informations sur les conditions exactes dans lesquelles son activité criminelle a été détectée. Cela fera-t-il bouger les lignes ? L’idée est notamment de protéger les sources et certaines techniques d’enquête.
Le texte prévoit également le renforcement du régime des repentis. Pour vous, les repentis ont-ils un rôle à jouer dans la lutte contre les réseaux de trafic de drogue ?
Certains misent gros sur le statut de repenti. La vraie nouveauté est l’extension de ce dispositif aux crimes de sang, comme cela se pratique en Italie. Cela peut s’avérer efficace pour élucider des règlements de compte au sein d’équipes très structurées, mais le paysage criminel français n’est pas celui de l’Italie. La Camorra napolitaine ou la N’dranghetta, la mafia calabraise, sont des organisations pyramidales. Un seul repenti peut ébranler tout un système.
Le trafic de stupéfiants en France est le fait d’organisations éclatées, indépendantes les unes des autres, où l’on ne sait jamais très bien qui est le chef, comme le montre l’exemple de la DZ mafia, cette bande qui a assis son emprise sur plusieurs quartiers de Marseille. Les règlements de compte qui impliquent les membres de cette « mafia » sont presque tous élucidés par les services de police, notamment lorsqu’ils sont perpétrés par de très jeunes tueurs à gage amateurs recrutés sur les réseaux sociaux. Pour eux, ce statut peut offrir une porte de sortie, à condition qu’ils en aient l’envie, ce qui n’est pas gagné si l’on s’en tient aux profils connus.