Mort du pape François : Ce défi occidental auquel fait face l'Église catholique - Par Philippe d'Iribarne et Bernard Lecomte

Comment le successeur de François parviendra-t-il à concilier le message évangélique qui est la vocation de l’Eglise, la poursuite de son ouverture au monde et les demandes identitaires et culturelles qui montent dans un Occident en pleine confusion ? C’est à ce défi complexe que le pape et l’Eglise de demain devront répondre : unir la souche du catholicisme à ses branches. Pour en parler, Philippe d’Iribarne et Bernard Lecomte.


Atlantico : L’Eglise représente aussi bien la communauté des fidèles catholiques faisant vivre le message du Christ qu’une force politique majeure ayant largement façonné la civilisation occidentale. Que représente-t-elle aujourd’hui en Europe et aux États-Unis alors que le pape François l’avait politiquement ouverte vers le reste du monde ?

Philippe d’Iribarne : Le Pape François, originaire d’Argentine, fut un militant tiers-mondiste. Une conviction raffermie par ses racines jésuitiques qui ont profondément marqué sa vision du monde. Pour lui, l’Europe et les Etats-Unis représentaient un univers fondamentalement étranger qu’il ne comprenait pas bien et voyait au travers des théories décoloniales, sans être lui-même un adepte de la « théologie de la libération ». Ces idées sont saillantes dans son encyclique Fratelli Tutti, relatif à l’accueil des immigrés. Par ailleurs, sur le fond, le pape avait le sentiment que le monde occidental était frappé d’une forte décadence morale. Il était très hostile à l’euthanasie ou à l’IVG, dans lesquels ils voyaient des symptômes rapprochant l’Occident moderne du Bas Empire. Il s’est donc tenu à l’écart de ce monde-là qui n’était pas le sien.

Néanmoins, il y avait à mon sens une erreur d’appréciation. Le christianisme reste très vivant dans le monde occidental. Il suffit de le comparer au monde oriental. L’écart entre le statut des femmes dans ces deux aires, ou encore le rapport entre le spirituel et temporel que nous connaissons, sont très fortement marqués par le christianisme. Il y a des choses qui s’incorporent dans la culture et font partie des évidences partagées. La conception de l’honneur dans le monde méditerranéen met l’accent sur la fierté, la réponse à l’insulte. Cela a été très profondément remanié dans le monde méditerranéen chrétien, déjà sous Saint Augustin. L’essentiel pour un chrétien étant ce qui affecte de de l’intérieur et non de l’extérieur. Ce remaniement profond a totalement imprégné la culture des pays du sud Européen, même s’ils ont oublié que cela est le fruit d’auteurs et de penseurs chrétiens.

Bernard Lecomte : Que l’Eglise soit à la fois une communauté de fidèles et une force politique ne date pas du pape François. Aujourd’hui, cette communauté de fidèles est unique en son genre puisqu’elle est l’association humaine la plus ancienne et la plus importante du monde. Elle existe depuis 2.000 ans et regroupe 1.4 milliards de croyants. C’est aussi gigantesque qu’incontournable. Ce que François a fait, c’est de rendre l’Eglise mondialisée. Longtemps centrée sur l’Europe, en témoignent les papes italiens puis Jean-Paul II et Benoît 16, un Polonais et un Allemand. Le Pape François a donc accompagné et même incarné le grand basculement de l’Eglise vers le sud, ce qui est logique puisque 80 % des catholiques pratiquants s’y trouvent concrètement. La force politique de l’Eglise a toujours existé aussi. C’est d’ailleurs son histoire. En dépit de divisions et d’oppositions tragiques – pensons aux guerres de religion, à la révolution française ou même à la loi de 1905 en France -, l’Eglise a toujours compté.

Il y a toujours eu une dialectique entre l’Eglise en tant que communauté et l’Eglise en tant que force politique. Laquelle force politique a largement façonné l’histoire des hommes, singulièrement en Occident. Le Pape François a mondialisé cette histoire. C’est donc un tournant. Aujourd’hui, tous les catholiques n’adhèrent pas à l’Eglise pour les mêmes raisons à travers le monde. Il y a des éclatements de principes, de valeurs et de traditions. La très large majorité des catholiques le sont car l’Eglise est porteuse des valeurs de l’Evangile, mais il est indéniable que le catholicisme est aussi une façon d’être, de vivre. Son héritage n’est donc pas que spirituel mais aussi culturel et civilisationnel. Il y a donc là un hiatus qui peut être résolu.