Négociations américano-iraniennes sur le nucléaire iranien : la permanence de l’axe Moscou-Téhéran - Par Jean-Sylvestre Mongrenier
Sept ans après la dénonciation par Donald Trump de l’accord sur le nucléaire iranien (le JCPOA), le fantasque président américain a annoncé la reprise des négociations. Celles-ci ont été ouvertes à Oman, le 13 avril dernier. D’aucuns voient dans les discussions entre Américains et Russes la volonté de « fixer » ces derniers, afin d’exercer une pression maximale sur Téhéran, voire, en cas d’échec des négociations, de bombarder les infrastructures nucléaires iraniennes. Ce serait sous-estimer l’importance des liens entre Moscou et Téhéran. De fait, le « corridor Nord-Sud » auquel les deux capitales travaillent s’inscrit dans une perspective géopolitique commune, à l’échelle de l’Eurasie.
Le 7 avril dernier, Donald Trump annonçait la prochaine ouverture de négociations avec Téhéran, l’objectif proclamé étant de contrecarrer définitivement le programme nucléaire iranien à vocation militaire. En vérité, ledit programme a notablement avancé au fil du temps. Signé en 2015, le JCPOA avait prévu de limiter le stock d’uranium enrichi à 300 kilogrammes, au taux de 3,67 %, ce qui constituait déjà un recul notoire par rapport aux exigences du Traité de non-prolifération (1968), confortées par les résolutions votées au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies. D’autant plus que Téhéran conservait la maîtrise de son programme balistique et, au moyen de ses affidés (l’ « arc chiite »), déstabilisait le Moyen-Orient. Aujourd’hui, le régime islamique chiite possède huit tonnes d’uranium enrichi à 3,67 %, auxquelles il faut ajouter 275 kilogrammes enrichis à 60 % ; le temps requis pour franchir le seuil de la nucléarisation militaire serait de quelques mois. Et l’Agence internationale pour l’énergie atomique n’a plus de droit de regard sur les infrastructures nucléaires iraniennes.
D’incertaines négociations entre Washington et Téhéran
En revanche, la quasi-destruction du Hamas dans la bande de Gaza, l’affaiblissement du Hezbollah au Liban-Sud et les raids de Tsahal sur les défenses anti-aériennes et anti-missiles du territoire iranien ont fortement affaibli le régime islamique chiite. De l’ « arc chiite » ne reste vivace, pour le moment, que les Houthistes du Yémen, bombardés par les forces américaines. Tout en se prêtant au jeu des négociations, Washington renforce sa main en plaçant des bombardiers lourds B-2, équipés de bombes anti-bunker, sur la base de Diego Garcia1. Un deuxième groupe aéronaval américain navigue vers la zone et d’autres moyens militaires sont en route vers les bases américaines du golfe Arabo-Persique. Bref, tout ce qui est requis par une diplomatie coercitive, propédeutique à une entreprise de destruction des infrastructures nucléaires iraniennes.
Tout cela serait bien plus impressionnant si Donald Trump, par ses fanfaronnades et ses revirements, n’avait pas très sérieusement entamé la crédibilité stratégique des États-Unis. D’autant que, si l’on sait la constance et la résolution du secrétaire d’État Marco Rubio sur ces questions, la négociation est confiée à Steve Witkoff, voisin et partenaire de golfe de Donald Trump, grand spécialiste devant l’Éternel de la géopolitique des « clubs-houses ». Celui-là même que le président américain a délégué comme « envoyé spécial » en Russie s’est infatué de Vladimir Poutine, dont il apprécie le charme slave-orthodoxe. Entre la planification d’un « reset » américano-russe – dépourvu de sens au niveau macro-économique, mais potentiellement très profitable pour quelques affairistes coutumiers du délit d’initiés –, et l’évocation d’une future Riviera dorée sur les côtes de Gaza, Steve Witkoff est donc censé amener le régime iranien à résipiscence.
Il est à craindre que notre homme négligera l’étroitesse des liens entre Moscou et Téhéran et estimera que les promesses affairistes suffiront à les défaire. Depuis la conception et la mise en œuvre de la « diplomatie Primakov2 », dans les années 1990, ces liens ont été renforcés et approfondis, non sans obstacles et phases de stases, il est vrai. Certes, il est loisible de discuter du sens qu’il faut donner au terme d’alliance. Il demeure que Moscou et Téhéran se sont accordés pour intervenir militairement en Syrie en 2015, alors même que l’encre du JCPOA n’était pas encore sèche. Leur intervention combinée aura permis au régime de Bachar el-Assad de durer jusqu’à l’automne 2024. L’enlisement de l’armée russe en Ukraine et les graves revers infligés par Tsahal aux affidés de l’Iran expliquent l’incapacité de l’axe Moscou-Téhéran à prévenir la chute du Raïs syrien, désormais devenu un rentier moscovite.
La réalité d’une alliance russo-iranienne
Dans l’intervalle, Téhéran aura apporté son soutien à la deuxième invasion russe de l’Ukraine, en lui fournissant des armes (drones Shahed et missiles balistiques) et en contribuant au contournement des sanctions occidentales. En contrepartie, la Russie accroît sa coopération militaro-industrielle avec l’Iran, y compris en matière aéronautique (formation de pilotes, notamment de Soukhoï Su-35) et aérospatiale. Trois jours avant l’investiture de Donald Trump, le 20 janvier 2025, Moscou et Téhéran renouvelaient leur « partenariat stratégique global», ratifié par la Douma le 7 avril 2025. Le texte prévoit la densification des liens politiques, économiques, financiers, logistiques et énergétiques, l’accroissement de la « coopération militaire », le partage du renseignement, la lutte contre le « terrorisme » et les « menaces communes ».
Selon les termes en vigueur à Téhéran, l’Iran bénéficiera du concours de la Russie pour mener son « Djihad de la connaissance », notamment dans le domaine spatial (capacités de détection et d’alerte avancée) et dans celui du nucléaire civil, le seul dont le régime reconnaît l’existence (les ingénieurs russes sont à l’œuvre sur la centrale nucléaire de Bouchehr). Mais rassurons-nous – que diable ! – il est improbable de voir des soldats russes et iraniens dans une même tranchée ; cette alliance multiforme n’est en pas une puisqu’elle ne comporte pas d’ « article 5 » (la clause de défense mutuelle de l’OTAN). En effet, nombre d’experts occidentaux refusent en effet d’admettre que divers types d’alliances peuvent coexister, parce qu’ils considèrent l’OTAN comme un archétype. Le jeu des Russes et des Iraniens, comme celui des Chinois et des Nord-Coréens, consiste à se prêter main forte et à se répartir les théâtres d’action, afin de mettre sous tension les alliances des États-Unis, menacés par le phénomène d’hyper-étirement géostratégique (l’overstretching de Paul Kennedy).
Dans le « paquet » des multiples liens russo-iraniens, le programme d’un couloir logistique Nord-Sud, de la mer Baltique au golfe Arabo-Persique, nous semble particulièrement significatif des processus géopolitiques et des idées qui animent les dirigeants des deux puissances révisionnistes. Il s’agit d’un projet déjà vieux d’un quart de siècle, le « corridor de transport international Nord-Sud » (INSTC : International North-South Transport Corridor), supposé bouleverser la géopolitique des routes mondiales du commerce. Sa réalisation contribuerait à l’affirmation d’un nouvel ordre économique mondial, centré sur l’Eurasie, dans lequel les BRICS+, cornaqués par Moscou et Pékin, seraient l’équivalent fonctionnel du G7 (un G9).
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