Où en est l'armée de réserve ? - Par Vladimir de Gmeline


Vladimir de Gmeline suit les questions de défense depuis des années, et il a toujours été impressionné par la fluidité du système de réserve dans les pays anglo-saxons ou du nord de l'Europe. En Grande-Bretagne, il suffit de se connecter à un site, de remplir un dossier et l'on reçoit une documentation qui explique de manière claire les démarches, les régiments où on peut postuler, avec des conseils d'entraînement et d'alimentation.

Lors de l'agression russe de 2022, l'Ukraine a pu compter sur des réserves conséquentes, qui lui ont permis de libérer les troupes professionnelles, les réservistes assurant la défense opérationnelle du territoire. En 2014, le pays s'apprêtait à supprimer la conscription et diminuer le format de ses réserves, mais l'annexion de la Crimée et la guerre dans le Dombass ont montré qu'il était un peu tôt pour se priver de cette ressource…

En Finlande, il a constaté l'investissement de la population dans la défense de son pays. Les Finlandais, que des sondages présentent comme une des populations les plus heureuses du monde, vivent sous la menace du voisin russe, contre lequel ils ont combattu en 1941 et en 1942, durant les guerres « d'hiver » et « de continuation ». Le service militaire est obligatoire, tous les hommes sont réservistes, mobilisables dans des délais très courts. La Suisse ou Israël ont des modèles d'armées où la réserve fait partie intégrante de l'outil de défense.

En 2022, en France, on annonçait déjà un doublement des réserves. Moyens, obstacles administratifs, lenteur des procédures… On mettait beaucoup de moyens sur la communication, mais, en réalité, rien ne changeait. En 2024, lors d'une réunion d'officiers de réserve, il a été frappé par la manière dont les généraux venus porter la bonne parole du politique se décomposaient lorsque leurs subordonnés évoquaient leurs déboires.

Les récentes annonces ont donc poussé le joiurnaliste du magazine Le Point à enquêter. Les réservistes de tous grades sont volontaires et se démènent pour concilier vie personnelle, professionnelle et leur deuxième métier, militaire. La situation internationale amène de nombreux compatriotes à vouloir servir, eux aussi. Reste à révolutionner un système engoncé dans ses freins et ses habitudes.

« Un moloch administratif » : le parcours du combattant des réservistes de l’armée

L'ENQUÊTE DU DIMANCHE. Entre coupes budgétaires, annulations de dernière minute et parcours d’intégration chaotique, l’État freine les réservistes qu’il prétend recruter, malgré un boom des volontaires.

Par Vladimir de Gmeline

Cela fait une quinzaine d'années que le capitaine Antoine*, cadre d'industrie dans le civil, sert comme officier de réserve. Il commence à avoir l'habitude des annonces et des promesses : « À la mi-janvier 2025, on annonçait déjà à ma brigade que le budget prévu pour la réserve était amputé de 40 %. Alors OK, ils parlent de doubler les effectifs d'ici 2030. On passerait de 44 000 à 80 000, puis 105 000 en 2035. Je me demande comment ils comptent faire… Avec quels moyens ? »

Le commandant Thierry, fonctionnaire quand il ne porte pas le treillis, avait préparé sa compagnie pendant six mois pour la mission Sentinelle lorsqu'il était capitaine, commandant d'unité : « Les gars étaient prêts, ils s'étaient investis à fond, avaient pris sur leurs week-ends, leurs vacances. Et puis au dernier moment, on nous a dit que c'était annulé. Pas assez de budget. Pour les jeunes qui avaient prévenu leur employeur, lâché un CDD ou un intérim, et qui comptaient sur la rentrée d'argent que permet la mission, c'est violent. Ça peut arriver. Une fois ça va, mais quand ça se reproduit… On perd du monde comme ça. »

À LIRE AUSSI Qu'est-ce qui motive les réservistes de l'armée, de plus en plus nombreux ?

Le capitaine Antoine rapporte le cas d'un de ses camarades, prévu lui aussi en renfort Sentinelle dans le cadre des Jeux olympiques de Paris : « Annulation, là aussi, au dernier moment. Mais ils ont quand même convoqué les gens pour des activités sans objectif opérationnel, juste pour cramer du budget, histoire d'en avoir autant l'année suivante. Tout le monde gratte de partout. »
  1. Jungle bureaucratique
  2. Bugs et blocages en série
  3. Frein budgétaire