Pierre Vermeren : «Protéger ses défenseurs et punir ses dissidents, voilà tout ce qui compte pour Alger»
En expulsant douze agents de l’ambassade française, le régime algérien ne cherche pas tant à humilier l’ancien colonisateur qu’à garantir coûte que coûte la pérennité de son narratif, analyse Pierre Vermeren.
Normalien et agrégé d’histoire, professeur d’histoire des sociétés arabes et berbères contemporaines à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Pierre Vermeren est l’auteur de nombreux ouvrages salués par la critique. Il a notamment publié Dissidents du Maghreb. Depuis les indépendances (Belin, 2018), Déni français. Notre histoire secrète des relations franco-arabes (Albin Michel, 2019) et Histoire de l’Algérie contemporaine (Nouveau Monde Éditions, 2022).
LE FIGARO. - L’expulsion par Alger de douze agents relevant de l’ambassade de France marque-t-elle une nouvelle montée en tension des relations franco-algériennes, après la visite de Jean-Noël Barrot et le semblant de désescalade qui s’en était ensuivi ?
PIERRE VERMEREN. - Cet épisode nous rappelle que les relations avec la France ne constituent pas l’essentiel pour Alger, préoccupé avant tout par sa stabilité intérieure. Il s’agit, à l’origine, d’un opposant au régime algérien en France qui aurait subi une tentative d’enlèvement de la part de trois hommes, en avril 2024. Parmi eux se serait trouvé un agent consulaire algérien en France. La justice française est certes lente, mais elle finit par opérer. Vendredi dernier, elle l’a mis en examen puis placé en détention provisoire samedi.
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Pour Alger, c’est un double casus belli ; d’abord parce que le régime se fait une obligation de protéger ses agents – pour s’attacher leur loyauté sans faille –, ensuite parce que l’objectif principal du régime est d’assurer sa stabilité, en surveillant (voire en punissant) ses dissidents réfugiés en France, dont certains bénéficient d’un statut de protection comme réfugiés politiques. C’est manifestement le cas de l’influenceur précité, Amir Boukhors, dit « Amir DZ ».
À l’aune de ces impératifs, la relation avec la France fait office de variable d’ajustement. Pour les États du Maghreb, qui sont autoritaires, il n’est pas de justice indépendante. Considérant que les juges sont aux ordres du pouvoir politique, ils font mine de considérer que c’est le cas partout ailleurs, en France notamment. Tout ce qui compte pour Alger, c’est de protéger ses laudateurs et protecteurs et de punir ses détracteurs et opposants. La diplomatie, évidemment, passe au second rang. Il est probable que la reprise de relations diplomatiques normales avec la France soit mise en attente face à cette nouvelle urgence.
Faut-il voir une coïncidence entre ces événements et la visite au Maroc de Bruno Retailleau , ce lundi 14 avril, quand on sait l’hostilité qui règne entre les deux voisins du Maghreb ?
Il se trouve que les événements du week-end sont intervenus juste avant cette visite de Bruno Retailleau au Maroc. On peut y voir une concomitance troublante mais, encore une fois, Alger agit avant tout pour assurer la stabilité intérieure et la sécurité de son État : nous, nous avons oublié le Hirak, mais pas les Algériens, et encore moins les maîtres d’Alger. Tout le reste est anecdotique. D’autant que l’Algérie n’attend rien de la France, avec qui les échanges commerciaux sont faibles.
La République algérienne s’intéresse surtout aux facilités de circulation de ses ressortissants – les visas – et à la surveillance mêlée de protection de sa diaspora en France. Il y a peut-être une volonté d’humilier la France, mais il s’agit avant tout de montrer à ses propres agents, bien plus qu’aux Français, que le pouvoir algérien est prêt à une confrontation totale avec l’ancien colonisateur pour les protéger. L’ampleur de l’opération – inédite en l’espèce – montre la détermination du régime.