Pour une [vraie] réforme de la justice pénale des mineurs - Par le collectif "Au nom du peuple"
Au cœur de l’actualité politique, médiatique et législative, la justice des mineurs demeure mal connue et mal comprise du grand public et la réforme qui vient d’être adoptée par l’Assemblée nationale ne résoudra rien. Le collectif "Au nom du peuple" analyse cinq réflexions fréquentes à propos de la justice des mineurs et tente de démêler le vrai du faux.
Depuis le 30 septembre 2021, le code de la justice pénale des mineurs (CJPM) est en vigueur. Il a remplacé l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Cette dernière était devenue de l’avis de tous, au fil du temps et des réformes successives, illisible et peu adaptée aux enjeux contemporains. La « réforme » qui a été annoncée à l’époque est en réalité principalement une opération de réécriture, le CJPM reprenant les dispositions de l’ordonnance de 1945 mais en les classifiant afin de les rendre plus claires.EPISODE 4 - « Le problème, c'est l'excuse de minorité »EPISODE 5 - «Les juges des enfants sont laxistes»
Une nouvelle procédure
Un changement majeur a toutefois été adopté : le passage d’un régime où le juge des enfants agissait comme juge d’instruction à un régime de césure du procès pénal. Cette modification avait pour objectif de réduire les délais entre le moment où l’infraction est commise et la condamnation du délinquant, et force est de constater que cet objectif a été atteint : d’un délai de jugement de 15 à 20 mois en moyenne sous le régime de l’ordonnance de 1945, nous sommes passés en 2023 à un délai moyen de 9 mois entre la première convocation en justice et le prononcé de la sanction.
En effet, la procédure antérieure avait pour inconvénient de fonctionner comme une information préparatoire, procédure d’enquête lourde en principe confiée à juge d’instruction et réservée aux infractions les plus graves et les plus complexes. Après avoir cambriolé une maison, Kévin (1) était convoqué aux fins de mise en examen (un statut de suspect ouvrant la possibilité de le placer en détention ou sous contrôle judiciaire) et placé sous surveillance (« j’ai des éléments contre vous jeune homme, attention le jour où vous serez jugé ça va barder »). Puis le juge des enfants clôturait la procédure quand elle lui paraissait en état d’être jugée. Entre ces deux actes s’ouvrait une phase indéterminée dans sa temporalité et dans son contenu, forme de faille spatio-temporelle au cours de laquelle Kévin était plus ou moins mis à l’épreuve et attendait sans certitude aucune le jour de son jugement (de même que sa victime le cas échéant). Des procédures pouvaient ainsi végéter pendant des mois voire des années dans les cabinets des juges des enfants, sans aucune obligation pour eux de les clôturer, entraînant des délais de jugement parfois effarants (et Kévin se retrouvait devant le tribunal pour enfants à 21 ans, ayant depuis braqué trois banques et conçu deux enfants).
Cette procédure était d’autant plus inadaptée que l’instruction préparatoire est utile lorsque les faits commis sont complexes. Heureusement, c’est rarement le cas des dossiers impliquant des mineurs, dont la délinquance se caractérise par son amateurisme et une propension surprenante à la reconnaissance des faits (la conviction de n’être pas ou peu sanctionné alliée à la tendance naturelle du jeune de 13 à 17 ans à la provocation n’étant probablement pas étrangère à cette dernière caractéristique). Une information judiciaire pour un vol de scooter ou un trafic de stupéfiants d’une journée, c’est un peu comme écraser une noix avec un rouleau compresseur : chronophage, coûteux, inutile et in fine ridicule.
La fameuse césure
Face à ce constat, le code de justice pénale des mineurs a principalement eu pour objet d’aligner le mode de jugement des mineurs sur celui des majeurs, avec une convocation de Kévin directement devant la juridiction de jugement (juge des enfants ou tribunal pour enfants), sans passer par la zone d’attente de l’instruction préparatoire. Cependant, l’idée de mettre à l’épreuve le mineur est demeurée, afin de lui permettre de s’amender une fois placé dans un cadre éducatif considéré comme adéquat : c’est la césure.
Notre Kévin commet un nouveau cambriolage (les mineurs manquent d’imagination) le 24 février 2025. Il est placé en garde-à-vue. À l’issue, il est convoqué une première fois pour que le juge statue sur sa culpabilité, dans un délai de trois mois donc aux alentours du 24 mai 2025. Puis s’ouvre une période de « mise à l’épreuve éducative » durant laquelle Kévin est placé sous surveillance judiciaire : concrètement, il a rendez-vous avec des éducateurs, doit aller à l’école et ne pas recommencer. S’il peut connecter deux neurones et réfléchir sur les faits, c’est bien aussi, mais c’est le niveau du dessus. À l’issue de cette période, limitée à 6 à 9 mois en théorie, fin 2025-début 2026 donc, Kévin reviendra devant le juge qui statuera sur la sanction (peine ou mesure éducative) qu’il convient de lui infliger, en fonction du parcours qui aura été le sien pendant cette période. De la première convocation au jugement sur la sanction, le délai maximum de la procédure est donc d’un an (si le délai est dépassé, il ne se passe… rien. Il ne faudrait pas non plus brusquer les tribunaux pour enfants).
Bilan : les délais de jugement ont objectivement été réduits par la césure du procès pénal. Néanmoins, a été conservé le principe selon lequel les mineurs doivent être punis pour les infractions commises après une période de mise à l’épreuve. Si cette logique peut s’entendre pour les mineurs primo-délinquants, ayant des bases éducatives et adhérant à un suivi, le fait d’attendre plusieurs mois pour sanctionner des mineurs ancrés dans la délinquance, ultra-violents ou ayant commis des faits graves questionne sur l’efficacité du processus. Pendant son année de « surveillance », Kévin aura en effet probablement commis deux ou trois autres cambriolages, reçu deux ou trois autres convocations et finalement diversifié son activité dans la vente de cocaïne, bien plus rentable et bien moins risquée.
Un délai bien trop long
En effet, si les professionnels de justice ne s’émeuvent plus d’un délai de jugement moyen de 9 mois compte tenu de ceux observés dans certaines juridictions, il n’est pas satisfaisant d’apporter une réponse pénale à un acte délictueux près d’un an après l’infraction, que son auteur soit majeur ou mineur. Lorsque le délinquant est mineur, l’absurde s’ajoute à l’inadéquat : quel adulte responsable peut penser de bonne foi que punir un enfant 9 mois plus tard pour un acte répréhensible a le moindre sens pour lui ? Quelle dimension pédagogique peut bien avoir une réaction aussi tardive ? 9 mois plus tard, le mineur a – parfois de bonne foi – complètement oublié son geste et surtout a eu quinze fois le temps de faire pire, aucune limite n’ayant été fermement et sérieusement posée. Dans ces conditions, nous ne pouvons que constater que le CJPM a pérennisé un principe néfaste à la prévention de la récidive des mineurs délinquants : il ne sert à rien de constater que le délai a diminué alors que le principe devrait être l’absence de délai. Si suivi il doit y avoir, suivi il y aura après le prononcé d’une peine qui permettra une sanction si elle n’est pas respectée.
En résumé : pour sauver Kévin, pas de « tu seras privé de télé… dans 9 mois ».
RESPONSABLE PRINCIPAL : LA LOI
NOTRE PROPOSITION POUR EN SORTIR :
- Supprimer la césure pour prononcer une sanction rapidement après les faits et mettre le mineur à l’épreuve dans le cadre d’une peine
Il faut une comparution immédiate pour les mineurs
- Dans l’épisode précédent[1], nous avons exposé la procédure de jugement applicable aux mineurs : la fameuse césure (pour rappel : « Kévin, tu seras privé de téléphone… dans 9 mois ») et ses limites.
De nombreux commentateurs, journalistes et politiques percevant les difficultés posées par cette césure brandissent une idée qui permettrait de les résoudre : instaurer une comparution immédiate pour les mineurs.
Qu’est-ce qu’une comparution immédiate ? C’est une procédure de jugement rapide qui permet de présenter immédiatement (d’où son nom) après sa garde-à-vue un délinquant à un tribunal correctionnel composé de trois magistrats (pour faire simple). Elle permet de sanctionner sans délai le délinquant. Pour les majeurs, cette comparution immédiate permet un jugement dans un délai maximum de quatre jours, ce qui est effectivement très rapide. Dans l’attente, le délinquant peut être placé en détention provisoire. C’est donc une procédure très stricte et très protectrice de la société.
Compte tenu des faiblesses de la procédure de césure, l’idée de pouvoir accélérer le jugement des mineurs dans les cas les plus graves en les sanctionnant rapidement fait son chemin et une proposition de loi en ce sens a été adoptée par l’Assemblée nationale le 13 février 2025[2]. Cependant, d’une part elle se heurte à des obstacles pratiques, et d’autre part ne résout pas les problèmes de fond (laxisme de la loi et des juges) qui empêchent une vraie répression des actes graves commis par les mineurs.Bien essayé mais… Informons les nombreux commentateurs, journalistes et politiques qui se passionnent subitement pour le sujet qu’une procédure de comparution rapide existe déjà pour les mineurs : l’audience unique. Elle permet de présenter un mineur au procureur immédiatement après sa garde-à-vue, de le placer sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire puis de le juger dans un délai compris entre 10 jours et un mois en cas de détention.
L’article 4 de la proposition de loi ajoute à cette audience unique une procédure dite de comparution immédiate qui permet de faire venir le mineur devant le tribunal pour enfants le jour même ou dans un délai maximum de 4 jours, sans attendre le délai de 10 jours imposé actuellement par la loi.
D’une part, il est à noter que le mineur peut de toute façon renoncer au délai de 10 jours avant l’audience unique et donc comparaître plus rapidement devant le tribunal. C’est même dans son intérêt puisque cela réduit le temps passé en détention provisoire. La réforme envisagée ne change donc pas grand-chose aux possibilités juridiques déjà existantes.
D’autre part et surtout, la comparution immédiate prévue par la proposition de loi est très difficile à mettre en place techniquement car elle nécessite d’avoir la possibilité de réunir un tribunal pour enfants en urgence, dans un délai maximum de 4 jours.
Or, le tribunal pour enfants est composé d’un juge des enfants et de deux assesseurs civils, ne travaillant pas habituellement dans le tribunal, « particulièrement intéressés » par la Justice des mineurs. Il s’agit en général de retraités de l’Education nationale, d’anciens éducateurs ou d’actifs prenant sur le temps libre. Il est donc plus difficile de les réunir de manière imprévue que des magistrats exerçant chaque jour leurs fonctions dans la juridiction.
Par ailleurs, si n’importe quel juge du tribunal peut présider une comparution immédiate pour les majeurs, les juges des enfants sont en nombre limité (parfois un ou deux pour tout le tribunal) et pas toujours disponibles pour présider une audience en urgence.
Instaurer une comparution immédiate pour les mineurs nécessite donc d’abord un renforcement significatif des effectifs de juges des enfants, notamment dans les petites juridictions, pour pouvoir libérer un juge pour tenir une audience en urgence. Ensuite, cela exige de modifier la composition du tribunal pour enfants en supprimant les assesseurs civils. Cela n’est pas impossible mais semble peu envisageable à court terme compte tenu des contraintes budgétaires, légales voire constitutionnelles et matérielles actuelles. A conditions constantes, on voit mal comment la comparution immédiate envisagée par la réforme votée le 13 février 2025 pourrait s’appliquer concrètement.
La procédure d’audience unique est aujourd’hui un bon compromis entre jugement rapide et contraintes juridictionnelles. Rappelons qu’elle permet de juger le mineur dans un délai maximum d’un mois tout en le plaçant en détention provisoire dans l’attente, conditions satisfaisantes pour la protection de la société, des victimes et l’évitement de la récidive. La vraie difficulté en l’état actuel du droit réside dans les conditions TRES restrictives du recours à cette audience unique.
En effet, pour les mineurs de moins de 16 ans, la peine encourue doit être égale ou supérieure à 5 ans : impossible de l’appliquer pour des faits de violence sans incapacité de travail, même commis avec une arme, ou pour des faits de vol sans circonstance aggravante, ou pour une conduite sans permis ni même un refus d’obtempérer. Pour les mineurs de 16 ans révolus, le seuil est abaissé à 3 ans, ce qui est plus raisonnable mais exclut tout de mêmes certaines menaces et la plupart des délits routiers.
Par ailleurs, pour tous les mineurs, une condition d’antécédent doit être remplie puisque le mineur doit déjà faire l’objet d’un suivi. Elle n’est donc pas applicable aux primo-délinquants, quelle que soit la gravité des faits commis.
- Matthéo deale de la cocaïne depuis trois mois. Mais c’est sa première fois. « Rentre chez toi Matthéo, l’audience unique ce sera pour la prochaine fois ».
- Matthéo a agressé sexuellement sa petite sœur de 4 ans. Il est convoqué, il rentre chez lui et recommence. Mais il n’a que 15 ans. « Rentre chez toi Matthéo, tu seras jugé dans un an, tu es trop jeune pour être sanctionné rapidement. »
- Matthéo a pillé un magasin pour manifester sa colère et son incompréhension devant un système social et politique inique (et au passage porter des baskets de marque). Il a 14 ans. Il est placé, il fugue. Il est à nouveau placé, en centre éducatif renforcé. Il fugue et commet un vol avec violences. « Retourne au foyer Matthéo, tu ne peux pas aller en prison, tu as moins de 16 ans. Ta victime a le nez cassé et peur de te recroiser ? C’est bien dommage, mais c’est la loi. »
- Encore raté. La proposition de loi adoptée ne s’applique que sous plusieurs conditions cumulatives, extrêmement difficiles à réunir :Le mineur doit être âgé d’au moins 16 ans (exit les apprentis dealers marseillais recrutés désormais au niveau bac à sable)
- Il doit avoir commis un délit puni de 7 ans d’emprisonnement (5 ans en cas de flagrant délit) : exit la plupart des délits routiers, les violences commises avec une seule circonstance aggravante, les agressions sexuelles simples non flagrantes, le port d’arme, les menaces de mort, le harcèlement scolaire, le vol avec violence sans incapacité de travail, les destructions en réunion (coucou les émeutiers de l’été 2023), la rébellion contre les policiers et les gendarmes, le refus d’obtempérer…
- Il doit être en état de récidive, c’est-à-dire avoir déjà été condamné pour des faits similaires.
Alors nous trouverons toujours quelques journalistes du Monde, de Libération ou de France Info, des chroniqueurs du plateau de France 5, quelques syndicalistes de la protection judiciaire de la jeunesse ou quelques juges des enfants[3] pour hurler à la réforme fasciste et à l’enfance outragée. La vérité, c’est que cette réforme ne changera rien, que pendant ce temps des mineurs continuent à voler, agresser, détruire, en quasi-toute impunité, et que c’est un drame pour eux, pour les victimes et pour notre société.
RESPONSABLE PRINCIPAL : LA LOI
NOTRE PROPOSITION POUR EN SORTIR :
- Faire juger les mineurs en comparution immédiate par le tribunal correctionnel, avec une habilitation spéciale « mineurs » du président du tribunal
[2] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b0448_proposition-loi#
[3] https://www.liberation.fr/societe/police-justice/justice-des-mineurs-les-comparutions-immediates-ne-sont-pas-une-procedure-adaptee-20250214_F4CWGV75FZGM7L654ONRXBNXBE/
«Il est impossible de mettre un mineur en prison»
Avant le jugement : la détention provisoire
Sous réserve de ce qui a été évoqué dans les épisodes précédents[1], l’urgence à ce jour n’est pas uniquement celle de la rapidité voire de l’immédiateté du jugement, régulièrement présentée comme l’antidote ultime au sentiment d’impunité. La question est aussi voire surtout celle du sort du mineur entre le jour de décision de poursuite prise par le procureur (en général à l’issue de la garde à vue) et le jour du jugement. Cette période de latence est en effet à ce jour inévitable compte tenu de l’encombrement de l’appareil judiciaire, rendant impossible la généralisation des procédures de jugement rapide.
Le prononcé de mesures de sûreté permet de compenser l’existence de ce délai de latence : ce sont des mesures de contrôle qui s’imposent aux délinquants dans l’attente de leur jugement. Elles permettent (en théorie) de prévenir la commission de nouvelles infractions, de protéger les victimes et les témoins, d’empêcher des contacts entre les complices et de garantir la présence du suspect le jour du procès. Il s’agit également de répondre, dans les cas les plus graves, au trouble causé à l’ordre public, en apportant une réponse ferme à la fois dissuasive pour les délinquants et les criminels et rassurante pour les honnêtes citoyens.
Concernant les mineurs, le principe est l’absence de mesure de sûreté et le prononcé d’une mesure éducative judiciaire provisoire en cas de déferrement (présentation directe au tribunal à l’issue de la garde-à-vue). Concrètement, la violation de cette mesure ne donne lieu à aucune sanction. Le contrôle judiciaire n’est prononcé que si la mesure éducative est insuffisante. Et la détention provisoire n’est possible que dans le cas de la procédure de l’audience unique.
La détention provisoire d’un mineur dès la commission de l’infraction (sans attendre la violation du contrôle judiciaire) n’est possible que dans deux cas :
→ L’audience unique pour les délits (voir épisode 2) : La procédure d’audience unique ne permet pas de placer en détention provisoire un mineur de moins de 16 ans, quelle que soit la gravité des faits commis, mais uniquement de le placer sous contrôle judiciaire. Ce contrôle judiciaire ne pourra être révoqué que si le mineur est placé en centre éducatif fermé (encore faut-il trouver une place) ET qu’il ne respecte pas ce placement.
Elle permet en revanche de placer en détention provisoire le mineur âgé de 16 ans révolus pour une durée comprise entre 10 jours et un mois, en attendant son jugement par le tribunal pour enfants. Cependant, il faut que les conditions de l’audience unique soient réunies : une peine minimum de trois ans d’emprisonnement encourue et l’existence d’un antécédent (donc concrètement que l’agresseur ait déjà volé/violenté/détruit quelque chose ou quelqu’un).
→ L’information judiciaire (principalement pour les crimes) : le mineur présenté à un juge d’instruction peut être placé en détention provisoire s’il a commis un crime ou un délit. Cependant, les délais sont plus courts que ceux des majeurs. Pour exemple, un mineur de moins de 16 ans mis en examen pour un viol ou un meurtre ne peut être détenu que pour une durée maximale d’un an.
Exemple : Amine a 15 ans. Sur ordre d’un dealer il abat un concurrent sur un point de deal. Il est mis en examen pour assassinat. Il peut être détenu pendant 12 mois, puis il peut être placé en centre éducatif fermé pendant 12 mois. Si l’instruction n’est pas terminée dans ces délais, notre apprenti tueur à gages sera remis en liberté… Chez lui ou dans un foyer classique.
En conclusion, comme le souligne le syndicat Unité magistrats FO, dont nous saluons la dernière communication sur la réforme de la justice des mineurs : « les conditions d’incarcération des mineurs de moins de 16 ans sont devenues trop restrictives avec le CJPM, et rendent quasiment impossible leur placement en détention provisoire y compris lorsqu’ils sont réitérants et commettent des faits graves. Cela contribue à alimenter chez ces mineurs un sentiment d’impunité voire de toute-puissance, telle que le rapporte le pédopsychiatre Maurice Berger dans son dernier livre »[2].
RESPONSABLE PRINCIPAL : LA LOI
Après le jugement : la peine d’emprisonnement ferme
Dans un délai de 6 à 9 mois après la déclaration de culpabilité, le mineur comparaît à nouveau devant le juge des enfants ou le tribunal pour enfants pour recevoir sa sanction.
S’il comparaît devant le juge des enfants, celui-ci ne peut prononcer qu’une mesure éducative, un travail d’intérêt général ou un stage : pas de peine d’emprisonnement possible. Cette règle s’applique quelle que soit la nature des faits commis : Amine peut donc être jugé par un juge des enfants seul et condamné à un stage ou un avertissement pour des faits de trafic de stupéfiants ou d’agression sexuelle. Il n’y a aucune obligation légale de traduire les mineurs ayant commis des faits graves devant le tribunal pour enfants.
S’il comparaît devant le tribunal pour enfants, tous les types de peine peuvent en revanche être prononcés : amende, stage, travail d’intérêt général, emprisonnement avec sursis simple, avec période de probation, bracelet électronique, semi-liberté et même de l’emprisonnement ferme avec une mise en détention immédiate. Il est donc nécessaire pour pouvoir sanctionner un mineur par de l’emprisonnement de l’envoyer devant le tribunal pour enfants.
Le choix d’orienter le mineur vers le juge des enfants ou le tribunal pour enfants est une décision du… juge des enfants. La juridiction de principe désignée par la loi est… le juge des enfants. Dans la majorité des cas, le jugement sur la sanction aura donc lieu en chambre du conseil, c’est-à-dire devant le juge des enfants seul (encore lui !). La question de l’emprisonnement ne se posera alors même pas. Devant le tribunal pour enfants, en revanche, l’emprisonnement est possible mais… dépend du bon vouloir de la juridiction. Les tribunaux pour enfants sont-ils connus pour sanctionner sévèrement les mineurs ? La réponse au prochain épisode.
On comprend aisément que la question de l’incarcération du mineur dépend avant tout de la volonté du juge des enfants : s’il envoie Amine devant la chambre du conseil, aucun emprisonnement possible. Si par miracle il l’envoie devant le tribunal pour enfants, c’est encore le juge des enfants (bienveillant, empathique et fervent lecteur de Rousseau[3]), qui décidera de son sort. Vous le devinez, Amine passera loin, très loin, de la case prison.
RESPONSABLE PRINCIPAL : LE JUGE DES ENFANTS
NOS PROPOSITIONS POUR EN SORTIR :
- Rendre le placement sous contrôle judiciaire obligatoire si le mineur a déjà été condamné ou est déjà sous mesure éducative judiciaire provisoire
- Étendre la possibilité de détention provisoire aux mineurs de moins de 16 ans et à toutes les atteintes aux personnes, sans condition de peine encourue ni d’antécédent
- Allonger les délais de la détention provisoire criminelle à 2 ans pour les mineurs de moins de 16 ans
- Permettre au parquet de saisir directement le juge des libertés et de la détention pour faire révoquer le contrôle judiciaire d’un mineur, sans passer par le juge des enfants
- Permettre la révocation du contrôle judiciaire dès qu’il y a une violation, même sans placement en centre éducatif fermé et quel que soit l’âge du mineur
https://www.causeur.fr/il-faut-une-comparution-immediate-pour-les-mineurs-306452
[2] https://unite-magistrats.org/publications/delinquance-des-mineurs-l-urgence-d-une-reforme-a-la-hauteur-des-enjeux
« Le problème, c'est l'excuse de minorité »
À chaque affaire médiatique impliquant un mineur, les commentateurs et décideurs s’égosillent et s’écharpent sur un sujet devenu subitement passionnant : l’excuse de minorité, érigée en principe fondamental des droits humains à gauche et en épouvantail de la répression à droite.
Saisissons cette occasion unique de réconcilier Éric Ciotti et Sandrine Rousseau, Eric Zemmour et Manon Aubry, Marion Maréchal et Jean-Michel Apathie ! Prenez un Doliprane, gardez votre énergie pour des sujets réellement fascinants (le barbecue, le Tour de France et la Justice parallèle du parti écologiste par exemple) : ce débat est un faux débat.
Revenons aux fondamentaux. Les grands principes de la justice pénale des mineurs présents dans l’ordonnance de 1945 ont été repris dans le code de justice pénale des mineurs :
→ Primauté de l’éducatif sur le répressif : la sanction pénale est le dernier recours
→ Spécialisation des acteurs et des procédures
→ Excuse de minorité : un mineur encourt la moitié des peines prévues par le code pénal
L’excuse de minorité ne signifie pas le recours à l’ensemble de la procédure dérogatoire concernant les mineurs mais uniquement la réduction du quantum de peine encouru. Il est donc vain de solliciter la levée de l’excuse de minorité quand les difficultés soulevées sont davantage en lien avec les mesures de sûreté (détention provisoire, contrôle judiciaire) ou avec le laxisme général.
Exemple : un mineur qui commet un vol aggravé encourt de 2,5 à 5 ans ferme. Le problème n’est pas de passer à une peine de 5 à 10 ans mais d’obtenir une peine d’emprisonnement et non pas un avertissement judiciaire ou un travail d’intérêt général. Lever l’excuse de minorité n’empêchera pas les juges de prononcer des sanctions bien inférieures aux peines encourues.
L’audience présente les mêmes difficultés chez les mineurs que chez les majeurs, à savoir des peines faibles, très éloignées du quantum encouru.
Une étude récente de l’Institut pour la Justice, rédigée par un magistrat1, a démontré qu’en 2022 l’emprisonnement ferme n’était que très peu prononcé en répression des délits.
Par ailleurs, la durée de la peine est largement inférieure à celle encourue si on suit le code pénal.
Pour exemple, l’emprisonnement ferme a été prononcé en répression de 56,6% des vols avec violence, d’une durée moyenne de 15 mois alors que la peine encourue est comprise entre 5 et 10 ans. Pour les violences volontaires, l’emprisonnement a été prononcé dans 38,8% des affaires, avec une durée moyenne de 10 mois, alors que les peines encourues vont de 3 à 10 ans. En matière d’agression sexuelle, l’emprisonnement ferme a été prononcé dans 26,7% des cas avec une moyenne de 17 mois d’emprisonnement, représentant une réduction de 2/3 de la peine prévue. En matière de trafic de stupéfiants, la peine moyenne prononcée est de 8 mois d’emprisonnement… Pour 10 ans encourus.
L’étude conclut à « la forte disproportion entre la peine prévue par le code pénal et la peine prononcée par le juge. Pas un délit parmi les 27 analysés ne voit sa peine moyenne prononcée supérieure à la moitié de la peine encourue. Pire, en moyenne pour ces 27 délits, la peine effectivement prononcée ne représente que 18,97% de la peine encourue. (…) l’écart entre peine encourue et peine effectivement prononcée est considérable. »
On constate donc que même lorsque la loi donne la possibilité aux magistrats de sanctionner sévèrement les infractions, ce n’est pas le choix qui est fait par les juges, loin s’en faut.
Mais qu’en est-il de la Justice des mineurs ? Les statistiques 20232 montrent qu’au cours de cette année 285448 délits ont été jugés par les tribunaux pour enfants et les juges des enfants. Parmi ces délits, 50,88% ont été sanctionnés par des mesures éducatives et non par des peines. 5,75% ont fait l’objet d’une peine d’emprisonnement ferme tandis que 4,5% ont carrément donné lieu à une dispense de toute mesure, alors même que le mineur a été reconnu coupable des faits…
En comparaison, 22,21% des délits commis par les majeurs jugés en 2023 ont donné lieu à une peine d’emprisonnement en tout ou partie ferme, soit quatre fois plus.
Conclusion : l’ensemble des juridictions pénales prononcent des peines largement inférieures à celles prévues par le code pénal qui est, rappelons-le, l’émanation de la volonté du peuple souverain traduite par ses représentants qui votent la loi. Mais les juridictions pour mineurs sont de loin les plus clémentes (version humaniste) ou laxistes (version polémique).
Ajoutons enfin que dans les 5,75% de cas quasi-miraculeux où l’emprisonnement est prononcé, les peines sont massivement aménagées3 et l’on comprendra aisément que l’incarcération d’un mineur c’est un peu comme une panthère des neiges ou un bon restaurant pas cher à Paris : une espèce rare et menacée d’extinction.
La réforme en cours, qui prétend élargir les cas d’exclusion de l’excuse de minorité, ne résoudra évidemment pas le problème : quand bien même la peine encourue serait doublée par deux pour les mineurs de plus de 16 ans comparaissant devant le tribunal pour enfants, les juges ne prononceraient jamais le maximum légal, loin de là.
RESPONSABLE PRINCIPAL : LE JUGE DES ENFANTS
NOS PROPOSITIONS POUR EN SORTIR :
- Prévoir qu’un mineur déjà condamné à une mesure éducative ne pourra pas faire l’objet d’une seconde mesure mais sera obligatoirement condamné à une peine
- Rendre obligatoire la révocation intégrale du sursis en cas de nouvelle condamnation
- Prévoir des peines d’emprisonnement minimales et obligatoires pour les récidivistes, notamment en matière de violences et de trafic de stupéfiants
- Imposer que toute peine d’emprisonnement soit exécutée d’abord depuis la détention avant un éventuel aménagement de peine
- Supprimer l’interdiction des peines de prison de moins d’un mois
[2] https://www.justice.gouv.fr/documentation/etudes-et-statistiques/condamnations-france-2023
[3] Voir « Emprisonnement : l’exécution à la peine »
«Les juges des enfants sont laxistes»
Dans l’imaginaire collectif et judiciaire, le juge des enfants est une figure symbolique, voire un archétype : c’est le Bon Juge par excellence, celui qui n’est pas là pour punir mais pour aider, celui qui « met des mots sur les maux » – selon la formule consacrée dans les rapports des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse – , celui qui est compréhensif, à l’écoute, empathique. Bref, naturellement Bon. On retrouve ainsi cette figure non seulement dans la littérature et le cinéma, où le juge des enfants est systématiquement présenté comme le seul à percevoir la pépite cachée en chaque mineur délinquant1, mais également dans l’espace politico-médiatique. De nombreux juges des enfants se succèdent ainsi de reportages en plateaux télé, notamment à l’occasion de propositions de réformes de la Justice pénale des mineurs, pour clamer ô combien la répression est une impasse, et la pédagogie la solution à tous les travers de notre turbulente jeunesse.
La connaissance de l’accusé entraîne l’impartialité
Disons-le d’emblée : la plupart des juges des enfants sont des professionnels dotés de grandes qualités humaines, qui exercent leurs fonctions avec dévouement et implication. Ils ont un véritable intérêt pour les enfants qu’ils protègent et s’épuisent souvent dans des cabinets surchargés les conduisant à un travail d’abattage peu satisfaisant sur les plans juridique et humain. Néanmoins, ces qualités qui leur permettent de remplir leur mission de protection de l’enfance dans le cadre de l’assistance éducative les rendent trop souvent inaptes aux décisions rigoureuses et pénibles qu’appelle l’enfance délinquante.
Au nom de la spécialisation des acteurs et de la primauté de l’éducatif, le juge des enfants au pénal est aussi le juge qui suit le mineur en assistance éducative, au civil, lorsque son rôle est de protéger le mineur et donc d’agir exclusivement dans son intérêt. Il est donc souvent influencé par la connaissance du mineur qu’il a connu minot et considère avant tout comme un enfant en danger (« Oh, Bryan, ça faisait longtemps que je ne t’avais pas vu, tu as bien grandi ! Tu sais je me souviens encore de nos entretiens dans mon cabinet quand tu avais 8 ans… C’est terrible ce que tu as vécu à cette époque. Alors tu es là pour quoi aujourd’hui ? Un viol ? Ne t’inquiète pas l’audience va bien se passer, on se connaît bien n’est-ce pas ? »). La loi française privilégie ce lien entre le mineur et « son » juge, estimant que le mineur doit être jugé par un magistrat qui le connaît et qui connaît sa situation. Néanmoins, cela crée nécessairement un biais et un défaut dans l’impartialité du juge des enfants qui doit parfois juger le mineur pour des faits graves. C’est humain, mais regrettable, notamment pour les victimes qui ne bénéficient pas de la même connivence.
Un manque de magistrats au sein des tribunaux pour enfants
Par ailleurs, un tribunal pour enfants (seule juridiction hors cour d’assises habilitée à prononcer des peines d’emprisonnement à l’encontre d’un mineur2) est composé d’un juge des enfants qui préside et de deux assesseurs civils, sélectionnés comme ayant un intérêt particulier pour les mineurs. Ce sont souvent d’anciens enseignants, éducateurs, majoritairement à la retraite. Le juge des enfants est donc le seul magistrat professionnel, y compris en tribunal pour enfants criminel (qui peut prononcer jusqu’à 20 ans de réclusion), et a la main sur les débats et sur la décision rendue. Il y est relativement tout-puissant et a tendance, compte tenu des éléments évoqués plus haut, à ne pas être d’une sévérité délirante. Quant aux assesseurs, ils sont choisis précisément parce qu’ils sont sensibles à la cause des mineurs, souvent au détriment des notions d’intérêt de la société, de protection des victimes et de prise en compte de l’ordre public.
N’oublions pas, cerise sur le gâteau, la présence systématique des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse à chaque étape de la procédure et notamment à chaque audience, qui produisent des rapports parfois de bonne qualité et fournissent un travail pénible mais dont le commandement principal semble être : tu ne demanderas point d’incarcération (même si le mineur suivi est un psychopathe avéré multirécidiviste et que son éducateur n’accepte de se rendre aux rendez-vous avec lui que dans un lieu public, de jour et armé d’une bombe lacrymo).
Ajoutons à cela une forme de pression sociale s’exerçant sur les juges des enfants qui sont davantage au contact de professionnels de l’action sociale que des forces de l’ordre ; ainsi qu’une forme de surveillance entre juges au sein des tribunaux pour enfants («Ah tu as d’accord avec le parquet toi… Tu ne serais pas un peu répressif ?»). Et l’on comprend que prononcer une peine relève pour ces juridictions de la sévérité, une peine d’emprisonnement de l’exceptionnel et une peine d’emprisonnement ferme avec incarcération du quasi-blasphème.
RESPONSABLE PRINCIPAL : LA LOI et LE JUGE DES ENFANTS
NOS PROPOSITIONS POUR EN SORTIR :
Propositions de réforme
- Au nom de l’impartialité, interdire au juge des enfants qui suit le mineur en assistance éducative de le juger au pénal
- Supprimer les assesseurs civils : le tribunal pour enfants sera composé de trois juges des enfants
- Faire juger tous les crimes commis par des mineurs par une cour d’assises des mineurs (suppression du tribunal pour enfants criminel)
- Supprimer le juge des enfants : créer un juge de l’autorité parentale et de la protection de l’enfance qui assumerait les fonctions aujourd’hui occupées par les juges aux affaires familiales et les fonctions d’assistance éducative
- Faire juger les mineurs délinquants par le tribunal correctionnel avec une composition présidée par un juge pénal des mineurs
[2] Voir épisode 3 ↩︎
