PPE3 : la triple absurdité d’une planification déconnectée de la réalité de notre consommation énergétique - Par Philippe Charlez et Samuel Furfari


La Programmation Pluriannuelle de l’Énergie (PPE) fait l'objet, pour sa troisième édition concernant la période 2025-2035, de critiques conséquentes par deux spécialistes bien connus de Méchant Réac ! : Samuel Furfari et PhIlippe Charlez.


Atlantico : Luc Rémont, PDG d'EDF, faisait référence, lors de son audition au Sénat le 22 avril 2025, des projections de consommations estimées dans le cadre de la PPE à 600 TWh alors que la consommation actuelle stagne selon lui à 400 TWh. Que faut-il penser de son intervention ? Que traduit-elle des impasses et de l'aveuglement de la PPE d'une façon générale ?

Philippe Charlez :
La décarbonation de la société repose pour l’essentiel sur le remplacement d’équipements thermiques (voitures, avions et bateaux diesel ou essence dans les transports, chaudières au gaz et au fioul dans les bâtiments, industrie à base de gaz, de pétrole et de charbon) par des équipements électriques (véhicules électriques ou à hydrogène dans les transports, pompes à chaleur dans l’habitat et aussi électricité ou hydrogène dans l’industrie). Cette mutation est normalement censée accroître considérablement la consommation d’électricité qui devrait doubler d’ici 2050 (800 TWh contre 400 TWh aujourd’hui). A première vue, les 600 TWh planifiés en 2035 pouvaient avoir du sens. Malheureusement, l’électrification des usages ne se fait pas au rythme escompté. Les raisons en sont multiples : coût exorbitant, manque de bornes, temps de charge et autonomie des véhicules électriques, coût des pompes à chaleur. Dans l’industrie la décarbonation coûte aussi très cher ce qui altère un peu plus la compétitivité européenne par rapport à nos concurrents américains et chinois. Les prix de l’énergie beaucoup plus élevés en Europe encouragent aussi à délocaliser comme vient encore de l’annoncer cette semaine Arcelor Mittal. En conséquence, au lieu de s'accroître, la consommation d’électricité stagne voire décroît. Et, quand on voit l’état du business vert européen dans l’automobile, les batteries, les panneaux solaires ou encore l'hydrogène, on voit mal comment la situation pourrait évoluer favorablement au cours des 5 prochaines années. Il faut donc revoir à la baisse ces 600 TWh d’au moins 100 TWh.

Si la PPE surestime la future consommation d’électricité, en revanche, elle prévoit une consommation d’énergie finale nettement insuffisante : 1100 TWh en 2035 (contre 1550 TWh en 2024), augure une politique de décroissance totalement incompatible avec toute volonté de réindustrialisation et de réarmement.

Atlantico : Si la consommation stagne, faut-il penser que les investissements prévus pour augmenter la production d'électricité (et notamment la production décarbonée) sont inutiles ? Fallait-il procéder à des investissements aussi massifs dans les réseaux électriques ?

Philippe Charlez :
L’accroissement démesuré de la puissance renouvelable d’ici 2035 est une triple absurdité. Tout d’abord les puissances annoncées (47 GW d’éolien terrestre, 15 GW d’éolien marin et 90 GW de solaire) sont totalement délirantes et il n’y a aucune chance d’y arriver. Ainsi, atteindre 15 GW d’éolien marin d’ici 2035 demanderait de mettre en œuvre 30 parcs équivalents à celui de Saint Nazaire soit 3 par an. Quant à l’éolien terrestre et le solaire photovoltaïque, la PPE3 propose de multiplier la puissance installée par 2,5 et 4,5.

La seconde absurdité est implicitement expliquée dans la première réponse ainsi que dans votre question : pourquoi accroître démesurément cette puissance et dépenser 300 milliards d’euros alors qu’il y a une forte probabilité qu’elle rencontre une demande atone ?

Enfin, cette surcapacité en puissance renouvelable sans puissance pilotable (sous forme de centrales à gaz) additionnelle conduira inexorablement à une surproduction intermittente ce qui aura pour effet de perturber encore un peu plus les réseaux et les marchés et surtout de « cannibaliser » davantage le nucléaire (puisque les ENR sont prioritaires sur le réseau) à qui on demandera de s’effacer en permanence. Cela engendrera de nombreuses conséquences néfastes : altération des circuits de refroidissement des réacteurs nucléaires, accroissement des prix pour les consommateurs (du à la fois aux investissements délirants mais aussi aux marchés instables). Selon la Fondation Concorde, les prix de l’électricité qui ont déjà doublé depuis 2010 seront une nouvelle fois multipliés par deux d’ici 2035. Il s’agit donc d’un jeu perdant/perdant.

À lire aussi : Panne d’électricité géante en Espagne : Cet avertissement que la France devrait retenir sur les points de fragilité de son réseau

Atlantico : Comment expliquer cet aveuglement de nos élites ? Où trouve-t-il ses racines et comment le contrer ou en minimiser les effets néfastes, le cas échéant ?

Philippe Charlez : Les racines de cet aveuglément sont inscrites en filigrane du Green-Deal européen qui impose à la France en 2030 une réduction de 55% de ses émissions territoriales par rapport à 1990 et 42,5% d’électricité renouvelable 2030 contre un peu plus de 20% (incluant l’hydroélectricité historique) en 2024. En France cet objectif est d’autant plus absurde que grâce au nucléaire notre électricité est déjà décarbonée à 95%. Cette stratégie encouragée en sourdine par l’Allemagne nous demande donc de suicider le nucléaire sur l’autel du Pacte Vert. Par rapport à la précédente PPE, la nouvelle planification ne prévoit certes plus de fermeture de réacteurs nucléaires existant et anticipe la construction de 14 nouveaux EPR. Néanmoins quand on voit le retard déjà pris sur les chantiers de ces réacteurs (ils furent annoncés par le Président en février 2022 et rien n’a aujourd’hui commencé) et l’explosion du coût des projets, on peut se poser la question de leur faisabilité. On sait de toute façon qu’ils n’entreront pas en service avant 2040.

La seconde raison est encore plus simple : un politique ne se trompe jamais. L’académie des sciences a récemment alerté le Gouvernement, données à l’appui, de l’ineptie de cette PPE3. On lui a répondu en sourdine que c’était exact mais que politiquement changer d’avis c’était perdre la face vis-à-vis de l’électeur. Ce n’est plus un secret : pour un politique « normalement constitué » la carrière passe largement avant l’intérêt général.

Atlantico : Le texte actuel de la PPE3 n’est pas à la hauteur des enjeux de l’énergie, d’une importance extrême pour la France et ses citoyens. Il n’a pas non plus le niveau de rigueur attendu d’une production des services de l’État.", a déclaré l'académie des Sciences. François Bayrou a annoncé que la PPE3 serait "révisée" par un "groupe de travail". A priori, il n'y aura pas de décret avant la fin de l'été. Quelles conclusions en tirez-vous ?

Philippe Charlez :
Reconnaître que la PPE3 n’est pas à la hauteur est une évidence que nombre d’experts ne cessent de répéter depuis plusieurs mois. La situation actuelle est pour autant pathétique : le PM parle de notre capacité (inexistante !) à résister à la tenaille géopolitique et économique des USA et de la Chine et semble découvrir de notre dépendance résiduelle de 60 % aux combustibles fossiles ce qui « contribue à hauteur de 45 Md€ en 2024 à notre déficit commercial ». Mais il reste stupidement ancré sur la neutralité carbone 2050 dont tout le monde sait qu’elle est impossible sauf à arrêter…de produire et de consommer comme le souhaitent les décroissantistes de l’extrême gauche. Il continue avec des poncifs et des vœux pieux : énergie abondante, compétitive, décarbonée et souveraine. Tout le monde est d’accord mais aucun scénario pour y arriver. Mr Bayrou serait-il d’accord de réduire les subventions aux renouvelables, de supprimer la loi Hulot pour autoriser l’exploration pétrolière en Guyane et gazière dans l’hexagone ? Fidèle à son histoire, le soldat Bayrou a décidé de lancer une concertation, un énième comité Théodule alors que tout a été écrit par l’Académie des Sciences. Une concertation qui ne débouchera sur rien sinon la tergiversation. Pauvre France, elle ne changera donc jamais.

Samuel Furfari : C'est incroyable que des décisions aussi déterminantes pour l'avenir du pays à court terme et à moyen terme soient débattues de cette façon-là, ce n’est pas sérieux. La question énergétique est fondamentale et ce que vivent les Espagnols et les Portugais était prévisible. Depuis des années, les professionnels de l’énergie alertent sur le risque de blackouts généralisés, conséquence directe d’une gestion imprudente des réseaux électriques. Le problème est que nous manquons encore d’informations précises sur les causes de la panne actuelle en Espagne. Cependant, si elle est liée à l’intermittence des énergies renouvelables, ce ne serait pas surprenant et cela crée des perturbations sur le réseau et depuis quelques jours l'Espagne est en grande difficulté. C'est évident qu'on va avoir des blackouts partout.

L'Espagne est en avance en matière d'énergie solaire et même d'énergie éolienne. Toutefois, le gouvernement de gauche est tout à fait convaincu qu'il faut abandonner le nucléaire et le gaz, au profit de l'hydrogène et de l'éolien qui comporte des risques majeurs. Si le blackout actuel n'est pas directement dû à l'intermittence, d'autres surviendront inévitablement pour cette raison. La stabilité du réseau électrique repose sur un équilibre précis entre production et consommation, géré à la microseconde et c'est extrêmement délicat. Il faut qu'il y ait constamment équilibre entre la production et la consommation.

Quand j'étais étudiant, à l'école polytechnique, les ingénieurs de production et les ingénieurs de réseau étaient formés spécifiquement à cette complexité. Tout cela a toujours bien fonctionné parce qu'on a des ingénieurs brillants. Maintenant, en ajoutant une couche de complexité due à l'intermittence solaire et éolienne, plus il y en a, plus cela va être difficile et on va avoir des blackouts, c'est évident. Si ce n’est pas celui de l'Espagne d'aujourd'hui, ce seront d’autres. La France qui jouit d'une abondante production nucléaire, dispose d’un atout considérable. Renoncer à cet avantage pour privilégier des énergies intermittentes, c'est invraisemblable.

À lire aussi : Panne d’électricité géante en Espagne : Cet avertissement que la France devrait retenir sur les points de fragilité de son réseau

Atlantico : L'Espagne exploitait ses capacités pilotables au minimum et manquait de turbines à inertie pour absorber les variations de demande. Peut-on y voir une explication possible au blackout ?

Samuel Furfari :
En effet, l'inertie dans le système électrique est essentielle et elle est produite par les centrales thermiques ou nucléaires. L'inertie est fournie par des rotors, des machines tournantes, très lourdes qui tournent. Une centrale au charbon, une centrale nucléaire, une centrale au gaz, il y a une turbine qui tourne, c'est une très grosse machine très lourde. S'il y a une interruption de l'électricité, de production, la machine continue à tourner parce qu'elle a de l'inertie. Tandis que l'éolienne et le panneau solaire n'apportent aucune inertie. C’est une faiblesse structurelle dénoncée depuis des années, mais ignorée par une partie des décideurs politiques.

En France, cette ignorance est encore plus flagrante. Malgré un parc nucléaire performant, les choix politiques privilégient des solutions qui affaiblissent la robustesse du réseau, ils ignorent la science des réseaux électriques, ils veulent faire des énergies renouvelables. Je pense qu'ils ne prennent pas trop en compte que c'est vraiment une question vitale pour l'avenir et c'est un problème dans toute l'Europe. On n'arrête pas de dire que c'est fantastique, « l'éolien c'est gratuit », « le soleil c'est gratuit », mais on voit bien les difficultés. Avec la chance que vous avez des centrales nucléaires, pourquoi aller s'occuper d'éolien et de solaire pour faire plaisir à la Commission européenne ? Cela n'a vraiment aucun sens.

Atlantico : Pourquoi cette question n'est pas davantage soumise au débat démocratique ?

Samuel Furfari : C'est un enjeu national qui doit être analysé par des experts et mûrement réfléchi. Il n'y avait aucune urgence justifiant l'adoption précipitée de cette mesure. De nombreux acteurs institutionnels, y compris l'Académie des sciences, ont exprimé leur inquiétude. Lorsqu'un consensus d'experts avertit du danger, il serait sage d’écouter. Si M. Bayrou dit qu'il faut examiner avec plus de calme, il est un peu présent. Il faut dire la vérité : les énergies renouvelables posent un défi majeur à la stabilité des réseaux électriques. Maintenant on ne peut plus cacher la difficulté des énergies renouvelables. Jusqu'à présent on a toujours fait croire que c'était facile, que ce n’était pas cher et que tout allait bien mais ce n’est pas vrai, nous le savons depuis longtemps et les experts également. Passer en force sur un sujet aussi crucial est une erreur politique. Il faut prendre le temps d’évaluer avec rigueur les conséquences de ces décisions pour garantir un avenir énergétique stable et sécurisé.