Jean-Éric Schoettl : «Pourquoi le référendum de Bayrou sur les finances publiques est quelque peu utopique»
Le premier ministre a évoqué, dans un entretien au JDD, la possibilité de tenir un référendum visant à réduire les déficits et la dette. Mais il y a fort à parier que ce projet ne se concrétise pas, analyse l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, Jean-Éric Schoettl.
Dans Le JDD du 4 mai, le premier ministre estime la question du rééquilibrage de nos finances publiques «assez grave pour qu’elle s’adresse directement aux citoyens». Le plan d’ensemble qu’il envisage ne peut, selon lui, réussir «si le peuple français ne le soutient pas». En effet, «quand on réforme par les voies classiques, le pays entre en grève…» Un référendum sur les finances publiques ? On en comprend bien le sens : recueillir le consentement de la nation aux sacrifices de tous ordres que la réduction des déséquilibres budgétaires impose au pays. Seule l’onction du peuple souverain peut surmonter la résistance que les divers groupes socioprofessionnels, ne manquent pas d’opposer à des mesures de redressement indispensables, mais contraires à leurs intérêts. Appelés à se prononcer au regard du bien commun et du salut des générations futures, et voyant que le plan soumis à leur vote met chacun à contribution, nos concitoyens, dépassant les égoïsmes individuels et catégoriels qui les divisent d’ordinaire, sauront exprimer une volonté générale digne d’une véritable communauté politique.
On s’interrogera moins ici sur l’audace du pari – honorable, mais quelque peu utopique – inspirant une telle consultation que sur les modalités de cette dernière. Divers problèmes de faisabilité se posent à cet égard. Premier problème : qui décide de la tenue d’un référendum ? La Constitution connaît deux types de référendums nationaux. Le référendum constitutionnel de l’article 89 présuppose un texte voté dans les mêmes termes par les deux assemblées. Impensable dans la configuration politique actuelle de l’Assemblée nationale. Le second type de référendum est convoqué, en vertu de l’article 11 de la Constitution, soit à l’initiative du résident de la République, soit à celle d’un cinquième des membres du Parlement, soutenus par un dixième des électeurs (RIP). Il s’agirait ici d’une initiative présidentielle, répondant à une proposition du Premier ministre. Les réserves émises par l’Élysée montrent qu’elle n’est pas acquise... Deuxième problème : les termes de l’article 11 de la Constitution. Ce dernier définit de manière limitative l’objet du référendum : un projet de loi portant «sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.».
Le domaine éligible au référendum de l’article 11 a donné lieu à la plus célèbre controverse constitutionnelle de la Ve République (l’élection du chef de l’État au suffrage universel, instaurée par voie référendaire en 1962, relevait-elle de l’«organisation des pouvoirs publics» au sens de l’article 11 ?). Il s’entend strictement. N’entrent dans les prévisions de l’article 11 de la Constitution ni les réformes sociétales ni les réformes pénales ni les réformes purement fiscales. C’est ainsi que le Conseil constitutionnel a jugé, le 25 octobre 2022, que l’imposition de bénéfices exceptionnels ne pouvait faire l’objet d’un référendum de l’article 11. En revanche, des mesures touchant aux retraites (âge de départ, mode de calcul des pensions, institution d’une part obligatoire de capitalisation …) – et plus généralement aux dépenses sociales pesant sur les collectivités publiques (État, collectivités territoriales, sécurité sociale) – peuvent, s’il s’agit de véritables réformes, être soumises au référendum. Une partie substantielle des finances publiques – les prestations sociales et l’aide sociale – relève donc de l’article 11. On peut y ajouter les réformes relatives aux aides aux entreprises et à l’action publique en faveur de l’industrie, de l’agriculture et de l’innovation.
Cependant, une autre partie importante des finances publiques – à commencer par les dispositions relevant obligatoirement des lois de finances et de financement de la sécurité sociale – échappent à l’article 11. La Constitution (articles 47 et 47-1) les réserve en effet à un vote du Parlement, dans les conditions prévues par une loi organique. Échappent également à l’article 11, parce que relevant d’une loi constitutionnelle, des questions comme l’instauration d’une règle d’or budgétaire. Conclusion : un projet de loi référendaire de l’article 11 ne peut empiéter ni sur les matières réservées aux lois de finances, aux lois de financement de la sécurité sociale et aux lois de programmation des finances publiques ni sur les questions financières de niveau constitutionnel.
Troisième problème : un référendum sur les finances publiques ne peut consister à soumettre à l’électorat des questions du type : «Faut-il mettre fin aux niches fiscales ?» ou «Pensez-vous que l’âge légal de départ à la retraite doit être fonction de l’espérance de vie ?» ou «Convient-il que les pensions de retraite soient indexées sur les salaires plutôt que sur l’inflation ?». Cela, c’est un sondage d’opinion. Il ne faut pas se payer de mots, comme le font beaucoup d’hommes politiques (à commencer par Emmanuel Macron lui-même, en 2019, avec le «référendum QCM»). Ce qui est soumis au collège électoral en vertu de l’article 11, c’est un projet de loi complet appelant une réponse par oui ou par non. Ou alors ce n’est pas un référendum de l’article 11, mais un sondage sans valeur normative. Or, faute d’être présenté par un exécutif charismatique dans le cadre d’une démarche plébiscitaire de nature gaullienne, un projet de loi embrassant tout le spectre des finances publiques rebuterait les électeurs par sa technicité. Son défaut de lisibilité pourrait susciter une faible participation ou un vote négatif. Le précédent du référendum organisé le 29 mai 2005 sur le «traité établissant une Constitution pour l’Europe» devrait faire réfléchir : l’hermétisme du texte envoyé aux électeurs a pu contribuer à son rejet.
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On pourrait certes imaginer que la consultation des citoyens sur les finances publiques soit une sorte de sondage officiel en vraie grandeur plutôt qu’un référendum. Le plan soumis aux électeurs dans le cadre d’une consultation sui generis serait plus parlant que pour un référendum de l’article 11. Ses résultats ne contraindraient juridiquement ni les pouvoirs publics ni la société civile, mais ils seraient revêtus d’une autorité démocratique indiscutable. Une consultation sui generis – simulant une consultation référendaire – n’en poserait pas moins des problèmes d’organisation spécifiques. Tout d’abord, les électeurs devraient être avertis de sa portée purement consultative. Il faudrait en outre en préciser les règles en adaptant (dans le sens de la souplesse) celles applicables à un référendum de l’article 11. On ne pourrait se passer à cet effet d’une base normative. C’est même une loi qu’il faudrait car - sauf à appeler les électeurs à voter par internet, ce qui ôterait beaucoup de solennité à la consultation – les communes et les bureaux de vote ne pourraient être mobilisés par l’exécutif sans fondement législatif. Mais qui dit loi, dit vote par le Parlement et saisine éventuelle du Conseil constitutionnel, ce qui téléscoperait le calendrier d’élaboration du budget 2026... Enfin, il faudrait fixer le degré de détail dans lequel devrait descendre le plan soumis aux électeurs. Une formulation trop vague priverait de signification la réponse des électeurs.
Dans son entrevue du 4 mai, le premier ministre envisage au contraire d’interroger les Français sur un plan circonstancié : «C’est un plan d’ensemble que je veux soumettre (…) Je veux tout présenter dans le détail». On perçoit le risque de pareille honnêteté : en raison même de l’exhaustivité du plan, les mesures prévues – que combattrait bruyamment un concert d’acteurs politiques et syndicaux – seraient jugées inacceptables pour un ensemble hétéroclite de bonnes et de mauvaises raisons qui, en s’additionnant, produiraient un rejet majoritaire. Faut-il ajouter que, quelle que soit la voie (référendum en bonne et due forme ou consultation sui generis) par laquelle les Français seraient interrogés sur le redressement des finances publiques, celui-ci serait durablement compromis en cas de réponse négative ? Il résulte de ce qui précède que, très vraisemblablement, la consultation sur les finances publiques ne se fera pas davantage que tous les référendums annoncés ces dernières années.
Jean-Éric Schoettl : «Pourquoi le référendum de Bayrou sur les finances publiques est quelque peu utopique»