Le président syrien Al Charaa a l’Élysée : réalisme géopolitique ou insoutenable naïveté ? - Par Fabrice Balanche et Myriam Benraad

La visite du président syrien par intérim Ahmed Al-Charaa interroge les observateurs de la vie politique. Etait-ce opportun ? Pour en parler, Fabrice Balanche et Myriam Benraad.


Atlantico: Emmanuel Macron reçoit ce mercredi le président syrien par intérim Ahmed Al-Charaa qui fera à cette occasion son premier déplacement européen. Le président de la République devrait redire son « soutien de la France à la construction d’une nouvelle Syrie, une Syrie libre, stable, souveraine et respectueuse de toutes les composantes de la société syrienne ». Il veut aussi faire part de « ses exigences vis-à-vis du gouvernement syrien, au premier rang desquelles la stabilisation de la région et notamment du Liban, ainsi que la lutte contre le terrorisme ». Cette réception est-elle opportune ?

Fabrice Balanche :
D’un point de vue strictement diplomatique, il n’est pas infondé de recevoir Ahmed Al-Charaa. Mais il faut, dans ce cas, lui faire passer des messages très clairs et très fermes. Il faut qu’il comprenne qu’il ne doit pas toucher aux Kurdes et aux autres communautés minoritaires, que son gouvernement n’est pas assez inclusif. Il faut lui dire qu’on lui a donné une chance mais qu’il a intérêt à corriger ses premières erreurs, faute de quoi nous ne pourrions pas le soutenir. J’ajoute qu’il vaut mieux que le président syrien vienne à Paris plutôt qu’Emmanuel Macron se déplace à Damas. Cela permet de manifester notre autorité dans ce dossier plutôt que de subir. Mais nous n’allons pas lui décerner la Légion d’honneur tout de suite… Cela ne me dérange donc pas, la diplomatie n’est pas faite que pour parler à nos amis et alliés mais aussi à nos ennemis et à nos adversaire. Qu’il y ait de l’émotion autour de cette visite me semble toutefois parfaitement légitime. Les minorités alaouites ou druzes, mais aussi les Français qui les soutiennent, ont parfaitement le droit de trouver cela inacceptable. Par ailleurs, il faut absolument que l’Elysée veille à ce que le président syrien ne tire pas un bénéfice diplomatique indu de ce déplacement afin de renforcer sa légitimité et d’avoir les mains libres.

Myriam Benraad : Cette visite s’inscrit dans la continuité des efforts de légitimation internationale déployés par l’actuel président syrien par intérim depuis le renversement du régime de Bachar al-Assad en décembre dernier. Plusieurs visites de dirigeants étrangers, en particulier européens, ont eu lieu au cours des derniers mois, de même qu’une série de conférences sur la reconstruction. Toutefois, ce renouveau des relations diplomatiques entre Paris et Damas n’équivaut pas à une pleine et parfaite reconnaissance des nouvelles autorités syriennes d’un point de vue politique, tant la dynamique transitionnelle à l’œuvre depuis l’hiver 2024 reste fragile. La guerre civile n’a jamais véritablement cessé, comme l’ont illustré les très graves violences commises contre les minorités alaouite et druze. La situation de la communauté chrétienne est aussi des plus délicates, et plus largement celle de millions de civils syriens qui, toutes confessions et ethnies confondues, depuis la chute de l’ancien pouvoir baathiste, n’ont guère vu leur quotidien s’améliorer. Par-delà les assurances données à répétition par Al-Charaa, il s’agira au cours de cette visite d’appréhender ces différents dossiers, tous cruciaux : la restauration d’un État de droit, le respect des droits humains, les principes d’une « justice transitionnelle » telle que promise à l’occasion de la conférence sur le dialogue national, la rédaction d’une constitution permanente et un calendrier électoral enfin. Il faut bien garder à l’esprit que rien n’est réglé dans cette Syrie « post-Assad » et que s’amorce une séquence périlleuse qui aura raison (ou non, on peut l’espérer) des espoirs initialement nourris.

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