Marie de Hennezel : «La loi sur l’aide à mourir n’est ni juste, ni équilibrée, ni fraternelle»
Marie de Hennezel adresse une lettre ouverte à Catherine Vautrin dans laquelle elle regrette le soutien de la ministre de la Santé au projet de loi créant un « droit à l’aide à mourir », voté le 2 mai en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, avant son examen par l’ensemble des députés à partir du 12 mai.
Marie de Hennezel est psychologue clinicienne et l’auteur du « Dictionnaire amoureux de la solitude », à paraître chez Plon.« Madame la ministre,
Vous avez affirmé récemment devant la commission en affaires sociales que le texte de la proposition de loi sur l’aide à mourir était « complémentaire » du texte sur les soins palliatifs et que les deux textes constituaient « les deux piliers d’un seul et même socle éthique ». De nombreuses réactions s’opposent à votre manière de voir et s’insurgent contre l’irresponsabilité de cette prise de position.
Comme expliqué dans une tribune publiée dans Le Monde, de Theo Boer, professeur d’éthique aux Pays-Bas, un pays qui a légalisé l’euthanasie, « un cadre rigoureux ne suffit pas à prévenir les dérives ». Tirant sur une sonnette d’alarme, il nous enjoint de nous poser la question : « Sommes-nous prêts à ce que tuer devienne une option médicale parmi d’autres ? » Avant de nous prévenir : tous les verrous sauteront tôt ou tard. Ce que Jean Leonetti confirme : « Lorsque la boîte de Pandore sera ouverte, on ne pourra pas la refermer. »
À lire aussi Pour porter le débat sur la fin de vie, deux ministres pour deux lignes différentes
Ce texte, que vous défendez, Madame la ministre, n’est ni juste, ni équilibré, ni fraternel. Et vous le savez bien.
Ce n’est pas non plus une loi de liberté, puisque le choix entre être soigné jusqu’au bout de sa vie et demander la mort faute de soins ne sera pas garanti partout.
Un texte écrit dans la précipitation
Comment pouvez-vous cautionner une proposition de loi qui érige le suicide assisté et l’euthanasie au rang de « soin ultime », mettant les professionnels de santé et du médico-social dans une situation impossible, une rupture avec leur vocation qui est de soulager, d’accompagner et de préserver la vie ? Qui plus est dans un système de santé à bout de souffle, dans un contexte de désert médical, de pénurie soignante dans les Ehpad et de crise dans les hôpitaux ?
Comment pouvez-vous entériner ainsi le fait qu’il sera plus facile d’obtenir la mort que d’obtenir de se faire soigner ? Car ce que révèle ce texte écrit dans la précipitation, c’est qu’il ne faudra ni demande écrite, ni procédure collégiale, ni évaluation psychiatrique préalable. Une procédure expéditive. Aucune garantie que le choix soit libre et éclairé. Une simple demande orale, sans témoin.
Comment pouvez-vous cautionner un amendement prévoyant de former les professionnels de santé et du médico-social à cet homicide médicalisé, alors même que cet acte n’existe pas dans le droit français ? Avez-vous seulement réfléchi à qui serait compétent pour assurer cette formation initiale et continue à « l’aide à mourir », alors même que la formation au traitement de la douleur est actuellement si pauvre dans les facultés de médecine ?
D’inévitables pressions sur la personne âgée
Par ailleurs, je ne lis nulle part dans ce texte permissif à l’extrême de garantie pour les plus fragiles et les plus vulnérables de notre société. En tant que ministre de la Santé, n’est-il pas de votre devoir de les protéger ?
Dans une société âgiste comme la nôtre, d’inévitables pressions ne manqueront pas de s’exercer sur la personne âgée, dès lors qu’elle émettra la moindre plainte. Par un entourage lassé, ou des héritiers pressés, qui lui suggéreront peut-être qu’il serait temps qu’elle ait l’élégance de laisser la place à d’autres, de s’auto-effacer ? Quel autre choix aura-t-elle, dans le contexte de disette budgétaire qui est le nôtre, si convaincue qu’elle n’a plus sa place dans le monde, qu’elle est devenue un poids pour les autres, consciente du coût que sa seule existence représente, elle se résout à demander la mort, comme ultime geste de dignité ?
À lire aussi Guillaume Tabard : «Fin de vie, un projet déjà plus permissif que promis»
Dans le secteur des personnes âgées, la question du suicide est très présente. Elle est liée à un sentiment de solitude extrême, couplé à celui d’être devenu inutile. Je l’observe dans les résidences services dans lesquelles j’interviens. Cette question mobilise les directions des résidences et le personnel, soucieux d’être à l’écoute de la détresse des résidents. Des suicides ont lieu à l’intérieur de ces résidences, comme partout en France. Les professionnels sont formés à essayer de prévenir le pire, à être attentifs aux signes avant-coureurs. À quoi cette loi, une fois votée, les obligera-t-elle ? Seront-ils sollicités pour assister un suicide, alors que leur conscience s’y oppose ? Quelle véritable liberté auront-ils dans un contexte où les réseaux sociaux peuvent très rapidement les désigner comme des « récalcitrants » ?
Des menaces sur la prise en charge des malades en fin de vie
Comment – étant donné cette responsabilité qui est la vôtre – avez-vous pu soutenir l’adoption d’un « délit d’entrave à l’aide à mourir » qui fait peser des menaces considérables sur la prise en charge des malades en fin de vie, sur les plus âgés, et sur les politiques de prévention du suicide ?
Alors que vous, vous vous êtes opposée aux deux amendements déposés par deux députés, Patrick Hetzel et Annie Vidal, concernant un « délit d’incitation au suicide », que j’avais réclamé lors de mon audition le 30 avril 2024 devant la commission Falorni.Vous êtes-vous demandé ce que serait un pays dans lequel le fait d’entraver un suicide serait sévèrement puni par la loi, alors que le fait de pousser, même subtilement, une personne à mettre fin à sa vie, ne le serait pas ?
Cette loi que vous défendez, Madame la ministre, est une loi d’abandon.
« Ce n’est pas une société humaine que nous dessinons, mais une société de solitude et de silences », ont écrit récemment les fondateurs du Collectif démocratie, éthiques et solidarité, dont je fais partie.
Comme expliqué dans une tribune publiée dans Le Monde, de Theo Boer, professeur d’éthique aux Pays-Bas, un pays qui a légalisé l’euthanasie, « un cadre rigoureux ne suffit pas à prévenir les dérives ». Tirant sur une sonnette d’alarme, il nous enjoint de nous poser la question : « Sommes-nous prêts à ce que tuer devienne une option médicale parmi d’autres ? » Avant de nous prévenir : tous les verrous sauteront tôt ou tard. Ce que Jean Leonetti confirme : « Lorsque la boîte de Pandore sera ouverte, on ne pourra pas la refermer. »
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Ce texte, que vous défendez, Madame la ministre, n’est ni juste, ni équilibré, ni fraternel. Et vous le savez bien.
Ce n’est pas non plus une loi de liberté, puisque le choix entre être soigné jusqu’au bout de sa vie et demander la mort faute de soins ne sera pas garanti partout.
Un texte écrit dans la précipitation
Comment pouvez-vous cautionner une proposition de loi qui érige le suicide assisté et l’euthanasie au rang de « soin ultime », mettant les professionnels de santé et du médico-social dans une situation impossible, une rupture avec leur vocation qui est de soulager, d’accompagner et de préserver la vie ? Qui plus est dans un système de santé à bout de souffle, dans un contexte de désert médical, de pénurie soignante dans les Ehpad et de crise dans les hôpitaux ?
Comment pouvez-vous entériner ainsi le fait qu’il sera plus facile d’obtenir la mort que d’obtenir de se faire soigner ? Car ce que révèle ce texte écrit dans la précipitation, c’est qu’il ne faudra ni demande écrite, ni procédure collégiale, ni évaluation psychiatrique préalable. Une procédure expéditive. Aucune garantie que le choix soit libre et éclairé. Une simple demande orale, sans témoin.
Comment pouvez-vous cautionner un amendement prévoyant de former les professionnels de santé et du médico-social à cet homicide médicalisé, alors même que cet acte n’existe pas dans le droit français ? Avez-vous seulement réfléchi à qui serait compétent pour assurer cette formation initiale et continue à « l’aide à mourir », alors même que la formation au traitement de la douleur est actuellement si pauvre dans les facultés de médecine ?
D’inévitables pressions sur la personne âgée
Par ailleurs, je ne lis nulle part dans ce texte permissif à l’extrême de garantie pour les plus fragiles et les plus vulnérables de notre société. En tant que ministre de la Santé, n’est-il pas de votre devoir de les protéger ?
Dans une société âgiste comme la nôtre, d’inévitables pressions ne manqueront pas de s’exercer sur la personne âgée, dès lors qu’elle émettra la moindre plainte. Par un entourage lassé, ou des héritiers pressés, qui lui suggéreront peut-être qu’il serait temps qu’elle ait l’élégance de laisser la place à d’autres, de s’auto-effacer ? Quel autre choix aura-t-elle, dans le contexte de disette budgétaire qui est le nôtre, si convaincue qu’elle n’a plus sa place dans le monde, qu’elle est devenue un poids pour les autres, consciente du coût que sa seule existence représente, elle se résout à demander la mort, comme ultime geste de dignité ?
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Des menaces sur la prise en charge des malades en fin de vie
Comment – étant donné cette responsabilité qui est la vôtre – avez-vous pu soutenir l’adoption d’un « délit d’entrave à l’aide à mourir » qui fait peser des menaces considérables sur la prise en charge des malades en fin de vie, sur les plus âgés, et sur les politiques de prévention du suicide ?
Alors que vous, vous vous êtes opposée aux deux amendements déposés par deux députés, Patrick Hetzel et Annie Vidal, concernant un « délit d’incitation au suicide », que j’avais réclamé lors de mon audition le 30 avril 2024 devant la commission Falorni.Vous êtes-vous demandé ce que serait un pays dans lequel le fait d’entraver un suicide serait sévèrement puni par la loi, alors que le fait de pousser, même subtilement, une personne à mettre fin à sa vie, ne le serait pas ?
Cette loi que vous défendez, Madame la ministre, est une loi d’abandon.
« Ce n’est pas une société humaine que nous dessinons, mais une société de solitude et de silences », ont écrit récemment les fondateurs du Collectif démocratie, éthiques et solidarité, dont je fais partie.