Marie de Hennezel : “La loi sur l’aide à mourir donne une illusion de solidarité mais génère de vrais dangers”

Marie de Hennezel, psychologue clinicienne, autrice du livre La mort intime revient pour Atlantico sur la loi sur l’aide à mourir.


Atlantico : Que pensez-vous de la proposition de loi sur l'aide à mourir ? Cette législation pourrait-elle être dangereuse pour les populations les plus fragiles ?

Marie de Hennezel :
D’abord ce projet de loi ne concerne pas l’aide à mourir, mais l’euthanasie. Il y a une perversion sémantique. Aider à mourir, c’est ce que la première équipe de soins palliatifs dont j’étais la psychologue à fait dans les années 1986-96.

J’ai été témoin de cette aide qui consistait à :

- s’engager à ne pas abandonner une personne mourante
- à la soulager avec tous les moyens dont on disposait
- à lui permettre de vivre jusqu’au bout et d’avoir jusqu’au bout le sentiment de rester une personne à part entière, et de conserver sa dignité

La proposition de loi sur l’aide à mourir est dangereuse pour les plus fragiles. Elle n’est ni juste, ni équilibrée, ni fraternelle. (Le PR s’était engagé en mai 2024 à ce qu’elle le soit)
  • Injuste par ce que ceux qui résident dans une région sans soins palliatifs et dans un désert médical, ceux qui sont pauvres, sans relations, sans familles, n’auront pas d’autre solution que de demander la mort, puisqu’on la leur proposera à défaut de pouvoir leur assurer des soins palliatifs et un accompagnement humain de qualité. Et tout le monde sait que la couverture en soins palliatifs du territoire ne se fera pas avant des années.
  • Désequilibrée puisque il est prévu de punir sévèrement le fait d’entraver un suicide alors que le fait de pousser même subtilement une personne à demander la mort ne le sera pas. Le danger est particulièrement patent pour les personnes très agées qui se culpabilisent parfois de rester en vie, alors qu’elles savent qu’elles représentent un poids financier pour la société et pour leurs enfants. Elles ne manqueront pas de se sentir poussées à s’auto-effacer.
  • Non fraternelle, car la fraternité ne consiste pas à donner la mort, mais à écouter la demande sous-jacente de celui qui souffre ou qui doute de la valeur de sa vie. La fraternité c’est s’engager à ne pas abandonner, s’engager à soulager, et confirmer autrui dans sa dignité intrinsèque, par le regard que l’on porte sur lui. La fraternité c’est le philosophe Levinas qui en parle le mieux : le visage du plus faible, du plus vulnérable, m’oblige. Il est placé sous notre responabilite éthique de non-abandon.