Nicolas Baverez : «La santé mentale, une grande cause nationale en péril»
De l’enseignement aux transports en passant par les hôpitaux ou les prisons, les troubles mentaux sont non seulement un problème majeur de santé publique mais une tragédie nationale nous explique Nicolas Baverez.
Le 24 avril, à Nantes, au lycée Notre-Dame-de-Toutes-Aides, Justin P., un adolescent dépressif et suicidaire, tuait de 57 coups de couteau l’une de ses camarades, Lorène, âgée de 15 ans, et blessait grièvement trois autres élèves. Un mois auparavant, le 24 mars, Judith, brillante jeune femme de 31 ans, était précipitée sur les rails du RER B, dans la gare de Massy, par un homme qui aurait fugué des urgences psychiatriques. Le 2 décembre 2023, Armand Rajabpour-Miyandoab, connu pour son islamisme radical mais aussi ses troubles mentaux, assassinait un jeune touriste germano-philippin et blessait deux autres personnes au pont de Bir-Hakeim.
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Le constat est clair : de l’enseignement aux transports en passant par les hôpitaux ou les prisons, les troubles mentaux sont non seulement un problème majeur de santé publique mais une tragédie nationale. Un Français sur quatre en souffre, avec une nette accélération depuis l’épidémie de Covid qui a entraîné une hausse de 30 % des dépressions, de 50 % des addictions et de 10 % des suicides. L’espérance de vie des malades est inférieure de 15 à 20 ans à celle de la moyenne de la population et notre pays enregistre 9200 suicides par an, soit l’un des taux les plus élevés d’Europe (12,5 suicides pour 100.000 habitants, contre 10,3 en moyenne).
La psychiatrie française sinistrée
Les maladies mentales constituent désormais la première cause de handicap et d’affections chroniques en France, loin devant les cancers et les maladies cardio-vasculaires. Rien n’est plus éclairant à ce propos que le témoignage bouleversant livré par Nicolas Demorand dans son livre Intérieur nuit, où il décrit les souffrances insupportables dues à sa bipolarité qui l’ont conduit à une tentative de suicide.
La dégradation de la santé mentale des Français depuis la pandémie de Covid est dévastatrice. Elle participe à la crise de l’hôpital en pesant lourdement sur les urgences. Elle contribue au ralentissement des progrès de l’espérance de vie. Elle coûte plus de 200 milliards d’euros à l’économie nationale, pertes qui atteindront 300 milliards en 2030. Elle concourt à une société de la peur qui génère la haine et la violence et qui paralyse la société française, lui interdisant d’agir au lieu de subir les risques du XXIe siècle.
Face à ce défi, la psychiatrie française est sinistrée. Seuls 40 % à 60 % des malades sont pris en charge, ce qui explique les drames en chaîne qui rythment l’actualité. Dix à quinze ans s’écoulent entre les premiers symptômes et le dépistage des troubles, aggravant les pathologies et limitant l’efficacité des soins. La pédopsychiatrie est en voie de disparition et totalement absente d’une quinzaine de départements. Des millions d’aidants sont plongés dans l’anxiété et la détresse, tandis que les soignants fuient un système naufragé : sur 3500 postes de praticiens hospitaliers, 1600 sont vacants, de même que 30 % des postes d’infirmiers, tandis que la psychiatrie a plongé à la 40e place sur 44 des spécialités choisies par les étudiants en médecine.
Un désert psychiatrique
La transformation de la France en désert psychiatrique est d’autant plus paradoxale que notre pays a joué un rôle central dans la naissance et le développement de la discipline - de Philippe Pinel qui l’inventa en 1791 aux travaux de Jean-Martin Charcot sur le système nerveux ou à la découverte par Henri Laborit des premiers neuroleptiques et anxiolytiques en passant par la création d’établissements spécialisés dans chaque département par Esquirol au XIXe siècle. Elle justifie pleinement la décision de Michel Barnier, confirmée par François Bayrou, d’ériger la santé mentale en grande cause nationale. Et ce autour de quatre axes : la lutte contre la stigmatisation ; la prévention et le repérage précoce ; l’amélioration de l’accès aux soins ; l’accompagnement des malades dans leur vie quotidienne.
Mais comme toujours avec l’État, les mots jurent avec les choses et la communication est d’autant plus tonitruante que l’action est inexistante. Le budget de la psychiatrie poursuit sa chute qui atteint 12,7 % en termes réels depuis dix ans. La pénurie de soignants, brutalement aggravée par l’interdiction du recours aux postes d’intérimaires, se traduit par des fermetures massives de lits allant à l’opposé des besoins. La recherche et l’innovation sont au point mort faute de financements, alors qu’elles connaissent un puissant essor aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Europe du Nord (4 % du budget de la recherche médicale en France contre 16 % aux États-Unis).
Quand en Amérique les start-up investissent plus de 1 milliard de dollars par an dans la psychiatrie, Heka, le seul fonds français spécialisé dans les technologies de santé liées au cerveau qui est aussi le leader européen du secteur, s’est vu refuser tous les financements publics qui permettraient d’accélérer son développement et de contribuer à combler le retard français. Pourtant, le cerveau est unanimement considéré comme le premier enjeu de la médecine du XXIe siècle. Et les études réalisées à l’échelle mondiale montrent que chaque dollar dépensé dans la santé mentale produit un retour sur investissement de 5 à 6 dollars.
La transformation de la France en désert psychiatrique est d’autant plus paradoxale que notre pays a joué un rôle central dans la naissance et le développement de la discipline - de Philippe Pinel qui l’inventa en 1791 aux travaux de Jean-Martin Charcot sur le système nerveux ou à la découverte par Henri Laborit des premiers neuroleptiques et anxiolytiques en passant par la création d’établissements spécialisés dans chaque département par Esquirol au XIXe siècle. Elle justifie pleinement la décision de Michel Barnier, confirmée par François Bayrou, d’ériger la santé mentale en grande cause nationale. Et ce autour de quatre axes : la lutte contre la stigmatisation ; la prévention et le repérage précoce ; l’amélioration de l’accès aux soins ; l’accompagnement des malades dans leur vie quotidienne.
Mais comme toujours avec l’État, les mots jurent avec les choses et la communication est d’autant plus tonitruante que l’action est inexistante. Le budget de la psychiatrie poursuit sa chute qui atteint 12,7 % en termes réels depuis dix ans. La pénurie de soignants, brutalement aggravée par l’interdiction du recours aux postes d’intérimaires, se traduit par des fermetures massives de lits allant à l’opposé des besoins. La recherche et l’innovation sont au point mort faute de financements, alors qu’elles connaissent un puissant essor aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Europe du Nord (4 % du budget de la recherche médicale en France contre 16 % aux États-Unis).
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Un défi sanitaire
Il est temps de mettre un terme à ce concours de cynisme et d’irresponsabilité et de prendre enfin au sérieux le label de grande cause nationale qui a été attribué à la santé mentale. Cassons tout d’abord trois préjugés tenaces : les personnes atteintes de troubles mentaux sont des malades comme les autres qui relèvent de soins et non de la stigmatisation ou de l’enfermement systématique ; les maladies mentales ne sont nullement incurables, puisque 67 % des dépressions et 60 % des schizophrénies traitées rapidement sont guéries ; enfin, il est aujourd’hui possible, au croisement de la biologie et du numérique, de développer une psychiatrie de précision comme il existe une oncologie de précision. D’où l’utilité de s’inspirer du plan cancer, décidé en 2003 par Jacques Chirac, qui a obtenu des résultats remarquables.
À lire aussi « La détérioration de la santé mentale chez les jeunes était amorcée avant le Covid, mais s’est accentuée »
La santé mentale est aujourd’hui non seulement un défi sanitaire mais aussi un impératif pour la compétitivité de notre économie, la cohésion sociale, la paix civile et la résilience de la nation. Voilà pourquoi, la psychiatrie doit cesser d’être l’angle mort de notre système de santé pour devenir le laboratoire de son indispensable modernisation.
Nicolas Baverez: «La santé mentale, une grande cause nationale en péril»
Il est temps de mettre un terme à ce concours de cynisme et d’irresponsabilité et de prendre enfin au sérieux le label de grande cause nationale qui a été attribué à la santé mentale. Cassons tout d’abord trois préjugés tenaces : les personnes atteintes de troubles mentaux sont des malades comme les autres qui relèvent de soins et non de la stigmatisation ou de l’enfermement systématique ; les maladies mentales ne sont nullement incurables, puisque 67 % des dépressions et 60 % des schizophrénies traitées rapidement sont guéries ; enfin, il est aujourd’hui possible, au croisement de la biologie et du numérique, de développer une psychiatrie de précision comme il existe une oncologie de précision. D’où l’utilité de s’inspirer du plan cancer, décidé en 2003 par Jacques Chirac, qui a obtenu des résultats remarquables.
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