Petite mise au point sur la fiscalité locale, d’un point de vue libéral - Par Jean-Philippe Feldman
Les réactions de certains lecteurs au pendule de Jean-Philippe Feldman de la semaine dernière consacrée à la controverse entre Marine Le Pen et David Lisnard sur la fiscalité locale, ont fait penser que cette dernière n’était peut-être pas aussi bien comprise qu’il serait souhaitable. Or, le sujet est d’une grande importance.
Dans le programme largement indigent d’Emmanuel Macron lors de l’élection présidentielle de 2017, on a retenu la suppression de la taxe d’habitation. Une suppression qui s’est faite dans la douleur car, finances publiques en capilotade obligent, elle a été étalée sur plus qu’un quinquennat. Mais une suppression très macronienne car, en l’annonçant pour tous les contribuables, le candidat oubliait de préciser qu’une partie d’entre eux était déjà exonérée…
En définitive, la taxe d’habitation n’a pas été totalement supprimée. Elle a disparu depuis 2023 pour les résidences principales, mais pas pour les résidences secondaires. Et parfois elle est lourde, dans nombre de communes de villégiature tout comme à Paris (il faut bien tenter de boucher les trous béants de la gestion d’Anne Hidalgo…).
Une réforme stupide et démagogique
A priori, les libéraux devraient se réjouir de la suppression d’un impôt (et surtout d’une taxe aussi défectueuse que la taxe d’habitation, fondée sur des bases surannées) et tresser des lauriers à Emmanuel Macron. Pourtant, nous n’hésiterons pas à qualifier cette réforme de stupide et de démagogique.
Il est assez piquant de constater que le chef de l’Etat a pu être considéré comme le « président des riches », comme un libéral ou bien, ce qui n’est pas la même chose, comme un « néolibéral ». Pourtant, les premières années de sa présidence ont été marquées par une attaque en règle contre la propriété privée que, pour des raisons obscures, il méprise.
Pour bien comprendre, revenons assez loin en arrière, car la question de la fiscalité locale est liée à celle de la décentralisation.
Une décentralisation centralisée, des finances locales à l’avenant
Nous avons coutume d’utiliser ce merveilleux oxymore du au doyen Georges Vedel : la France est un pays tellement centralisé qu’elle a même décentralisé de manière centralisée… Les lois de décentralisation de 1982-1983 ont été portées, on l’oublie trop souvent, par le pouvoir socialiste. Elles étaient imparfaites à de nombreux égards, renforçant, entre autres, l’interventionnisme local à l’image de l’interventionnisme national, et sans aucune réflexion sur ce que devraient être de bonnes finances locales.
La réforme constitutionnelle de 2003 menée sous Jacques Chirac n’a pas arrangé les choses : conception confuse de la subsidiarité et encadrement des initiatives locales en dépit d’une loi qui se présentait comme une étape supplémentaire de la décentralisation. En matière fiscale, l’alinéa 3 du nouvel article 72-2 de la Constitution dispose que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources ». Nous allons y revenir. Quant à son dernier alinéa, il énonce que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales ». Autrement dit, il consacre le socialisme en prévoyant que les riches (collectivités territoriales) doivent être ponctionnés au profit des pauvres.
Suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales : des conséquences néfastes
Comme il était prévisible, les conséquences de la suppression de la taxe d’habitation ont été néfastes. D’abord parce que la fiscalité locale pèse maintenant essentiellement sur les propriétaires. En 2023, la taxe foncière avait rapporté presque 30 milliards d’euros. L’UNPI (Observatoire des taxes foncières sur les propriétés bâties, 18e rapport, octobre 2024) a calculé qu’elle avait augmenté en moyenne de 33 % entre 2013 et 2023 (et de 83 % dans la capitale), alors que l’inflation avait cru de 19 % et les loyers de moins de 8 %. Ensuite parce que, pour compenser le manque à gagner, l’État opère des transferts financiers vers les collectivités locales. Non sans polémiques d’ailleurs car elles considèrent, à tort ou à raison, que la puissance centrale rogne leurs finances et que le compte n’y est pas. Enfin et surtout, et ce point capital est trop souvent obombré, la disjonction entre les contribuables et les votants est encore plus prononcée.
Nous devons insister sur ce dernier point. La force de la fiscalité jusqu’à 1848, quelles qu’aient été par ailleurs ses faiblesses, tint au fait que, par principe, les votants étaient aussi les payeurs. Avec le suffrage censitaire, seuls pouvaient voter ceux qui payaient un montant minimal d’impôt direct et seuls pouvaient être élus ceux qui payaient un montant encore plus élevé. Aujourd’hui, un citoyen peut utiliser autant qu’il le veut les services publics locaux sans contribuer à leur coût ou en y contribuant de manière marginale. Il ne s’agit évidemment pas d’une situation qui incite à une utilisation raisonnable des impôts. Ni d’une situation qui incite les hommes politiques à gérer avec parcimonie les finances locales. Bien au contraire, elle ouvre la porte ouverte à toutes les démagogies, à l’extension de l’interventionnisme et à l’accroissement du « marché politique » par lequel les promesses s’échangent contre des votes. Il serait donc souhaitable de trouver un moyen pour que tous les contribuables d’une commune participent aux finances locales.
La nécessaire subsidiarité
Nous avons fréquemment usé de ce terme « subsidiarité », trop peu connu en France et mal consacré par notre Constitution comme par les textes communautaires. Sans entrer dans les détails, rappelons que la subsidiarité des libéraux est double. Au préalable, elle sépare horizontalement la sphère de la société civile et celle de l’État, en rendant celle-ci subsidiaire. Ensuite, au sein de la sphère de l’État entendue au sens large, elle se veut verticale et remontante, et non pas descendante. Autrement dit, si la puissance publique doit intervenir, il doit s’agir par priorité du niveau le plus proche de l’individu, à savoir la commune. Si celle-ci ne peut pas intervenir ou si son intervention n’est pas suffisante, alors il appartient à un regroupement de communes, ou au département ou à la région de le faire. Si le niveau local ne peut pas ou pas entièrement traiter du problème, il incombe à l’État d’intervenir et, en dernier ressort, à l’Union européenne. La logique de la subsidiarité est donc clairement décentralisatrice et cette description montre à quel point la France, toujours si centralisée et centralisatrice, en est éloignée.
La subsidiarité fiscale
Ce qui se sait encore moins, c’est que la subsidiarité comprend aussi une subsidiarité fiscale. Les impôts doivent par principe être prélevés par les autorités publiques le plus proches de l’individu. Logiquement, c’est donc à la commune de prélever les impôts et d’en retransmettre une partie aux autres niveaux. Or, nous faisons exactement l’inverse.
Quel serait l’intérêt d’une subsidiarité fiscale ? Au premier chef, de responsabiliser les citoyens et les hommes politiques en pesant pour une fiscalité modérée. Les contribuables locaux seraient incités à surveiller la bonne utilisation des fonds. Les hommes politiques seraient, eux, soumis en fait à un double contrôle : celui de leurs concitoyens bien entendu, mais aussi celui des contribuables extérieurs à leur circonscription. En effet, l’une des vertus de la subsidiarité fiscale serait d’entraîner une concurrence entre les collectivités locales sur tous les plans, notamment sur le plan fiscal. Alors qu’actuellement, c’est sur tous les plans le contraire : il est difficile de parfaitement gérer sa collectivité et les mécanismes de « péréquation » obligent à transvaser des tombereaux d’argent de certaines collectivités sur les autres.
Qu’est-ce qu’une bonne fiscalité locale ?