Derrière l’encadrement des réseaux sociaux, ce contrôle social technologique que l’Etat pousse de plus en plus - Par Fabrice Epelboin

Emmanuel Macron souhaite interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans. En prétendant protéger les jeunes, l'État ne prend-il pas le risque de banaliser une logique de surveillance de masse qui pourrait s'étendre à l'ensemble des citoyens au mépris des libertés fondamentales ?


Atlantico : Concrètement, à travers les outils numériques du quotidien comme l’application SNCF ou le pass Navigo, comment l’État ou des tiers peuvent-ils aujourd’hui nous tracer et nous contrôler ? Sommes-nous déjà entrés dans une logique où chaque déplacement, chaque clic, chaque interaction devient une donnée exploitable, et demain encore plus.

Fabrice Epelboin :
Le pass Navigo est une vieille histoire, et la montée de bouclier à l’époque a grandement atténué les choses. Son introduction avait permis de “numériser” la bonne vieille carte orange, ce qui avait un objectif avoué, abandonné par la suite, d’identifier les individus passant à proximité des panneaux publicitaire LCD pour personnaliser leur contenu à la façon des pubs que l’on croise sur internet, afin de cibler le message et d’augmenter les revenus publicitaires. Les activistes ainsi que les dégradations de ces écrans sont venues à bout de ce projet, mais le fait de “badger” avec votre pass Navigo à chaque entrée et sortie du métro fait que, du jour au lendemain, vous confiez le détail de vos déplacements à Île-de-France Mobilités, une donnée personnelle s’il en est. Là encore, Île-de-France Mobilités et la RATP ont été poussées à proposer une alternative, un pass Navigo rechargeable en tickets plutôt qu’avec un forfait mensuel, et anonyme. Aujourd’hui encore il est possible d’utiliser cette option. Evidemment, pour quelqu’un qui prend régulièrement le métro, cela augmente de façon significative le coût du transport, notamment suite aux JO où il est impossible désormais d’acheter des carnets et où il faut se résoudre à acheter ses tickets par 9 tout au plus sans profiter d’un tarif plus avantageux, qui était proposé il y a peu encore en achetant d’un coup 10 ou 20 tickets. L’anonymat a un prix, même si l’introduction des caméras de surveillance algorithmique rend ce luxe totalement obsolète, le métro étant sans doute l’un des endroits les plus surveillés en Ile de France.

Sur le plan technique, quels sont aujourd’hui les dispositifs précis entre infrastructures réseau, filtrage DNS, protocoles d’identification, géolocalisation, IA de modération ou surveillance algorithmique qui permettent aux États et aux plateformes de contrôler, filtrer ou orienter l’usage d’Internet et des réseaux sociaux ? Quels sont les maillons invisibles de cette mécanique de contrôle ?

Une réponse détaillée à une telle question dépasse largement le cadre d’un article, même un livre n’y suffirait pas. Ces technologies évoluent qui plus est en continu et la surcouche d’IA rend l’ensemble encore plus complexe. Qui plus est, la problématique liée à la “modération” - ou la censure, c’est vraiment une question de point de vue - est un chapitre à part entière dont l’approche technique n’a rien à voir avec celle de la surveillance des réseaux - au sens réseau internet, par opposition à réseau social.

La seule question à laquelle il est relativement simple de répondre concerne les “maillons invisibles”. Dans toutes ces technologies, qui vont de la couche hardware de votre PC aux plateformes internet que vous utilisez en ligne, en passant par votre OS - Mac ou Windows, je pars du principe que si vous utilisez du Linux vous comprenez suffisamment tout cela et que vous n’êtes pas trop concerné - demandez vous ce que vous comprenez finement dans leur fonctionnement. Tout ce qui n’est pas limpide et évident constitue les maillons invisibles de cette mécanique qui vous contrôle. Pour la plupart des gens, 99% des technologies qu’ils utilisent au quotidien relèvent de la boîte noire. Une partie plus ou moins significative de cette boîte noire est obfusquée par un discours marketing simpliste qui permet aux gens de manipuler des concepts qui les dépassent.