J'ai lu et aimé : « France-Algérie, le double aveuglement » - De Xavier Driencourt


Dans son dernier essai, "France-Algérie : le double aveuglement" (Editions de l’Observatoire), Xavier Driencourt fait l’autopsie d’une diplomatie française passive face aux provocations d’Alger. Il livre une analyse lucide et sans concession sur le caractère toxique de la relation bilatérale franco-algérienne. Et propose des solutions concrètes pour une sortie de crise. La reconnaissance par la France de l’appartenance du Sahara occidental au Maroc n'a fait que mettre au grand jour un état d’ambiguïté qui règne depuis 1962 et les accords d’Évian. Crise alimentée par le régime algérien et ses réseaux qui œuvrent plus ou moins insidieusement à la déstabilisation de notre pays, révèle l’ancien ambassadeur de France en Algérie de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2020. Un essai édifiant appelé à faire date.


Xavier Driencourt analyse la toxicité constante des relations entre la France et l’Algérie dont les réseaux occultes œuvrent à déstabiliser notre pays.

La crise des relations franco-algériennes provoquée par la reconnaissance par la France, en juillet 2024, de la marocanité du Sahara occidental, et illustrée notamment par l’arrestation, le 16 novembre 2024, de l’écrivain Boualem Sansal, est un révélateur.

Révélateur de l’ambiguïté de nos liens depuis 1962.

Révélateur de l’aveuglement de la France dans sa politique intérieure comme dans sa diplomatie vis-à-vis d’Alger.

Révélateur de la duplicité du pouvoir algérien, de la force de frappe occulte dont il dispose, par ses réseaux, sur notre sol, et de sa double fragilité, diplomatique comme intérieure, que nous faisons mine d’ignorer.

Qui tient qui ? Cette énième crise peut-elle être le point de départ d’une nouvelle relation entre les deux pays ? Xavier Driencourt décrypte et analyse avec fines-se une situation de plus en plus préoccupante.


Immigration, chantage, influence : le vrai visage des relations France-Algérie
Par Victor Lefebvre

Depuis 1962, l’Algérie, désormais indépendante, n’aurait dû être traitée que sur le plan diplomatique ; elle continue pourtant à faire partie de notre politique intérieure nationale. Tel est le grand paradoxe de la relation qui lie la France à l’Algérie : aucun autre pays dans le monde n’entretient d’histoire aussi riche, complexe et tragique avec la France que l’Algérie. Une histoire faite de renoncements, d’échecs et d’occasions manquées depuis l’indépendance de 1962.

Complaisance de la France

Pour avoir lui-même souligné, dans un rapport publié par la Fondapol en mai 2023, les conditions de circulation, de séjour et d’installation extrêmement favorables aux ressortissants algériens prévues par l’accord noué en décembre 1968 entre la France et l’Algérie, Xavier Driencourt est devenu lui-même la bête noire du régime algérien, conspué par la presse algéroise et par le président Tebboune en personne. Mais le diplomate, nommé ambassadeur de France en Algérie à deux reprises – fait unique au Quai d’Orsay –, est un observateur avisé des affres de la relation franco-algérienne. Il livre une analyse limpide dans un essai documenté, France-Algérie, le double aveuglement (L’Observatoire).


Xavier Driencourt : "Nous créons les conditions de notre fragilité face à l’Algérie"
Propos recueillis par Rachel Binhas

Marianne : Vous dédiez ce livre à Boualem Sansal. En tant qu’ancien ambassadeur de France en Algérie, quel regard portez-vous sur la gestion de cette affaire par Paris ?

Xavier Driencourt : Ce livre est né de la crise actuelle franco-algérienne que nous traversons. Elle met en lumière le double aveuglement qui est le nôtre. D’une part, un aveuglement diplomatique français : ne sachant pas comment aborder le pays, nous nous faisons balader par l’Algérie. D’autre part, un aveuglement intérieur, autrement dit, nous découvrons – ou nous faisons mine de découvrir – le poids des réseaux algériens, le rôle de la Mosquée de Paris, des influenceurs, etc.


«Nous sommes aveugles»
Par PM
Un entretien avec Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France en Algérie. Propos recueillis par Hilaire de Crémiers et Richard de Seze.

Depuis votre livre L’Énigme algérienne – Chroniques d’une ambassade à Alger, vous intervenez régulièrement pour donner votre avis sur les relations franco-algériennes. Qu’est-ce qui motive votre engagement ?

Comme je l’ai dit dans L’Énigme algérienne et comme je le répète dans mon nouvel ouvrage, France-Algérie, le double aveuglement, le dossier algérien est à la fois un dossier de politique étrangère et de politique intérieure française : on le voit bien en ce moment avec ces problématiques d’immigration, d’islam, d’OQTF, de Frères musulmans, etc. Je pense que nous sommes totalement aveugles vis-à-vis de l’Algérie depuis de nombreuses années. Alors, on peut parler d’aveuglement, de naïveté, de complaisance, de repentance, mais peu importe le mot : nous manquons de lucidité vis-à-vis de l’Algérie..

Pour votre deuxième ambassade, de 2017 à 2020, Emmanuel Macron venait d’être nommé président. Il y avait déjà à l’époque, de la part du gouvernement algérien, des manifestations assez hostiles envers le gouvernement français.

Je dirais que ça a toujours été plus ou moins le cas, s’agissant de l’Algérie, et que dans le fond, en 2017, il y a eu la politique des différents gestes, du candidat d’abord, du président de la République ensuite, et que l’Algérie n’a pas renvoyé l’ascenseur : non seulement le pouvoir algérien n’a pas renvoyé l’ascenseur mais je crois qu’il a bien pris la mesure de l’aveuglement de notre président et de la cécité française vis-à-vis de l’Algérie.

« France-Algérie, Le double aveuglement » de Xavier Driencourt
par Johan Rivalland
L’ancien ambassadeur de France Xavier Driencourt, à travers son dernier essai, nous aide à y voir plus clair, en se livrant à une analyse approfondie des relations complexes entre ces deux pays.

Xavier Driencourt, France-Algérie, Le double aveuglement, Les éditions de l’Observatoire, mai 2025, 192 pages.

Xavier Driencourt dédie son ouvrage à Boualem Sansal, avec qui il a dîné à Paris la veille de son arrestation à Alger, alors même que l’ancien ambassadeur lui avait formellement déconseillé d’y aller, dans le contexte de la volte-face française au sujet du Sahara occidental.

Cet épisode ne fait qu’exacerber des tensions entre les deux pays qui ont toujours existé depuis les accords d’Évian en 1962.

Des accords viciés dès le début

Pour mieux comprendre le caractère toxique des relations entre les deux pays, nous dit Xavier Driencourt, il faut avoir en tête – ce qui est souvent ignoré – que ceux qui ont, de bonne foi, négocié les accords d’Évian, ont été balayés trois mois plus tard par le coup d’État des militaires de « l’Armée des frontières », avec à leur tête notamment Boumédiène et Bouteflika, perpétrant les massacres que l’on connaît. Ce qui a fait prendre un bien mauvais départ aux relations entre les deux pays, d’autant que ce coup d’État sera suivi par un autre en 1965, Boumédienne renversant un président ben Bella devenu trop indépendant et jugé trop modéré à ses yeux, pour lui substituer durablement un régime militaire à parti unique, le FLN, et un système économique d’inspiration communiste.

Malgré cela, le général de Gaulle jugea souhaitable la mise en place d’un pouvoir fort et décida de « faire comme si », peu confiant face à l’état de confusion qui régnait en Algérie. Autrement dit, le choix de la complaisance fut celui opéré ; fermer les yeux et se montrer « bienveillant » face à un pouvoir autoritaire prêt à tomber dans le giron soviétique.

C’est cet aveuglement qui a nourri l’ambiguïté qui a perduré jusqu’à aujourd’hui dans les relations de notre pays avec l’Algérie, nourrie de non-dits et largement toxique. Une situation d’autant plus délicate que l’on estime à environ 10% la population française ayant des rapports de près ou de loin avec l’Algérie, ce qui en fait aussi un enjeu de politique intérieure. D’autant plus que les politiques – de gauche comme de droite – s’avèrent à la fois naïfs et complaisants à l’égard de l’Algérie, aveuglés notamment par la question du débat migratoire.