L’immigration afghane en France : Un événement de grande ampleur - Par Didier Leschi


Ancien préfet pour l’égalité des chances en Seine-Saint-Denis, Didier Leschi, directeur général de l’Ofii, montre, dans une note pour la Fondapol et l’Observatoire de l’immigration et de la démographie, que les Afghans sont devenus la première nationalité des demandeurs d’asile après les Ukrainiens. 

Didier Leschi est le directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

RESUME

Depuis 2015, la France est devenue l’un des principaux pays d’accueil des réfugiés afghans, dans le sillage de la crise syrienne, des politiques de fermeture au nord de l’Europe et de l’effondrement du régime afghan. Avec plus de 100.000 Afghans présents en 2024, cette migration s’est imposée comme un phénomène massif, récent, inattendu par son ampleur.

Ce mouvement est favorisé par un dispositif français d’asile relativement protecteur. En 2024, plus de 70% des Afghans ayant déposé une demande se sont vu accorder un statut de protection internationale (réfugié ou protection subsidiaire), contre moins de 40% dans certains pays européens. Ces écarts de reconnaissance encouragent les « mouvements secondaires » : des personnes déboutées dans d’autres pays de l’Union européenne viennent demander l’asile en France.

Mais cette dynamique révèle de nombreuses fragilités: les arrivants sont majoritairement jeunes, masculins, peu scolarisés, souvent en difficulté d’apprentissage linguistique et d’insertion professionnelle. Le conservatisme social en Afghanistan, que les migrants conservent en partie, est difficilement compatible avec les valeurs françaises notamment sur les questions de liberté de conscience et droits des femmes. Ce contraste se manifeste notamment dans la quasi-absence des femmes au sein de cette migration : elles représentent moins de 20% des personnes exilées, reflet de leur marginalisation dans l’espace public afghan.

La migration afghane met ainsi à l’épreuve le modèle français d’intégration. Elle souligne le décalage entre les valeurs de la République et les réalités culturelles de réfugiés afghans, tout en soulignant les limites des capacités d’accueil, aujourd’hui saturées et difficilement compatibles avec une politique migratoire dite « ouverte ».

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Immigration : plus de 100.000 Afghans vivent en France, les demandes d’asile en hausse «exponentielle»

Par Elisabeth Pierson

En 2007, quelque 1600 Afghans vivaient sur le territoire français selon l’Insee. Vingt ans plus tard, ils sont 100.000, dont les trois quarts arrivés les dix dernières années, révèle une note pour la Fondapol et l’Observatoire de l’immigration et de la démographie. Ce rapport, publié le 6 juin par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), souligne «un phénomène massif, récent, inattendu par son ampleur», selon les termes de son directeur général Didier Leschi.

Car parmi ces membres de la communauté afghane, les trois quarts sont arrivés après 2016, révèle le rapport. 89.000 bénéficient d’un titre de séjour, et plus de 10.000 autres étaient en cours de procédure Ofpra en 2024. En fonction des délais d’instruction, ils «se verront délivrer un titre de séjour dans le courant de 2025, ou en 2026». Ce qui propulse les Afghans parmi les dix premières nationalités titulaires d’un titre de séjour en France. Leur nombre est même deux fois supérieur à celui des Syriens détenteurs d’un titre de séjour, «alors même que les liens historiques entre la France et la Syrie sont bien plus anciens et profonds, la France ayant exercé un mandat sur ce pays à partir de 1918», souligne l’Ofii.

Système protecteur

Parmi les pays européens, la France est l’un des pays privilégiés - loin toutefois après l’Allemagne qui a enregistré 34.000 demandes d’asiles pour la seule année 2024, contre 10.300 pour la France. Pourquoi l’Hexagone ? Le rapport note que les dispositions y sont plus favorables pour les réfugiés afghans. Alors que le taux moyen de protection des Afghans en Europe (c’est-à-dire le taux de réponses positives aux demandes d’asile) se situe à 63%, demeurant même très bas en Suède avec 40%, il est resté au-dessus de 70% en France. Une réalité qui favorise les «mouvements secondaires» : des personnes déboutées dans d’autres pays de l’Union européenne et qui se tournent vers la France pour retenter leur chance.

C’est en 2015 que le phénomène s’accélère, devenant même «exponentiel», selon le rapport, après la prise de Kaboul par les talibans en août 2021. En 2015 sont enregistrées 2200 premières demandes d’asile. En 2016, 6000. En 2018, 9500 et en 2023, 17.550. De sorte qu’aujourd’hui, les Afghans sont en tête des nationalités demandant l’asile en France, après les Ukrainiens bénéficiant d’un système de demande exceptionnel. Ils sont encore plus de 13.000 Afghans à avoir déposé une demande en 2024.

Difficile intégration

Leur nombre n’est toutefois pas proportionnel à leur degré d’intégration. Les Afghans restent marginalisés, d’abord par une forte divergence culturelle. Selon une étude du Pew Research Center de 2013 citée dans le rapport, 99% des Afghans se déclarent alors favorables à la charia et 85% à la lapidation en cas d’adultère. Leur faible niveau éducatif constitue également un frein important à l’insertion et à l’accès à l’emploi. Plus de 40% des personnes interrogées par l’Ofii ont déclaré ne jamais avoir été scolarisées, malgré les vingt années de «république islamique» en Afghanistan sous influence et présence occidentale.

Cette communauté grandissante en France s’illustre aussi par une surreprésentation dans la délinquance. En France, où les statistiques ethniques sont interdites, on sait que les étrangers représentent 25% des détenus condamnés, alors qu’ils ne constituent que 8,2% de la population. En Allemagne, les Afghans comptent pour 2,3% des mis en cause dans les infractions, un taux cinq fois supérieur à leur poids démographique dans le pays. Les crimes sexuels sont particulièrement concernés, reflétant «les difficultés des rapports femmes-hommes et la dévalorisation des femmes», un «problème culturel majeur, comme on le sait, en Afghanistan», souligne le rapport. Les Afghans sont par exemple 21 fois plus présents que d’autres nationalités dans les cas d’abus sexuels sur mineurs, et fortement impliqués dans des infractions liées à la pornographie enfantine ou aux violences.

Le rapport souligne enfin la sous-représentation des femmes dans cette immigration afghane en France. «Quasiment invisibles», elles représentent moins de 20% des personnes exilées, un taux dû majoritairement au système de regroupement familial. Le rapport exhorte à «analyser» ce phénomène, à l’heure où les Afghanes, durement réprimées par le régime taliban, bénéficient désormais d’un droit collectif à l’asile politique. Leur sous-représentation dans la communauté afghane de France«ne peut s’expliquer uniquement par les difficultés des routes migratoires», estime l’Ofii. «Il est aussi le reflet d’une mentalité profondément enracinée dont les hommes, même réfugiés, demeurent imprégnés».

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Didier Leschi : « L’immigration afghane met notre modèle d’intégration sous tension »

Par Géraldine Woessner

L'immigration afghane en France a connu une croissance spectaculaire depuis 2015, transformant un phénomène marginal en enjeu migratoire majeur. Faible niveau de scolarisation, difficultés d'intégration, tensions culturelles... Didier Leschi, directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (Ofii), dresse un état des lieux sans concession de cette réalité, dans une note pour la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol), et pour l'Obervatoire de l'Immigration et de la Démographie, à laquelle Le Point a eu accès.

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Didier Leschi : «Il y a une ruée afghane sur l’Europe et en particulier la France»

Par Nadjet Cherigui, pour Le Figaro Magazine

« J’ai toujours été de gauche et je le suis encore. C’est la gauche qui a abandonné ce pour quoi on s’engageait, dès son plus jeune âge, comme j’ai pu le faire. » Le temps a passé, il n’a pas délaissé ses idéaux. Il a aujourd’hui le recul de la maturité et ne renie rien de son passé communiste ou de lycéen inspiré par ceux de Mai 68 qui manifestaient sur le pavé parisien. Dorénavant haut fonctionnaire, Didier Leschi vient d’être reconduit à la tête de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii). Le sujet est un matériau hautement inflammable lorsqu’il entre en contact avec les diverses idéologies. Il le sait. Mais cet homme de convictions ne craint pas de le manier. Il le connaît et le mesure, au quotidien, à l’aune de ses pratiques administratives, et ne se prive guère de l’évoquer sans détour dans de nombreux écrits comme Ce Grand Dérangement. L’immigration en face, ouvrage paru en 2020 ou Misère(s) de l’islam de France, publié en 2017.

Plus récemment, Didier Leschi a rédigé un rapport pour la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) traitant de la spécificité de l’immigration afghane. Sur une quarantaine de pages, il détaille, chiffres et données à l’appui, les problématiques posées par ce phénomène « soudain, inattendu » et surtout « massif » depuis 2015. Son ampleur est telle que, selon l’auteur, « il mettrait à l’épreuve le modèle d’intégration français ».

Pour le haut fonctionnaire, l’inventaire de la situation, à travers cette note, revêt un caractère absolument nécessaire. Habitué aux polémiques soulevées par certaines de ses analyses, il souligne l’accueil plutôt mesuré réservé à ce rapport. « Il y a eu très peu de réactions négatives, se réjouit-il. C’est étonnant, car c’est pourtant la note la plus téléchargée du site de la Fondapol. J’ai été très surpris de cet écho. Cela démontre le décalage entre ce qui est vu et vécu dans la réalité quotidienne par les gens et ce qui est débattu. »