Nouvelle ère politique : Jusqu’où pourrait aller la révolte des parents et proches de victimes ? - Par Philippe d'Iribarne et Olivier Vial

À Nogent, une surveillante a été poignardée à mort devant un collège par un élève. Ce nouveau drame par arme blanche survient dans un climat de violences juvéniles croissantes, où les homicides se banalisent. Un an plus tôt, Elias, 14 ans, tombait sous les coups d’une machette. Sa mère, aujourd’hui, ne réclame plus le silence ou la compassion, mais l’action. Face à la répétition de l’horreur, les familles endeuillées ne se contentent plus de marches blanches : elles prennent la parole, accusent, interpellent. Leur colère ouvre un basculement profond dans notre manière de regarder ces drames, non plus comme des faits isolés, mais comme les symptômes d’un système en échec. Par Philippe d'Iribarne et Olivier Vial.


Atlantico : Une surveillante a été tuée à Nogent (Haute‑Marne) par un élève armé d'un couteau, ce mardi 10 juin 2025 devant l'établissement Françoise‑Dolto. Cet acte s'inscrit dans une dynamique de violence à l'arme blanche notable, puisqu'il y a un an environ, Elias, 14 ans, était lui aussi tué par arme blanche, comme d'autres dont Matisse, 8 ans. La mère d'Elias s'exprimait récemment sur BFMTV pour répondre à une Élisabeth Borne appelant à prendre le temps de réfléchir. Que faut‑il penser de ce changement de posture chez les familles de victimes ? Que traduit‑il, exactement ?

Philippe d’Iribarne :
Des années durant, les familles de victimes ont dû faire face à une forme de pression morale, fruit de la course au politiquement correct. En d’autres termes, il fallait éviter de “faire le jeu du racisme” ou de “l’islamophobie”. Souvenez-vous ! Après le 11 septembre 2001 et la destruction par des terroristes islamistes des Twin Towers, on a vu émerger un certain nombre de manifestations contre l’islamophobie. Ce n’est d’ailleurs pas un cas isolé puisqu’après les attentats de Barcelone, en août 2017, ce scénario s’est reproduit. On a alors vu fleurir des pancartes, çà et là, dans toutes les manifestations, pour mettre en garde contre les risques de voir se développer l’islamophobie en Espagne comme en Occident. Force est de constater qu’à ce moment-là, la première des injonctions n’était pas de prévenir de tels actes terroristes, mais bien d’empêcher qu’ils n’alimentent des “sentiments hostiles”. C’est dans cette logique qu’ont émergé des slogans comme “Vous n’aurez pas ma haine”, ou les marches silencieuses avec fleurs et bougies. On refusait de voir dans ces événements autre chose qu’une succession de faits individuels. Il ne fallait surtout pas parler de dynamique collective, et toujours dénoncer toute tentative de “récupération politique”, dès lors que d’aucuns cherchaient à réfléchir plus en profondeur à ces sujets. Ce discours, qui a notamment fait taire les familles de victimes, a longtemps constitué une forme de terrorisme moral. Quiconque s’en écartait était automatiquement suspect. Notons d’ailleurs qu’il n’a pas tout à fait disparu puisque, encore récemment, Olivier Faure (le patron du PS) évoquait un “racisme d’atmosphère” en France. Et pourtant, il semble bien – l’intervention de la mère d’Elias en est une des manifestations – que ce récit perd en crédit. Il s’agit d’une représentation sociale dominante, ce qui signifie qu’elle ne s’érode pas en un instant et qu’il faut du temps pour en venir à bout. Mais ne nous leurrons pas : le processus est clairement engagé. Il suffit de jeter un œil à quelques-unes des références régulièrement conjurées par la gauche pour contrecarrer le narratif qui se développe aujourd’hui pour voir combien elles ont perdu de leur efficacité symbolique. Les discours tout faits sur les “heures les plus sombres de notre histoire” ou le “retour aux années 30” sont désargentés. Un autre signe de l’évolution des temps se voit dans les médias. L’ouvrage Les Territoires perdus de la République, publié en 2002 aux éditions Mille et une Nuits a été victime d’une quasi-omerta. Au contraire, le rapport récent sur l’entrisme des Frères musulmans a été extrêmement commenté, et même parmi les électeurs de LFI et des écologistes, une majorité a approuvé ce dernier texte. Cela traduit une évolution majeure de l’opinion publique : on passe d’un récit où l’ennemi était “le racisme” à un récit où la menace principale devient l’islamisme, ses ramifications, ses intimidations et ses violences. Cette évolution se manifeste aussi dans les faits. Chaque nouvel attentat ou attaque — Samuel Paty, le Bataclan, etc. — érode le socle idéologique de l’intimidation morale. Ce socle résiste encore chez Emmanuel Macron, Élisabeth Borne, ou Jean-Luc Mélenchon, mais leur discours semble de plus en plus déconnecté de la réalité perçue. Une limite reste que, quand l’auteur des faits est Français cela est immédiatement mis en avant, alors que quand il est immigré, ou issu d’une immigration récente, cela est d’abord largement passé sous silence. Dans ce contexte, on peut, me semble-t-il, parler d’une révolte des familles de victimes qui n’avait jusqu’à peu qu’une seule forme d’expression jugée légitime : la retenue, la compassion silencieuse. C’est précisément ce qui est en train de changer, puisque le droit de dire les choses devient lui-même légitime. C’est un basculement comparable à celui observé lorsqu’il est devenu possible, dans les années 1970-1980, de parler du goulag sans être aussitôt traité de fasciste. Le roi est nu, et on le voit enfin.

Olivier Vial : Il traduit une légitime colère, mais surtout le refus d'accepter les drames qui les ont frappés comme une fatalité. La parole des proches n’est plus celle du recueillement muet ; elle est devenue un acte d’accusation. « On n’a plus le temps de réfléchir, il faut agir », répond la mère d’Elias, 14 ans, tué à la machette pour un téléphone à Élisabeth Borne. Même cri de la veuve du gendarme Comyn : « La France a tué mon mari par son laxisme ». En prenant la parole, ces familles affirment que chaque meurtre, chaque viol, aurait pu être empêché si les défaillances connues (multirécidive, mesures éducatives inopérantes, délais de jugement, OQTF inappliquées) avaient été corrigées.

Surtout, ces voix refusent la banalisation de l'horreur trop longtemps classée au rayon des simples « faits divers ». En pointant la répétition des mêmes profils (mineurs multirécidivistes, port d’armes blanches, récidive sexuelle), elles transforment l’événement isolé en fait de société révélateur des failles de notre système et de notre réponse pénale.

La suite réservée aux abonnés