Quelqu’un sait-il encore où va l’Otan ? - Par Cyrille Bret et Viatcheslav Avioutskii

Les 32 chefs d’Etat et de gouvernement de l’alliance transatlantique - dont Donald Trump - se réunissent ces 24 et 25 juin à La Haye aux Pays-Bas pour le sommet annuel de l’organisation. Faut-il penser, selon vous, que les Etats-Unis ont encore à cœur de défendre le vieux continent ? Analyse de Cyrille Bret et Viatcheslav Avioutskii pour Atlantico...


Atlantico : Ce mardi se tient la réunion annuelle de l'OTAN, dans un contexte assez particulier puisque l'hypothèse d'un retrait des Etats-Unis (lesquels stationnent notamment des troupes en Europe) est sur toutes les lèvres. Faut-il penser, selon vous, que les Etats-Unis ont encore à cœur de défendre le vieux continent ? Reste-t-il, en somme, un soldat américain dans l'avion de la défense de l'Europe ?

Cyrille Bret : Les Etats-Unis de Donald Trump ont toujours annoncé un retrait sans le réaliser. L’approche de ces annonces est transactionnelle. Les présidents américains ont tous demandé un effort de défense supplémentaire des Européens car cela bénéficie à leurs propres industries de défense. Certains l’ont demandé de manière affable (Obama, Biden) et d’autres l’ont demandé de manière brutale sous la forme d’un ultimatum (Trump 1 et 2). Étant donné que l’OTAN constitue un des piliers de la projection de puissance américaine dans le monde (Arctique, Atlantique, Méditerranée, Moyen-Orient, Europe centrale, Baltique), le désinvestissement américain sera mesuré et ne tendra jamais à l’effacement.

Viatcheslav Avioutskii : Le fait est que l’on sait assez peu de choses de l’intention américaine. C’est d’ailleurs le fond du problème : il est très difficile de prévoir quelle sera la réaction de Donald Trump. Les relations transatlantiques sont aujourd’hui caractérisées par un dialogue tendu, que l’on qualifie de diplomatie transactionnelle. Les États-Unis conditionnent désormais leur soutien à l’Europe – et plus largement leur présence physique sur le continent – à plusieurs critères, en premier lieu celui des dépenses de défense, avec une exigence fixée à 5 % du PIB pour l’horizon 2035. Leur maintien dépend donc de ces engagements. Un second facteur d’évolution est à chercher du côté des priorités géopolitiques mondiales : si la demande pour des troupes américaines augmente ailleurs, notamment en Asie du Sud-Est, autour de la Chine, ou au Moyen-Orient – où l’on assiste actuellement à une montée des tensions avec l’Iran –, cela pourrait conduire à un redéploiement partiel ou total des forces américaines hors d’Europe. Enfin, il y a l’imprévisibilité du président Trump. Les organisateurs du prochain sommet se préparent au pire, redoutant une répétition de l’épisode du G7 au Canada, où Trump était reparti abruptement, visiblement contrarié par Emmanuel Macron, qui avait visité la veille la Groenland, et avait annulé une rencontre prévue avec Volodymyr Zelensky. D’après certaines sources proches des organisateurs, tout est fait pour limiter sa présence à une unique session de quelques heures, afin d’éviter un nouveau départ prématuré.

À l’heure actuelle, il est évident que les États-Unis jouent un rôle encore tout à fait central dans la défense de l’Union européenne et des pays européens membres de l’OTAN. Ceci étant, il faut bien comprendre que ce n’est pas tant la présence des troupes américaines qui est déterminante que celle de leurs équipements et infrastructures. Un tiers des soldats américains présents en Europe – soit environ 37 000 hommes – sont stationnés en Allemagne. D’autres sont basés en Italie, Grande-Bretagne, et Italie entre autres. Mais ce sont surtout les moyens technologiques – renseignement satellitaire, capacités logistiques lourdes comme les avions gros porteurs – qui poseraient problème en cas de retrait. Les Européens n’en disposent pas en nombre suffisant à ce jour. Ce qui manquerait le plus en cas de retrait américain, ce sont ces ressources techniques. À la rigueur, le départ d’une partie des soldats ne serait pas un drame, à condition que les Européens conservent l’accès à certains équipements critiques comme les satellites ou les capacités de transport militaire stratégique.

N’allons pas croire, par ailleurs, que les États-Unis ne tiennent pas à défendre l’Europe dans l’absolu : il est ici question de réduire la voilure, pas de mettre un terme définitif à l’OTAN. Pour autant, rester membre de l’Alliance aurait objectivement moins de sens si l’engagement américain devenait purement symbolique. Naturellement, certains pays (comme l’Allemagne, la France ou la Grande-Bretagne) anticipent déjà ce scénario et s’y préparent sérieusement. D’autres, notamment la Pologne, estiment encore qu’il ne s’agit que d’un différend passager entre alliés.

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