Non seulement la réalité du terrain confirme l’existence d’un islamo-gauchisme dans les universités mais ses penseurs s’en revendiquent explicitement - Par Pierre-Henri Tavoillot et Olivier Vial

Ce 7 juillet, le ministre chargé de l’Enseignement supérieur, Philippe Baptiste, a contesté sur LCP l’existence d’un quelconque « islamo-gauchisme » au sein de l’université française, arguant que le terme n’existait pas « en tant que terme universitaire ». Pierre-Henri Tavoillot et Olivier Vial répondent au ministre.

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Pour le philosophe Pierre-Henri Tavoillot, cette affirmation est doublement erronée.

Maître de conférences à Sorbonne Université et président du Collège de philosophie, Pierre-Henri Tavoillot est aussi le référent laïcité de la région Île-de-France.

LE FIGARO. – Le ministre de l’Enseignement supérieur, Philippe Baptiste, a contesté le 7 juillet sur LCP l’existence d’un quelconque « islamo-gauchisme » au sein de l’université française, arguant que le terme n’existait pas « en tant que terme universitaire ». « Il n’est même pas bien défini, donc cette notion n’existe pas », a-t-il assuré. Selon vous, cet argumentaire tient-il la route ?

Pierre-Henri TAVOILLOT. - À vrai dire, ce propos est doublement erroné : d’abord parce que le concept d’« islamo-gauchisme » est clairement identifié, et ensuite parce que, comme toute idéologie, il est évidemment présent à l’université, réceptacle naturel de toutes les idéologies existantes.

Mais chaque chose en son temps. Revenons au concept qui a été construit par Pierre-André Taguieff dans les années 2000 et dont l’histoire est parfaitement connue. L’historien des idées l’évoque notamment dans son ouvrage Liaisons dangereuses. Islamo-nazisme, islamo-gauchisme (Hermann, 2021). À partir de là, la définition de l’idéal-type est simple à établir, avec trois points fondamentaux qui le caractérisent. Il y a d’abord l’idée que l’islam est la religion des « opprimés » - ce qui permet aux révolutionnaires de gauche d’abjurer leur aversion du religieux, la religion étant traditionnellement perçue comme l’« opium du peuple ».

Et la révolte islamiste est, pour le révolutionnaire en herbe, une « divine surprise » qui permet de pallier la tendance conservatrice, voire réactionnaire, du prolétariat européen. En effet celui-ci se contente dorénavant de « défendre les acquis sociaux » ou de voter pour le Rassemblement national. Dans ces conditions, la révolution n’est plus envisageable avec lui, d’où la deuxième idée structurante qui réside dans l’urgence de faire venir un prolétariat actif et révolutionnaire. L’islamo-gauchisme soutient donc l’ouverture sans limite des frontières et l’accueil de ceux qu’ils pointent comme les « damnés de la terre ». Avec ces derniers, il redevient possible d’envisager la destruction de la pseudo-social-démocratie libérale et du système capitaliste.

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FIGAROVOX/TRIBUNE - Le directeur du CERU, Olivier Vial, répond au ministre.

Olivier Vial est directeur du CERU (laboratoire d’idées) et président de l’UNI.

L’islamo-gauchisme «n’a aucune réalité universitaire !» Répétons ensemble : l’islamo-gauchisme « n’a aucune réalité universitaire ! ». Philippe Baptiste, le ministre de l’Enseignement, n’est-il pas trop âgé pour continuer à croire qu’il suffit de répéter une formule pour rompre un sortilège et faire disparaître les problèmes et la réalité ?

Au cours d’un entretien sur le plateau de LCP, le 7 juillet dernier, le ministre a ajouté à propos de l’islamo-gauchisme : «ce terme […] n’existe pas en tant que terme universitaire, il n’est même pas bien défini, donc cette notion n’existe pas». Ce concept n’est pourtant pas né sur un plateau télé ni sur l’estrade d’un meeting. C’est bien un chercheur et politiste reconnu, lui-même directeur de recherche au CNRS, Pierre-André Taguieff, qui le premier va l’employer dans son livre La nouvelle judéophobie (2002) pour décrire «un ensemble d’alliances stratégiques et de convergences idéologiques entre des groupes d’extrême gauche et diverses mouvances islamistes». Une définition précise, documentée, se fondant sur des faits historiques, politiques et sociaux observables. Depuis, la notion a d’ailleurs été reprise par de nombreux universitaires, spécialistes de ces questions, comme l’islamologue Gilles Kepel ou la sociologue et anthropologue Florence Bergeaud-Blackler, elle aussi membre du CNRS. Plus de 250 universitaires ont même signé un manifeste le 1er novembre 2020 pour soutenir les propos de Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation nationale, qui avait lancé cet avertissement : «l’islamo-gauchisme fait des ravages à l’université». Ces chercheurs dénonçaient alors le déni d’une partie des instances universitaires et politiques face à cette menace.

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