L'homme politique est-il nécessairement menteur ?
Par Laurent SAILLY
Affirmer ce qu’on sait être faux, nier ou taire ce qu’on devrait dire, exagérer ou minorer une situation, cacher des informations constituent des mensonges. Et ceux qui s’y livrent sont des menteurs.
Dès lors, tout le monde ment tout le temps. Les chefs d'entreprise, les syndicalistes, les écrivains, les journalistes, les blogueurs quelquefois aussi d'ailleurs. Tout le monde ment. La seule différence, c'est que les hommes politiques sont sous les projecteurs, donc ça se voit plus. Cela étant, il est incontestable que ce sont plutôt des menteurs éhontés et récidivistes qui parviennent à être élus aux plus hautes responsabilités. Ce qui est important pour les électeurs, c'est donc d'apprendre à détecter les mensonges en politique, pour ne pas se faire arnaquer.
Alors pourquoi la grande masse des
électeurs, qui ne croient plus au discours politique, se méfient des promesses
et accusent les élus de mensonges, continuent de voter, de plus, pour le même
camp qui vient pourtant une nouvelle fois de les décevoir ?
Mentir par idéologie. Le responsable politique s’inscrit dans une idéologie. L’emprise de
l’idéologie écarte l’action politique de la réalité et de la responsabilité. La
plupart des aprioris idéologiques ne tiennent pas devant le principe de
réalité.
Cependant, les
promesses irréalisables entretiennent le sentiment profond d'être membres d'une
communauté politique identique. L'émetteur et le récepteur de ces messages et
de ces signes savent bien que ces promesses sont irréalisables et que ce sont
des balivernes. Supprimer la pauvreté ou l'insécurité sont deux promesses
intenables mais qui permettent de dire à ceux à qui elles sont destinées, dans
leur langage (de droite, de gauche ou du centre) que l'on partage valeurs et
vision politique analogues.
D’ailleurs, ceux qui, par fidélité à leurs principes
les plus sacrés, disent ce qu’ils pensent, sont traités en parias par leur
propre parti.
Il est dès lors tout
aussi important de condamner les menteurs que de fustiger ceux qui veulent bien
les croire alors qu'ils savent qu'ils mentent.
Mentir par médiocrité. La politique, paradoxalement, se
contente d'un gouvernement médiocre mais pas de promesses et de joutes
oratoires médiocres. Il faut être flamboyant et enflammer un auditoire qui le
demande même et surtout en racontant n'importe quoi. Car les responsables
politiques aujourd’hui n’ont pas la compétence pour comprendre et gérer la
complexité des dossiers qui s’imposent dans le monde moderne. La plupart du
temps, l’homme politique fait semblant de connaître les dossiers. Il se croit
obligé de donner un avis sur tout et n’importe quoi. Très souvent une promesse
qu’il ne tiendra évidemment pas.
Mentir par profession. Si les politiciens ont recours au mensonge, c’est parce qu’ils sont
convaincus de sa rentabilité. Cette rentabilité n’a-t-elle pas été maintes fois
démontrée ? Les politiciens qui sont les plus habiles menteurs sont ceux
qui durent le plus longtemps et qui obtiennent le plus de succès. Car pour exercer et garder son job, le
responsable politique doit être à l’écoute de ses clients, de ses électeurs. Il
fera tout pour être élu et réélu. D’où le programme et les promesses
généreuses. Et pourquoi le
mensonge est-il rentable ? Tout simplement parce que le peuple le
récompense, car en fin de compte, c’est toujours le meilleur menteur qui gagne.
Puis il fera tout pour
se maintenir au pouvoir. Faute de résultats, il fera des promesses encore et
toujours et multipliera les boucs émissaires en cas de non-résultats. Ce qui
fait qu’un homme politique au pouvoir passe plus de temps à trouver des excuses
ou des raisons de ne pas avoir fait ce qu’il devait faire plutôt que de le
faire vraiment.« A quoi bon sortir telle ou telle réforme si c’est pour se mettre à dos la moitié de la France et être battus aux prochaines élections. A quoi bon ? » La plupart des réformes de fond sont donc repoussées de législature en législature. Keynes disait très cyniquement, « ne nous occupons que du court terme, à long terme on sera mort ! »
Mentir par tempérament, par méthode, ou
par raison. Simplement, il ne faut pas tout
confondre parce qu'il y a plusieurs types de mensonges politiques. Il y a le
mensonge d'Etat, comme il y a les hommes d'État. Il y a le mensonge politique
et il y a le mensonge personnel.
Mensonge d'État, pour prendre l'exemple le plus classique, dans les périodes de guerre. Emmanuel Kant pose la question de savoir si on a le droit de mentir dans certaines circonstances (doit-on dire la vérité à un malade ou dire un mensonge "de finesse" pour éviter un mal ?). Pour le philosophe, il faut obéir à l'impératif catégorique qui prescrit une action comme nécessaire en elle-même, et non à l'impératif hypothétique qui subordonne l'action à une fin extérieure (l'intérêt, la diplomatie, la prudence) et donc proscrire le mensonge en toutes circonstances. Il y a ensuite les mensonges politiques hyper classiques. Là, on est servi parce qu'on a eu deux grands spécialistes à la tête de l'État, qui était François Mitterrand et Jacques Chirac.
Et puis, il y a
les mensonges qui sont des mensonges personnels, sur la santé, sur la fortune,
sur les vacances, sur certains hommes politiques qui se font une spécialité des
vertus familiales et qui, quelquefois, mènent une vie de bâton de chaise en
même temps. Mensonge d'État, pour prendre l'exemple le plus classique, dans les périodes de guerre. Emmanuel Kant pose la question de savoir si on a le droit de mentir dans certaines circonstances (doit-on dire la vérité à un malade ou dire un mensonge "de finesse" pour éviter un mal ?). Pour le philosophe, il faut obéir à l'impératif catégorique qui prescrit une action comme nécessaire en elle-même, et non à l'impératif hypothétique qui subordonne l'action à une fin extérieure (l'intérêt, la diplomatie, la prudence) et donc proscrire le mensonge en toutes circonstances. Il y a ensuite les mensonges politiques hyper classiques. Là, on est servi parce qu'on a eu deux grands spécialistes à la tête de l'État, qui était François Mitterrand et Jacques Chirac.
Pour autant, il n'y a pas de petits mensonges. A partir du moment où un politique cache la vérité, il commet une faute. Dans la vie courante, promettre quelque chose que l'on sait ne pas ne pas pouvoir ou ne pas vouloir tenir, s'appelle un mensonge et le mensonge n'est pas considéré comme une "vertu".
Conclusion. Les Français, comme d'autres peuples
démocratiques, ont développé au fil du temps un certain cynisme acceptant cette politique du mensonge et de la
considérer comme normale.
La question du
mensonge est liée au langage, comme celle de la vérité. "Le langage a été
donné à l'homme pour dissimuler sa pensée (on pourrait ajouter "pour
mentir") disait, non sans cynisme un homme célèbre pour sa longévité
politique : Talleyrand.Or la démocratie, « fondé sur la libre détermination des grands choix par la majorité, se condamne lui-même à mort si les citoyens qui effectuent ces choix, se prononcent presque tous dans l’ignorance des réalités » (in « La connaissance inutile » Jean-François Revel). Nietzsche a souligné la relation essentielle entre la morale et la mémoire. La survie de la société repose sur la capacité des hommes (au moins d'une majorité d'entre eux) à tenir leurs engagements. Par contre Machiavel pense que "la fin justifie les moyens", que l'unité et la stabilité de l’État sont des valeurs absolues. A la question "le mensonge est-il une vertu en politique ?", il répondrait donc : oui. Le réalisme politique de Machiavel s'appuie sur une vision pessimiste de l'homme : les hommes sont méchants, inconstants et déraisonnables. Le but de la politique, nous apprend Platon, n'est pas la simple conservation de la cité, mais de permettre aux hommes qui la composent de mener la vie la meilleure possible.
Y a-t-il un mince espoir pour que la situation change ? Seul le peuple a le pouvoir d’effectuer ce changement, en récompensant la vérité et en punissant sévèrement le mensonge. Le mensonge ronge la politique comme un cancer ronge le corps d’un malade. Il constitue un abus de confiance et il doit être condamnable, quelle qu’en soit la forme.