J'ai lu et aimé - Tu ne tueras point : La globalisation piteuse (Vol.2) - De Alain Bauer


Dans « Tu ne tueras point » (Fayard), deuxième tome de la « globalisation piteuse » prévue en six volumes, Alain Bauer, après l'insécurité externe (« Au commencement était la guerre » 2023, Fayard), se penche sur l'insécurité interne (le crime et la délinquance). Il examine à l'aune de l'histoire de la criminalité dans l'espèce humaine le regain de tension de la violence en France, à l'image des récents phénomènes de criminalité quotidienne. La violence devient un élément naturel, facile et rapide, de règlement de contentieux, observe le professeur de criminologie.


[Alain Bauer] établit que la violence est une caractéristique majeure de l'humain, et donc de nos sociétés, extérieure par la guerre, intérieure par l'insécurité des populations. Tout corps social a tenté de définir le crime et les sanctions à lui appliquer. Il donne un panorama de l'évolution historique de ce concept, rappelant les positions des grandes religions, aboutissant comme conséquence à l'invention de la sécurité et aux moyens de l'assurer. La séquence de la civilisation a conduit à la création de villes, faisant naître de nouvelles formes de crimes et de délinquance et conduisant à la création de polices dont les formes ont largement évolué au cours du temps et de l'espace, posant la question de l'exercice de la violence légitime et donc de celle de la puissance ordonnatrice.(État, Royauté, Dictature, etc.). Au total une réflexion inouïe sur nos vies quotidiennes et leur préservation qui appelle références religieuses, philosophique, sociologiques, historiques et au jour le jour. Un pavé à mettre dans toutes les mains.

critiquesLibres.com : Tu ne tueras point: La globalisation piteuse Vol.2 Alain Bauer

Alors que les Jeux olympiques de Paris approchent, la France vit une succession de phénomènes, de la criminalité quotidienne à l’émeute, de la violence ordinaire au terrorisme, sans aucune pause. Face à l’insécurité, Alain Bauer propose de se ressaisir de ce que nous avons délégué. Il s’agit de faire renaître la possibilité d’une sécurité véritable des cendres mêlées de l’antique utopie d’un monde sans coercition et du cauchemar éveillé d’une coercition sans monde.

Toulouse : un couple a été agressé place du Capitole. La jeune femme a été défigurée et son compagnon blessé.

Évreux : deux hommes lourdement armés ont criblé de balles une voiture, laissant deux morts et un blessé grave.

Cherbourg : un individu est parvenu à s’introduire chez une jeune femme seule, l’a frappée sur tout le corps, puis l’a violée de manière barbare plusieurs fois. Elle a dû être plongée dans le coma.

Lyon : une femme a été retrouvée morte dans le hall de son immeuble. Elle présentait des plaies sur le corps.

Marseille : un homme âgé de 27 ans a été tué dans un quartier du nord. Il s’agit du huitième mort par balles dans la deuxième ville de France en six mois, victime des luttes sanglantes pour le contrôle du
trafic de stupéfiants.

Nîmes : Fayed, un enfant de 10 ans, a perdu la vie, touché par balles lors d’une fusillade entre trafiquants de drogue dans le quartier populaire de Pissevin.

Crépol : Thomas, un adolescent de 16 ans, a été tué au couteau et plusieurs personnes ont été blessées lors d’un bal populaire.

Valenton : un adolescent a été poignardé à mort, alors qu’il voulait vendre un jogging. Au moment où il s’apprêtait à faire la transaction avec l’acheteur, le jeune homme s’est retrouvé face à un groupe de six personnes encagoulées, venues pour le voler.

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« La violence se construit à partir de petits faits, réguliers, quotidiens, qui ne traumatisent que les victimes et n’intéressent pas les médias. Puis l’ordinaire de la violence produit soudain des faits divers qui, par leur intensité, choquent et mobilisent, réveillent ou terrorisent. Jusqu’à ce que l’extraordinaire devienne si fréquent qu’il se fasse ordinaire. »





Alain Bauer: «La violence devient une musique de fond qui pourrit le quotidien».


LE FIGARO. - La récurrence des faits divers et de leur intensité a-t-elle déplacé le curseur du tolérable pour la population ? Pour qu’un fait divers mobilise et heurte l’opinion publique, doit-il être encore plus violent que par le passé ?

Alain BAUER. -
La capacité de résilience et d’adaptation de la population est toujours remarquable, en période de guerre comme de violence. Dans un cycle de pacification, comme on a pu le connaître depuis un demi-siècle (hors guerres), particulièrement pour les homicides, la sensibilité de la population s’accroît inversement à la baisse de la violence et l’extraordinaire est souvent seul en capacité de mobiliser l’opinion. Lorsque le cycle s’inverse, qu’homicides et tentatives et violences volontaires reprennent une dynamique inflationniste, l’extraordinaire se répète, et semble devenir de plus en plus « ordinaire » : morts d’adolescents, agressions contre les élus, règlements de comptes entre trafiquants et victimes collatérales… Nous vivons ce moment. Si un fait plus violent remobilise, la violence devient une musique de fond qui parfois pourrit le quotidien et exacerbe les tensions.

Selon vous, l’outil statistique seul ne permet pas de rendre compte de la réalité de la criminalité. Pourquoi ?

Il a un avantage, sa durée, mais il reste partiel, parcellaire et parfois encore partial malgré les efforts ayant permis de créer l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) ou le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI). Le seul dispositif qui permet de se rapprocher du réel, l’enquête de victimation, a failli être victime du zèle budgétaire du gouvernement Philippe avant d’être sauvée par Beauvau. Outre le manque de plaintes sur des sujets sensibles, comme les violences intrafamiliales (moins de 10 % des faits subis sont déclarés), les conditions de la prise des plaintes, des modalités de traitement, de classement ou de suivi judiciaire font l’objet de distorsions locales ou nationales et d’une difficulté à prendre en compte notamment les atteintes faites aux femmes, l’inceste et une série de phénomènes graves mais peu visibles du fait d’une certaine insensibilité de l’appareil administratif. Jusqu’à ce qu’un « fait divers » révulse l’opinion et force au changement. Ou en tout cas à des postures qui annoncent une inflation législative souvent hors de propos ou hors de portée.

L’insécurité pousse le citoyen à développer des stratégies pour éviter d’y être confronté. Est-ce un angle mort de l’analyse de l’insécurité et de ses conséquences ?

Ce n’est pas un angle mort, les rares criminologues français s’y emploient. Mais ils sont peu nombreux, peu reconnus, sauf au Conservatoire national des arts et métiers ou à Lille, malgré la volonté de dizaines de collègues qui analysent les phénomènes criminels envers et malgré tout, notamment un déni de réalité qui se traduit par un remarquable triptyque de négation, minoration ou éjection (en français courant : ce n’est pas vrai, ce n’est pas grave, je ne peux rien y faire) qui exaspère les victimes, leurs proches et, à force d’accumulation, l’opinion publique. C’est ce que mon livre raconte, comment on est passé d’un commandement, ne plus tuer, à un renversement de cycle ou la violence devient un élément naturel, facile et rapide, de règlement de contentieux. De plus, largement diffusée et amplifiée sur la rageosphère.

Alain Bauer : "Pendant cinq siècles, nous avons réussi à domestiquer la violence... le cycle s'est inversé"

À travers livres, publications et interventions musclées sur les plateaux de télé, voilà plusieurs années que le criminologue Alain Bauer examine la montée de la violence en France. Avec Tu ne tueras point (Fayard), le professeur de criminologue au Conservatoire National des Arts et Métiers part des récents et nombreux phénomènes de criminalité quotidienne pour penser la place de la violence dans notre société sur le temps long.

Marianne -+ Vous écrivez ceci : « La violence se construit à partir de petits faits, réguliers, quotidiens, qui ne traumatisent que les victimes et n’intéressent pas les médias. Puis l’ordinaire de la violence produit soudain des faits divers qui, par leur intensité, choquent et mobilisent, réveillent ou terrorisent. Jusqu’à ce que l’extraordinaire devienne si fréquent qu’il se fasse ordinaire. » Tout est dans ce « soudain », sorte de mystère, qui fait que des actes de violence deviennent « affaire médiatique ». Parce qu’ils passent une ligne de flottaison particulière ? Parce qu’ils comportent des ingrédients en plus ?

Alain Bauer : 
Philosophes, sociologues, ethnologues, criminologues et journalistes aimeraient pouvoir répondre à cette question. La présence d’un enfant, un contexte d’un sordide particulier, un effet d’absence médiatique, d’autres questions toujours violentes (guerre notamment) créent les conditions d'un émoi, d’un intérêt public décuplé.

Plus le niveau de violence ambiant augmente, plus l’affaire qui passionne le public doit atteindre une dimension exceptionnelle. Mais l’accumulation de faits en eux-mêmes « ordinaires » peut provoquer un effet déclencheur.

L'affaire de Crépol, justement, a bouleversé la France. Quelles leçons retenez-vous de cet épisode de violence ?

Comme toujours, la bagarre générale de fin de soirée festive attire peu l’attention. Des blessés, un peu plus. Un mort, des blessés, la mise en perspective d’un affrontement entre un « quartier » dont on parle beaucoup et un village présenté comme son antithèse rurale et bucolique, provoque alors un effet « Papy Voise », qui avait défrayé la chronique en 2002.

Alain Bauer : "Pendant cinq siècles, nous avons réussi à domestiquer la violence... le cycle s'est inversé" (marianne.net)