La longue marche du Conseil constitutionnel vers le gouvernement des juges : histoire d’une révolution juridique - Par Alexis Feertchak

À l’origine, l’institution était un outil de contrôle du Parlement, mais il s’est progressivement octroyé le rôle d’un producteur de droit, quitte à entrer en concurrence directe avec le législateur. L’histoire des sages de la rue de Montpensier est celle d’une révolution politico-juridique.

Le 13 mars 1959, le nouveau Conseil constitutionnel tenait sa première séance dans une « remarquable indifférence », racontait en 2014 son président, Jean-Louis Debré, fils de Michel Debré, l’ancien premier ministre de De Gaulle, qui fut le véritable père de l’institution de la rue de Montpensier, bien plus que le Général, qui n’avait pas l’âme d’un juriste. La presse préférait alors s’amuser du nom de son premier président, Léon Noël, qui formait un palindrome.

La figure de style était loin de résumer la révolution juridique qui se profilait à bas bruit : la loi, toute-puissante depuis la Révolution française, tombait de son piédestal puisqu’un juge était dorénavant chargé de contrôler sa conformité à la Constitution. Certes, il y avait eu sous la IVe République un embryon de « comité constitutionnel », mais, avec la Constitution du 4 octobre 1958, le « contrôle de constitutionnalité » faisait son entrée en force au cœur d’un État légicentriste : comme le résume le Conseil constitutionnel lui-même dans une décision du 23 août 1985, la loi votée par le Parlement n’exprime la volonté générale que dans le respect de la Constitution.

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Cette limitation peut sembler anodine, mais, au pays de Montesquieu, la loi est sacrée et ne se juge pas. Dans le livre XI de De l’esprit des lois, le philosophe procède à une implacable démonstration :

« Si (la puissance de juger) était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire puisque le juge serait également législateur […] Puisque les juges de la nation ne sont que la bouche qui prononce les paroles de la loi, des êtres inanimés, ils n’en peuvent modérer ni la force ni la rigueur. »

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"C’est par un coup d’Etat que le Conseil s’est emparé de ce contrôle de fond en 1971. Mais le constituant a validé ce coup de force et là même conforté en ouvrant sa saisine."
Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’université Rennes-1

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"L’État de droit est avant tout un impératif de prévisibilité et de sécurité juridiques, or justement le pouvoir d’appréciation discrétionnaire des juges le compromet"
Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’université Rennes-1

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"Le Conseil constitutionnel a pourtant toutes les caractéristiques d’une juridiction, mais, comparés au Tribunal constitutionnel fédéral d’Allemagne, certains de ses membres sont moins expérimentés, ses nominations moins impartiales, ses jurisprudences moins argumentées".
Guillaume Drago, professeur de droit public à l’université Panthéon-Assas

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