Alexandre del Valle : « L’islamisme a repris toute la mauvaise rhétorique de gauche pour instrumentaliser la mauvaise conscience européenne »

Le rapport publié fin mai sur les Frères musulmans met en lumière la stratégie de l’organisation islamiste visant à déstabiliser la société française. École, sport, collectivités locales. Aucun secteur n’est épargné par la logique d’entrisme du mouvement islamique transnational. Pour l’essayiste Alexandre del Valle, la France devrait s’attaquer non pas à une ou plusieurs organisations, mais davantage se focaliser sur la charia..


Alexandre del Valle est géopolitologue, auteur de nombreux ouvrages, notamment Le Projet : la stratégie de conquête des Frères musulmans en France (L’artilleur, 2019). 

Epoch Times – Alexandre del Valle, quelle a été votre réaction en lisant le rapport ?

Alexandre del Valle –
Le rapport auquel vous faites allusion, rendu public le 21 mai, intitulé "Frères musulmans et islamisme politique en France", a été rédigé par un groupe de hauts-fonctionnaires et avait été en fait missionné en avril 2024 pour mener un travail approfondi destiné à documenter la réalité de l’islamisme politique.

Il y a des éléments justes : l’organisation des Frères musulmans est clairement dans une logique d’entrisme dans différents pans de la société. Dans l’ensemble, je n’ai pas trouvé ce rapport très original. Il n’y avait rien de nouveau, aucun fait précis. Dans ce document, on raconte tout et son contraire. Je pourrais le qualifier de « macronien ».

Les auteurs identifient 130–140 mosquées affiliées (7 % des lieux de culte), 91.000 fidèles, des écoles et structures associatives formant un « écosystème local ». Ils décrivent, à juste titre, la stratégie d’« entrisme » et d’infiltration discrète des associations, municipalités, établissements et médias liés aux Frères musulmans via un double discours conforme en public et rigoriste en privé ; les financements étrangers opaques, les flux venus du Qatar, Koweït, voire d’un fonds basé à Londres.

Il montre les convergences avec le salafisme, diffusion de textes pro-charia, et donc la menace à long terme, non violente, mais subversive, via des modifications progressives des normes locales et républicaines. Rien de faux, mais rien de nouveau, et surtout un oubli : ne mentionner que les Fréristes alors que les mosquées qui diffusent de façon affichée ou en sous-main un refus des lois en place et de l’intégration des musulmans dans une logique séparatiste seraient plutôt au nombre de 800 et non de 140, si l’on compte les mouvances pakistanaises-indiennes, les structures turques du Dyanet et DIB d’État et du Milli Görüs ou autres pôles au double discours comme les Marocains ou les salafistes et fréristes non déclarés qui ont pénétré des fédérations musulmanes respectables.

Quant aux mesures préconisées, comme renforcer les capacités de l’État, la création d’un « chef de file » central en matière de renseignement et d’un parquet administratif dédié en cas de dissolution; l’amplification des dissolutions administratives ciblées sur les associations et lieux de culte entristes; la formation des fonctionnaires et élus locaux pour détecter et contrer l’entrisme islamiste; la sensibilisation du grand public pour identifier les financements douteux et les discours subversifs et la surveillance des flux financiers et renforcer le « trou dans la raquette », je n’y vois rien de neuf de plus que ce que la loi permet déjà.

Je répète depuis des années et dans les conclusions de mes études que tant que les doctrines islamistes (ouvrages, discours, financements) ne font pas l’objet d’une interdiction explicite, toutes ces actions resteront insuffisantes : elles ne s’attaquent ni au cœur idéologique ni aux racines des réseaux. Ce déséquilibre entre sanction administrative et absence de régulation doctrinale limite considérablement l’impact réel sur le long terme.

Bref, si l’islam politique n’est pas formellement interdit, les mécanismes proposés risquent de tourner à vide – travaillant sur les conséquences sans toucher la cause. J’ai été, par ailleurs, assez sidéré par les recommandations formulées comme l’enseignement de l’arabe qui n’est absolument pas la priorité puisque l’antidote est de transmettre un « patriotisme intégrateur », un amour de la France et de l’Occident, qui passe par l’apprentissage de l’histoire, des découvertes, des grandes aventures et des Lumières.

Depuis 30 ans, on nous parle de l’apprentissage de l’arabe. Je n’ai rien contre cette langue, que j’ai apprise et apprécie sur le plan sonore et civilisationnel et que parlent nombre de chrétiens d’Orient, mais nous devrions d’abord apprendre à nos jeunes à connaître et à aimer la France et s’intégrer au sens de l’assimilation. Il faut veiller à ce que les imams ne leur inculquent pas un modèle civilisationnel sous couvert religieux mais une vision du culte dépolitisée et adaptée à l’Occident, donc privatisée et coupée des pans totalitaires théocratiques liberticides de la charia incompatible avec nos lois et valeurs fondamentales. Ensuite, le rapport rappelle qu’il ne faut pas confondre islam et islamisme. Mais affirmer cela n’est pas suffisant.

Tous les musulmans ne sont évidemment pas islamistes, mais toutes les organisations islamistes s’appuient sur l’islam orthodoxe, c’est-à-dire l’islam officiel qui est enseigné dans la plupart des universités des pays musulmans. Dans cet islam orthodoxe officiel, vous retrouvez la quasi-totalité des pratiques islamistes. C’est tout le problème.

S’il n’y avait pas dans l’islam classique, des références juridiques au djihad, l’excision, la soumission des Juifs et des chrétiens, il n’y aurait aucun problème. Il suffirait de distinguer simplement l’islam et l’islamisme.

Malheureusement, ce n’est pas le cas. Par conséquent, la France devrait s’attaquer non pas à une ou plusieurs organisations, mais à un certain degré de pratique de la religion musulmane. Nous devons nous pencher sur ce qui est dans la charia et dans l’islam, totalement contradictoire avec l’ordre juridique européen et l’interdire.

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