11 novembre 1799 (20 brumaire An VIII): le général Bonaparte accède au pouvoir... (3ème jour du coup d'état)


11 novembre 1799 : les Français apprennent par une publication officielle signée de Napoléon Bonaparte datée de la veille à 11h du soir, l’accession au pouvoir du général.


Le texte de l’affiche raconte la séance houleuse du 19 brumaire au Conseil des Cinq- Cents. Ce récit ne correspond qu’en partie à celui fait par Lucien Bonaparte. Celui-ci raconte que c’est lui-même, Lucien, président des Cinq-Cents, qui, pour résister à « la terreur de quelques représentants à stylets qui assiègent la tribune », réagit fortement aux menaces des députés hostiles à Bonaparte et appelle au secours l’armée, alors que son frère attendait à l’extérieur de la salle du conseil. Dans le récit de Bonaparte, les rôles sont inversés : c’est lui qui aurait sauvé Lucien en appelant à la rescousse ses braves grenadiers. Bonaparte fait figure de sauveur, alors qu'il a failli faire échouer le complot en perdant son sang-froid devant une opposition inattendue.

La justification donnée à son coup de force est simple : le désordre régnait, tous les partis ont fait appel à lui. Menacé d’assassinat par des factieux, il est sauvé par l’armée et met son zèle au service des Français. Bonaparte est bien le sauveur de la nation. Dans sa proclamation, les ennemis sont désignés comme des « assassins », des « factieux ». Il s’agit bien sûr des jacobins. C’est donc à une deuxième inversion des faits que procède Bonaparte, en présentant les adversaires du coup d’Etat comme ceux qui précisément menacent l’ordre public.

Homme du salut public, Bonaparte esquisse quelques axes de son programme dans cette brève proclamation. Les mots liberté, égalité, respect de la République indiquent la volonté de s’inscrire dans la continuité de la Révolution. Avec la référence à la propriété et aux « idées conservatrices, tutélaires et libérales », il s’agit bien, pour Bonaparte, d’assurer son pouvoir personnel, et d’imposer le retour à l’ordre et la sauvegarde des acquis fondamentaux de 1789. Cela se concrétisera très rapidement dans la rédaction de la Constitution de l’an VIII, qui met en place le régime du Consulat et clôt ainsi la période révolutionnaire.

Texte Marianne Cayatte

Proclamation de Bonaparte

« A mon retour à Paris, j'ai trouvé la division dans toutes les Autorités, et l'accord établi sur cette seule vérité, que la Constitution était à moitié détruite et ne pouvait sauver la liberté.
Tous les partis sont venus à moi, m'ont confié leurs desseins, dévoilé leurs secrets, et m'ont demandé mon appui : j'ai refusé d'être l'homme d'un parti.
Le Conseil des Anciens m'a appelé ; j'ai répondu à son appel. Un plan de restauration générale avait été concerté par des hommes en qui la nation est accoutumée à voir des défenseurs de la liberté, de l'égalité, de la propriété : ce plan demandait un examen calme, libre, exempt de toute influence et de toute crainte. En conséquence, le Conseil des Anciens a résolu la translation du Corps législatif à Saint-Cloud ; il m'a chargé de la disposition de la force nécessaire à son indépendance. J'ai cru devoir à mes concitoyens, aux soldats périssant dans nos armées, à la gloire nationale acquise au prix de leur sang, d'accepter le commandement.
Les Conseils se rassemblent à Saint-Cloud ; les troupes républicaines garantissent la sûreté au dehors. Mais des assassins établissent la terreur au dedans ; plusieurs Députés du Conseil des Cinq-cents, armés de stylets et d'armes à feu, font circuler tout autour d'eux des menaces de mort.
Les plans qui devaient être développés, sont resserrés, la forte majorité désorganisée, les Orateurs les plus intrépides déconcertés, et l'inutilité de toute proposition sage évidente.
Je porte mon indignation et ma douleur au Conseils des Anciens ; je lui demande d'assurer l'exécution de ses généreux desseins ; je lui représente les maux de la Patrie qui les lui ont fait concevoir : il s'unit à moi par de nouveaux témoignages de sa constante volonté.
Je me présente au Conseil des Cinq-cents ; seul, sans armes, la tête découverte, tel que les Anciens m'avaient reçu et applaudi ; je venais rappeler à la majorité ses volontés et l'assurer de son pouvoir.
Les stylets qui menaçaient les Députés, sont aussitôt levés sur leur libérateur ; vingt assassins se précipitent sur moi et cherchent ma poitrine : les Grenadiers du Corps législatif, que j'avais laissés à la porte de la salle, accourent, se mettent entre les assassins et moi. L'un de ces braves Grenadiers (Thomé) est frappé d'un coup de stylet dont ses habits sont percés. Ils m'enlèvent.
Au même moment, les cris de hors la loi se font entendre contre le défenseur de la loi. C'était le cri farouche des assassins, contre la force destinée à les réprimer.
Ils se pressent autour de président, la menace à la bouche, les armes à la main ; ils lui ordonnent de prononcer le hors la loi : l'on m'avertit ; je donne ordre de l'arracher à leur fureur, et six Grenadiers du Corps législatifs s'en emparent. Aussitôt après, des Grenadiers du Corps législatif entre au pas de charge dans la salle, et la font évacuer.
Les factieux intimidés se dispersent et s'éloignent. La majorité, soustraite à leurs coups, rentre librement et paisiblement dans la salle de ses séances, entend les propositions qui devaient lui être faites pour le salut public, délibère, et prépare la résolution salutaire qui doit devenir la loi nouvelle et provisoire de la République.
Français, vous reconnaîtrez sans doute, à cette conduite, le zèle d'un soldat de la liberté, d'un citoyen dévoué à la République. Les idées conservatrices, tutélaires, libérales, sont rentrées dans leurs droits par la dispersion des factieux qui opprimaient les Conseils, et qui, pour être devenus les plus odieux des hommes, n'ont pas cessé d'être les plus méprisables.

Signé BONAPARTE
Pour copie conforme : Alex. BERTHIER »

Lucien Bonaparte a repris la présidence du Conseil des Cinq-Cents, mais les esprits sont toujours échauffé par les évènements de la journée. Il ouvre la séance en déclarant la chambre légalement constituée. Bérenger prend aussitôt la parole, et va prononcer et faire voter la motion d’ordre de ralliement. Par un discours habile, il trace le tableau des dangers qu'avaient courus dans cette journée la représentation nationale, Bonaparte et la liberté ; il fait ensuite ressortir les avantages d'une victoire à laquelle on devait la fin de la Révolution, et obtient sans peine cette déclaration unanime, que Bonaparte, ses généraux, ses troupes avaient bien mérité de la patrie :

« Gloire et reconnaissance à Bonaparte, aux généraux, à l’armée, qui ont délivré le corps législatif de ses tyrans sans verser une goutte de sang […]. La journée du 19 brumaire est celle du peuple souverain, de l’égalité, de la liberté, du bonheur et de la paix. Elle terminera la Révolution, et fondera la République, qui n’existait encore que dans le cœur des républicain ».

Après cette victoire, le soir, les conjurés eux-mêmes rédigent tous les actes pour sanctionner le mouvement militaire qui avait expulsé de leurs fonctions les représentants dans la journée du 19 brumaire. Dans l'orangerie de Saint-Cloud, les initiés au complot délibèrent à eux seuls comme une assemblée légale, la nuit, à la lueur de quelques bougies, ici là posées sur des bancs. Parmi les membres les plus importants des deux Conseils, sont présents notamment Cabanis, Bérenger, Boulay (de la Meurthe), Chazal, Lucien Bonaparte, Chénier, Creuzé-Latouche, Daunou, Gaudin, Crétet…

4h du matin : Lucien propose au conseil des Anciens de réorganiser un nouveau conseil des Cinq-Cents, en éliminant ceux de ses membres qui tenaient opiniâtrement pour l'ancienne constitution. La proposition est prise en considération ; la réunion des Cinq-Cents a lieu dans l'Orangerie, et l'exclusion de soixante et un députés est décrétée.

Les deux Conseils abolissent d'un commun accord le gouvernement directorial ; une Commission consulaire exécutive doit être nommée pour la révision de la Constitution. Sieyès, Bonaparte et Ducos héritent du pouvoir directorial ; les trois Consuls prêtent serment devant les deux Conseils d'être fidèles « à la souveraineté du peuple, à la République unie et indivisible, à la liberté, à l'égalité et au système représentatif. ». Le président Lucien félicita ses collègues par une harangue où il conclut que, « si la liberté française était née dans le Jeu de paume de Versailles, elle avait été consolidée dans l’Orangerie de Saint-Cloud. »

« Le Conseil […] considérant la situation de la République […] approuve l'acte d'urgence et la résolution suivante :
 
Article 1er - Il n'y a plus de Directoire ; et ne sont plus membres de la représentation nationale pour les excès et les attentats auxquels ils se sont constamment portés, et notamment le plus grand nombre d'entre eux, dans la séance de ce matin, les individus ci-après nommés : Joubert (de l'Hérault), Jouanne, Talor, Duplantier (de la Gironde), Aréna, Garau, Quirot, Leclerc-Scheppers, Brische (de l'Ourte), Poulain-Grandprey, Bertrand (du Calvados), Goupilleau (de Montaigu), Daubermesnil, Marquezy, Guesdon, Grandmaison, Groscassand-Dorimond, Frison, Dessaix, Bergasse-Lasiroulle, Montpellier, Constant (des Bouches-du-Rhône), Briot, Destrem, Carrère-la-Garrière, Gorrand, Legot, Blin, Boulay-Paty, Souilhé, Demoor, Bigonnet, Mentor, Boissier, Bailly (de la Haute-Garonne), Bouvier, Brichet, Honoré-Declerck, Housset, Gastaing (du Var), Laurent (du Bas-Rhin), Beitz, Prudhon, Porte, Truck, Delbrel, Leyris, Doche (de Lille), Stevenotre, Jourdan (de la Haute-Vienne), Lesage-Senault, Chalmel, André (du Bas-Rhin), Dimartinelli, Colombel (de la Meurthe), Philippe, Moreau (de l'Yonne), Jourdain (d'Ille-et-Vilaine), Letourneux, Citadella, Bordas.
Article 2 - Le Corps Législatif crée provisoirement une commission consulaire exécutive, composée des citoyens Siéyès, Roger-Ducos, ex-directeurs, et Bonaparte, général, qui porteront le nom de Consuls de la République française.
Article 3 - Cette commission est investie de la plénitude du pouvoir directorial, et spécialement chargée d'organiser l'ordre dans toutes les parties de l'administration, de rétablir la tranquillité intérieure, et de procurer une paix honorable et solide.
Article 4 - Elle est autorisée à envoyer des délégués, avec un pouvoir déterminé, et dans les limites du sien.
Article 5 - Le Corps Législatif s'ajourne au 1er ventôse prochain ; il se réunira de plein droit à cette époque, à Paris, dans ses palais.
Article 6 - Pendant l'ajournement du Corps Législatif, les membres ajournés conservent leur indemnité, et leur garantie constitutionnelle.
Article 7 - Ils peuvent, sans perdre leur qualité de représentants du peuple, être employés comme ministres, agents diplomatiques, délégués de la commission consulaire exécutive, et dans toutes les autres fonctions civiles. Ils sont même invités, au nom du bien public, à les accepter.
Article 8 - Avant sa séparation, et séance tenante, chaque Conseil nommera dans son sein une commission composée de vingt-cinq membres.
Article 9 - Les commissions nommées par les deux conseils, statueront, avec la proposition formelle et nécessaire de la commission consulaire exécutive, sur tous les objets urgents de police, de législation et de finances.
Article 10 - La commission des Cinq-Cents exercera l'initiative ; la commission des Anciens, l'approbation.
Article 11 - Les deux commissions sont encore chargées de préparer, dans le même ordre de travail et de concours, les changements à apporter aux dispositions organiques de la Constitution dont l'expérience a fait sentir les vices et les inconvénients.
Article 12 - Ces changements ne peuvent avoir pour but que de consolider, garantir et consacrer inviolablement la souveraineté du peuple français, la République une et indivisible, le système représentatif, la division des pouvoirs, la liberté, l'égalité, la sûreté et la propriété.
Article 13 - La commission consulaire exécutive pourra leur présenter ses vues à cet égard.
Article 14 - Enfin ces deux commissions sont chargées de préparer un code civil.
Article 15 - Elles siégeront à Paris dans les Palais du Corps Législatif ; et elles pourront le convoquer extraordinairement pour la ratification de la paix, ou dans un grand danger public.
Article 16 - La présente sera imprimée, envoyée par des courriers extraordinaires dans les départements, et solennellement publiée et affichée dans toutes les communes de la République.

Signé Lucien Bonaparte, président ; Émile Gaudin, Bara, secrétaires.

Après une seconde lecture, le Conseil des Anciens approuve la résolution ci-dessus. A Saint-Cloud, le 19 Brumaire an VIII de la République Française.

Signé Joseph Cornudet, ex-président ; Herwyn, P.C. Lausat, ex-secrétaires.

Les Consuls de la République française ordonnent que la loi ci-dessus sera publiée, exécutée, et qu'elle sera munie du sceau de la République.

Fait au palais national des Consuls de la République française, 
le 20 Brumaire an VIII de la République.
Signé Roger-Ducos, Bonaparte, Siéyès ; et scellé du sceau de la République. »

Le 18 brumaire: Les coups d'état de Napoléon Bonaparte

de Thierry Lentz (Auteur)

Les 18 et 19 brumaire an VIII (9 et 10 novembre 1799), Bonaparte et Sieyès prennent ensemble le pouvoir, après un coup d'Etat que Tocqueville considérait " comme un des plus mal conçus qu'on puisse imaginer ". Six semaines plus tard Bonaparte est seul maître de l'exécutif d'un nouveau régime et affirme avoir fini la Révolution. Entre son retour de la campagne d'Egypte (16 octobre) et son accession à la plus haute fonction, il ne lui a pas fallu plus de trois mois. Comment et pourquoi pareille opération put-elle réussir ? Les échecs du Directoire l'avaient-elle rendue inévitable et à ce point nécessaire ? Quels furent les rôles respectifs de Sieyès et de Bonaparte et de quelles complicités - y compris financières - purent-ils bénéficier ? Comment Bonaparte parvint-il à éliminer Sieyès qui avait tout préparé et pensait se voir enfin propulsé à la tête de la République ? Loin d'être une opération presque manquée, le coup d'Etat ne fut-il pas, au contraire, et comme l'a écrit Malaparte, " le premier coup d' Etat moderne " ? Telles sont les principales questions auxquelles Thierry Lentz répond dans cet ouvrage, préfacé par Jacques Jourquin.

Éditeur ‏ : ‎ PICOLLEC (17 mars 1997)
Langue ‏ : ‎ Français
Broché ‏ : ‎ 487 pages
ISBN-10 ‏ : ‎ 2864771632
ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2864771630
Poids de l'article ‏ : ‎ 572 g
Dimensions ‏ : ‎ 13.6 x 3.2 x 21.2 cm

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