9 novembre 1799 (18 brumaire An VIII) : Le coup d'état du général Bonaparte
9 novembre 1799 : dix ans après le début de la Révolution française, qui a remplacé la monarchie par la république, le général Bonaparte prend le pouvoir lors du coup d’État du 18 Brumaire.
D'abord, la journée facile : celle de l'octidi 18 brumaire. Ce matin-là, la gelée blanche a gagné jusqu'aux jardins de Paris. À son domicile de la rue Chantereine - rebaptisée en son honneur « rue des Victoires » -, vers Saint-Lazare, le général Bonaparte s'est levé tôt : rentré d'Égypte depuis moins d'un mois, il fomente avec son frère Lucien un coup de force contre la République des directeurs, qu'il estime dévoyée. En vertu de la Constitution de l'an III, ces derniers sont au nombre de cinq : deux très connus, l'ex-abbé Sieyès, plutôt favorable à Bonaparte, et l'inénarrable Paul Barras, mais aussi le Jacobin Louis Gohier, Jean-François Moulin, qui a commandé l'armée de Vendée, et le Conventionnel Roger Ducos, un Méridional, proche de Sieyès.Le régime incarné par ces cinq hommes est à bout de souffle ; sujet aux plus grands désordres, pour ne pas dire aux abois sur tous les plans - à commencer par celui des finances -, il se trouve sans autorité, sans crédit, et qualifié par le peuple de « margoulis national »... Autant dire que l'édifice chancelle, et tous les contre-révolutionnaires, à l'intérieur comme à l'extérieur, songent sérieusement à l'abattre ! Précisons que ni les frères Bonaparte ni Sieyès, bien sûr, n'appartiennent à cette catégorie. C'est ici que la mise au point de Pierre Gaxotte n'est pas inutile : « S'il est une idée dont il faut nous défaire tout de suite, c'est que le 18-Brumaire a été, dans son principe, un attentat réactionnaire. Ce fut tout le contraire. Ce fut le suprême effort des meilleurs républicains, des plus désintéressés et des plus convaincus pour empêcher la France de retourner à la monarchie. »
Tout a vraiment commencé deux semaines plus tôt, dans le secret du bureau de Sieyès, au Luxembourg. Fin politique, ce directeur a fait remarquer au jeune général qu'un article de la Constitution permettait, le cas échéant, à la chambre haute - le Conseil des Anciens - de transporter l'ensemble du Parlement - le corps législatif - hors de Paris. La stratégie à suivre s'impose dès lors à Bonaparte :
1. envoyer les deux chambres à Saint-Cloud, loin de toute influence populaire ;
2. disloquer en même temps l'exécutif - en s'assurant de la démission de Sieyès et de Roger Ducos, en achetant celle de Barras, en intimidant ensuite, si nécessaire, Gohier et Moulin, son comparse ;
3. le Directoire ainsi démantelé, pousser la chambre basse - le Conseil des Cinq-Cents - à organiser un autre pouvoir exécutif, sous la houlette de Bonaparte. Et pourquoi pas un consulat de trois membres ? Dont Sieyès, forcément...
C'est à l'exécution de ce plan que s'activent, le matin frisquet du 18 brumaire, rue des Victoires, Napoléon et Lucien Bonaparte. Trois hommes de grande influence - Talleyrand, Fouché, Cambacérès - se sont employés en coulisses à tout faciliter. Avant l'aube, des agents sont allés réveiller les sénateurs pour les convoquer, aux Tuileries, à une séance extraordinaire du Conseil des Anciens. Ces politiciens rassis, las du Directoire et de ses désordres, ne s'y feront guère prier pour exiler à Saint-Cloud, comme prévu, tous les parlementaires - eux compris ! Ni pour confier à Bonaparte « la sécurité » des deux chambres...
LIRE EGALEMENT : 9 novembre 1799 - Le Dix-Huit Brumaire inaugure le Consulat - Herodote.net
6h du matin : une foule de généraux et d’officiers, convoqués par Bonaparte, se réunissent dans un petit hôtel qu’il habite rue Chantereine (rue de la Victoire). Le commandant de la division de Paris, Lefèvre, n’a pas été mis au courant de ce qui se préparait : c’est un bon général, très patriote, mais peu éclairé. Il arrive mal disposer.
- « Eh bien ! Lefèvre, lui dit Bonaparte, vous, l’un des soutiens de la République, la laisserez-vous périr entre les mains de ces avocats ? Tenez, voilà le sabre que je portais aux Pyramides ; je vous le donne comme un gage de mon estime et de ma confiance. »
- « Oui, s’écria Lefèvre : jetons les avocats à la rivière ! »
Bonaparte n’est pas si heureux auprès de Bernadotte. Il est venu en habit bourgeois, amené par son beau-frère Joseph Bonaparte. Il refuse de se joindre à l’entreprise, affirme qu’elle ne réussira pas et se retira sans vouloir promettre de rester neutre.
7h du matin : le Conseil des Anciens est réuni. On n’a pas convoqué ceux des membres dont l’opposition était prévue. Tout se passe comme l’ont arrangé Bonaparte et Sieyès.
8h30 du matin : afin de pourvoir à de prétendus périls (notamment jacobin), les Anciens décrètent la translation des deux Conseils à Saint-Cloud pour le lendemain. Bonaparte est chargé de prendre les mesures nécessaires à l’exécution du décret et de commander toutes les forces militaires.
« Le conseil des Anciens, en vertu des articles 102, 103 et 104 de la Constitution décrète ce qui suit :
1° Le corps législatif est transféré dans la commune de Saint-Cloud, les deux conseils y siégeront dans les deux ailes du palais.
2° Ils y seront rendus demain, 19 brumaire, à midi. Toute continuation de fonctions, de délibérations, est interdite ailleurs et avant ce terme.
3° Le général Bonaparte est chargé de l'exécution du présent décret. Le général commandant la 17e division militaire, la garde du corps législatif, les gardes nationales sédentaires, les troupes de ligne qui se trouvent dans la commune de Paris et dans toute la 17e division militaire, sont mises immédiatement sous ses ordres. Tous les citoyens lui prêteront main-forte à la première réquisition.
4° Le général Bonaparte est appelé dans le sein du conseil pour y recevoir une expédition du présent décret et prêter serment. »
Une proclamation du général Bonaparte, envoyée aux armées, accompagne le décret :
« Soldats,Le décret extraordinaire du conseil des Anciens est conforme aux articles 102 et 103 de l'acte constitutionnel ; il m'a remis le commandement de la ville et de l'armée. Je l'ai accepté pour seconder les mesures qu'il va prendre et qui sont toutes en faveur du peuple. La République est mal gouvernée depuis deux ans : vous avez espéré que mon retour mettrait un terme à tant de maux ; vous seconderez votre général avec l'énergie, la fermeté, la confiance que j'ai toujours vues en vous. La liberté, la victoire et la paix replaceront la République française au rang qu'elle occupait en Europe et que l'ineptie ou la trahison a pu seule lui faire perdre.Vive la République ! »
Admis avec son état-major dans le conseil des Anciens, Bonaparte prend la parole :
- « Citoyens représentants, la République périssait ; vous l'avez su et votre décret vient de la sauver ; malheur à ceux qui voudraient le trouble et le désordre ! Je les arrêterai. Qu'on ne cherche pas dans le passé des exemples qui pourraient retarder votre marche. Votre sagesse a rendu ce décret ; nos bras sauront l'exécuter ; nous voulons une république fondée sur la vraie liberté, sur la liberté civile, sur la représentation nationale. Nous l'aurons, je le jure, je le jure en mon nom et en celui de mes camarades d'armes. »
Tous les généraux s’écrient : « Je le jure ! »
Bonaparte s’en va alors passer la revue des troupes au Carrousel, dans le jardin des Tuileries et sur la place de la Concorde. Assuré des chefs de corps, il a convoqué les régiments à une revue, avant même d’être investi du commandement par les Anciens. Le ministre de la guerre, Dubois-Crancé, a donné en vain contrordre.
Bonaparte dispose de 10.000 hommes, commandés par le général Lannes. Ils occupent les Tuileries (Conseil des Anciens) ; les postes du Luxembourg (siège des 5 directeurs), de l'École militaire, du palais des Cinq-Cents (Palais Bourbon) ; des Invalides, sont confiés à la garde des généraux Milhaud, Murat, Marmont, Berruyer. Le général Lefebvre conserve le commandement de la 17e division militaire, et Moreau lui-même accompagne Napoléon Bonaparte en qualité d'aide de camp.
Bonaparte est acclamé par les soldats et bien accueilli par la population, qui accoure étonnée et curieuse. Ce qui se passe ne lui fait pas l’effet d’une révolution. On distribue dans les rues une petite brochure qui explique qu’il est nécessaire de « restaurer la Constitution. - Ce serait, y est-il dit, un sacrilège que d’attenter au gouvernement représentatif, dans le siècle des lumières et de la liberté. »
Bonaparte dispose de 10.000 hommes, commandés par le général Lannes. Ils occupent les Tuileries (Conseil des Anciens) ; les postes du Luxembourg (siège des 5 directeurs), de l'École militaire, du palais des Cinq-Cents (Palais Bourbon) ; des Invalides, sont confiés à la garde des généraux Milhaud, Murat, Marmont, Berruyer. Le général Lefebvre conserve le commandement de la 17e division militaire, et Moreau lui-même accompagne Napoléon Bonaparte en qualité d'aide de camp.
Bonaparte est acclamé par les soldats et bien accueilli par la population, qui accoure étonnée et curieuse. Ce qui se passe ne lui fait pas l’effet d’une révolution. On distribue dans les rues une petite brochure qui explique qu’il est nécessaire de « restaurer la Constitution. - Ce serait, y est-il dit, un sacrilège que d’attenter au gouvernement représentatif, dans le siècle des lumières et de la liberté. »
10h du matin : il n’y a plus de Directoire. Sieyès et Roger-Ducos ont déjà démissionné. Talleyrand s’entremit auprès de Barras demande à Talleyrand que sa sécurité soit assurée et envoie sa démission aux Tuileries.
Aux Tuileries, Bonaparte aperçoit Botot, le secrétaire de Paul Barras, et l’interpelle :
- « Qu’avez-vous fait, dit-il d’une voix tonnante au secrétaire de Barras, qu’avez-vous fait de cette France que j’avais laissée si brillante ? J’avais laissé la paix, j’ai retrouvé la guerre ; j’avais laissé des victoires, j’ai retrouvé des revers ; j’avais laissé les millions de l’Italie, j’ai retrouvé des lois spoliatrices et la misère ! Que sont devenus cent mille hommes qui sont disparus du sol français ? C’étaient mes compagnons d’armes ! Ils sont morts ! Un tel état de choses ne peut durer : il mènerait au despotisme par l’anarchie ! Mais nous voulons la République, la République assise sur les bases de l'égalité, de la morale, de la liberté civile, de la tolérance politique. Il est temps enfin que l'on rende aux défenseurs de la patrie la confiance à laquelle ils ont tant de droits ; à entendre quelques factieux, bientôt nous serions tous des ennemis de la République, nous, qui l'avons affermie par nos travaux et notre courage ; nous ne voulons pas de gens plus patriotes que les braves qui ont été mutilés au service de la patrie. »
Cette harangue est envoyée sur-le-champ aux journaux.
Au palais du Luxembourg, les deux derniers directeurs Louis Gohier et Jean-François Moulin constatent qu'ils sont abandonnés par les trois autres et « gardés » par le général Moreau. Ils se rendent aux Tuileries.
Bonaparte essaie de les séduire : - « Réunissez-vous à nous, dit-il, pour sauver la République ! Votre Constitution n’en donne pas les moyens... : elle croule de toutes parts ; elle ne peut plus aller ! »
- « Qui vous a dit cela ? répondit Gohier, des perfides qui n’ont ni la volonté ni le courage de marcher avec elle. Partout la République est triomphante, triomphante sans vous ! »
Bonaparte reçoit la nouvelle que le faubourg Saint-Antoine commence à s’agiter autour de son ancien commandant, Santerre. Il déclare au directeur Moulins, ami de Santerre, qu’il ferait fusiller celui-ci s’il remuait.
Il essaie en vain d’arracher la démission de Gohier et de Moulins. Ni menaces ni caresses n’y parviennent. Ces deux hommes d’intelligence médiocre, mais de cœur droit, assurent par leur fermeté l’honneur de leur mémoire. Ils retournent à la résidence du Directoire, au Luxembourg. Le directeur Moulin avait proposé à ses collègues de s'emparer de Bonaparte et de le faire fusiller. La propre garde du Directoire se met, de son propre mouvement, à la disposition du héros de l'Italie et de l'Égypte. Les directeurs s'estimeront heureux qu'on leur permette d'aller finir leurs jours dans l'obscurité et la retraite.
11h du matin : on convoque les Cinq-Cents. De vives interpellations ont lieu au sujet du décret de translations. Le président des Cinq-Cents, Lucien Bonaparte répond, comme le président des Anciens, qu’on ne peut plus discuter que le lendemain à Saint-Cloud. Les Cinq-Cents se séparent aux cris de : « Vive la Constitution de l’an III ! » Les plus énergiques songent à chercher des moyens de résistance.
Midi : la journée du 18 brumaire a réussi dans Paris. Le mouvement des faubourgs n’aboutit pas. Restait celle du lendemain à Saint-Cloud. Que feront les deux Conseils ?
Aux Tuileries, Bonaparte aperçoit Botot, le secrétaire de Paul Barras, et l’interpelle :
- « Qu’avez-vous fait, dit-il d’une voix tonnante au secrétaire de Barras, qu’avez-vous fait de cette France que j’avais laissée si brillante ? J’avais laissé la paix, j’ai retrouvé la guerre ; j’avais laissé des victoires, j’ai retrouvé des revers ; j’avais laissé les millions de l’Italie, j’ai retrouvé des lois spoliatrices et la misère ! Que sont devenus cent mille hommes qui sont disparus du sol français ? C’étaient mes compagnons d’armes ! Ils sont morts ! Un tel état de choses ne peut durer : il mènerait au despotisme par l’anarchie ! Mais nous voulons la République, la République assise sur les bases de l'égalité, de la morale, de la liberté civile, de la tolérance politique. Il est temps enfin que l'on rende aux défenseurs de la patrie la confiance à laquelle ils ont tant de droits ; à entendre quelques factieux, bientôt nous serions tous des ennemis de la République, nous, qui l'avons affermie par nos travaux et notre courage ; nous ne voulons pas de gens plus patriotes que les braves qui ont été mutilés au service de la patrie. »
Cette harangue est envoyée sur-le-champ aux journaux.
Au palais du Luxembourg, les deux derniers directeurs Louis Gohier et Jean-François Moulin constatent qu'ils sont abandonnés par les trois autres et « gardés » par le général Moreau. Ils se rendent aux Tuileries.
Bonaparte essaie de les séduire : - « Réunissez-vous à nous, dit-il, pour sauver la République ! Votre Constitution n’en donne pas les moyens... : elle croule de toutes parts ; elle ne peut plus aller ! »
- « Qui vous a dit cela ? répondit Gohier, des perfides qui n’ont ni la volonté ni le courage de marcher avec elle. Partout la République est triomphante, triomphante sans vous ! »
Bonaparte reçoit la nouvelle que le faubourg Saint-Antoine commence à s’agiter autour de son ancien commandant, Santerre. Il déclare au directeur Moulins, ami de Santerre, qu’il ferait fusiller celui-ci s’il remuait.
Il essaie en vain d’arracher la démission de Gohier et de Moulins. Ni menaces ni caresses n’y parviennent. Ces deux hommes d’intelligence médiocre, mais de cœur droit, assurent par leur fermeté l’honneur de leur mémoire. Ils retournent à la résidence du Directoire, au Luxembourg. Le directeur Moulin avait proposé à ses collègues de s'emparer de Bonaparte et de le faire fusiller. La propre garde du Directoire se met, de son propre mouvement, à la disposition du héros de l'Italie et de l'Égypte. Les directeurs s'estimeront heureux qu'on leur permette d'aller finir leurs jours dans l'obscurité et la retraite.
11h du matin : on convoque les Cinq-Cents. De vives interpellations ont lieu au sujet du décret de translations. Le président des Cinq-Cents, Lucien Bonaparte répond, comme le président des Anciens, qu’on ne peut plus discuter que le lendemain à Saint-Cloud. Les Cinq-Cents se séparent aux cris de : « Vive la Constitution de l’an III ! » Les plus énergiques songent à chercher des moyens de résistance.
Midi : la journée du 18 brumaire a réussi dans Paris. Le mouvement des faubourgs n’aboutit pas. Restait celle du lendemain à Saint-Cloud. Que feront les deux Conseils ?
Ainsi s'achèvera, sans coup férir, la facile journée du 18 brumaire.
Le 18 brumaire: Les coups d'état de Napoléon Bonaparte
de Thierry Lentz (Auteur)
Les 18 et 19 brumaire an VIII (9 et 10 novembre 1799), Bonaparte et Sieyès prennent ensemble le pouvoir, après un coup d'Etat que Tocqueville considérait " comme un des plus mal conçus qu'on puisse imaginer ". Six semaines plus tard Bonaparte est seul maître de l'exécutif d'un nouveau régime et affirme avoir fini la Révolution. Entre son retour de la campagne d'Egypte (16 octobre) et son accession à la plus haute fonction, il ne lui a pas fallu plus de trois mois. Comment et pourquoi pareille opération put-elle réussir ? Les échecs du Directoire l'avaient-elle rendue inévitable et à ce point nécessaire ? Quels furent les rôles respectifs de Sieyès et de Bonaparte et de quelles complicités - y compris financières - purent-ils bénéficier ? Comment Bonaparte parvint-il à éliminer Sieyès qui avait tout préparé et pensait se voir enfin propulsé à la tête de la République ? Loin d'être une opération presque manquée, le coup d'Etat ne fut-il pas, au contraire, et comme l'a écrit Malaparte, " le premier coup d' Etat moderne " ? Telles sont les principales questions auxquelles Thierry Lentz répond dans cet ouvrage, préfacé par Jacques Jourquin.
Éditeur : PICOLLEC (17 mars 1997)
Langue : Français
Broché : 487 pages
ISBN-10 : 2864771632
ISBN-13 : 978-2864771630
Poids de l'article : 572 g
Dimensions : 13.6 x 3.2 x 21.2 cm
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