J'ai lu et aimé : "Les habits neufs du terrorisme intellectuel" - De Jean Sévilla


Lire de Laurent Sailly : "Il faudrait relire tout Jean Sévillia…" et JEAN SEVILLA

Le journaliste et écrivain Jean Sévillia, auteur de nombreux essais politiques et historiques, dénonçait il y a vingt-cinq ans Le Terrorisme intellectuel. Avec Les Habits neufs du terrorisme intellectuel (Editions Perrin), une nouvelle édition revue, actualisée et largement augmentée (préfacée par Mathieu Bock-Côté) , il alerte aujourd’hui sur son développement : une idéologie qui remet en cause la nation, la culture et l’idée même de l’espèce humaine, et recourt à la censure pour s’imposer. Mais qu’on ne désespère pas, la résistance se lève !



En France, un petit milieu essentiellement parisien, situé au carrefour de la vie intellectuelle et politique et du monde médiatique, s’est attribué le pouvoir de dire le bien et le mal, de distribuer les bons et les mauvais points et de décider des sujets qui sont autorisés dans le débat public ou au contraire interdits. Ce même milieu s’est doté de pouvoirs de police, police de la pensée, du vocabulaire, du comportement – notamment du comportement politique. Ceux qui contreviennent à l’idéologie dominante risquent par conséquent l’injure, l’anathème, le mensonge, l’exclusion sociale, parfois un procès ou, plus grave encore, la menace physique et la pression psychologique.

Le phénomène ne date pas d’aujourd’hui. Dans les années 1950, les élites culturelles exaltaient Staline et le paradis soviétique ; dans les années 1960 et 1970, les prodiges de Fidel Castro, de Mao ou de Pol Pot ; en 1981, elles croyaient quitter la nuit pour la lumière ; dans les années 1990, elles affirmaient que le temps des nations, des familles et des religions était achevé.

Depuis les années 2000, le terrorisme intellectuel n’a pas faibli et s’est même aggravé. Témoin ce tableau de notre vie des idées et de notre vie politique particulièrement édifiant : projet européen dénaturé et détourné quand il devient une machine oublieuse de la personnalité de chaque peuple ; culture de l’excuse qui désarme l’autorité face à l’explosion de la délinquance ; encouragement au communautarisme et développement de l’islamisme ; perte de contrôle de l’immigration ; bouleversements anthropologiques interprétés comme des progrès de la modernité ; wokisme et racialisme d’extrême gauche ; attribution extensive de l’étiquette d’« extrême droite », qualificatif infamant, à toute personne ou toute pensée dissidente, etc.

Trois quarts de siècle de terrorisme intellectuel : une synthèse indispensable pour ceux qui aiment vraiment la liberté de penser.




Chroniques de livres
écrit par Matthieu Creson

L’essayiste, le journaliste et l’historien Jean Sévillia vient de faire paraître une édition largement enrichie et actualisée de son livre fameux initialement paru en 2000, Le Terrorisme intellectuel. Le titre de cette nouvelle édition, Les Habits neufs du terrorisme intellectuel (Paris, Perrin), n’a évidemment pas été choisi au hasard puisqu’il fait directement référence au grand livre de Simon Leys, Les Habits neufs du président Mao (1971), livre dans lequel l’auteur dénonçait la nature totalitaire du maoïsme, alors fort à la mode dans les cercles intellectuels en Occident.

Si le totalitarisme (nazisme et communisme) a disparu au cours du XXe siècle en tant que réalité politique, reste qu’il subsiste bien dans certains milieux politico-intellectuels ce qu’on peut appeler une pensée de type idéologique, voire totalitaire, qui est d’autant plus pernicieuse qu’elle croit sincèrement pouvoir hâter l’avènement du Bien sur terre. C’est d’ailleurs ce que l’essayiste conservateur Mathieu Bock-Côté, qui a préfacé le livre en question de Jean Sévillia, a appelé dans son plus récent ouvrage le « totalitarisme sans le goulag ».

On peut considérer que l’origine du terrorisme intellectuel remonte à 1793, la Terreur étant, écrit Jean Sévillia, la « mère des totalitarismes modernes » (p. 154). Car au temps du comité de Salut public, il s’agissait non pas d’établir l’exactitude des faits mais d’annihiler dans le sang tout désaccord qu’on pouvait avoir avec cette instance gouvernementale… Par la suite, on retrouvera les mêmes mécanismes à l’œuvre au moment du stalinisme, avec par exemple les procès de Moscou. Sous Mao, sous Fidel Castro, les « anticommunistes », qui exigeaient déjà que soit établie la réalité des faits dans les pays communistes, ont été invariablement rejetés dans le camp du Mal – « tout anticommuniste est un chien », disait en 1954 Jean-Paul Sartre, l’une des grandes figures du terrorisme intellectuel au XXe siècle.

On oppose souvent pays démocratiques et pays totalitaires. Or Jean-François Revel avait coutume de dire qu’il peut parfaitement exister au sein d’une société démocratique des segments idéologiques ou totalitaires, dans lesquels une minorité complètement fanatique parvient à s’en approprier les leviers pour imposer d’en haut ses oukases. Les dissidents idéologiques sont alors sommés par les nouveaux inquisiteurs de rentrer dans le rang et de faire pénitence, sous peine d’être excommuniés – on reconnaît ici la cancel culture de notre époque. Revel avait raison, ainsi que l’atteste l’ampleur du sectarisme de l’ultra-gauche « woke », qui en quelques décennies a gagné, depuis les campus américains, des pans de plus en plus larges de la société tout entière. Et comme au temps du communisme, l’idée reste aujourd’hui de faire advenir un « homme nouveau » : celui-ci se doit d’être aujourd’hui « déconstruit », « décarboné », politiquement correct, adepte de l’ « inclusivité » et de la contrition anti-occidentale permanente. À cet égard, le livre de Jean Sévillia montre bien comment le terrorisme intellectuel, loin de s’être essoufflé depuis l’an 2000, a au contraire perduré et s’est même intensifié sous l’empire des nouveaux moyens de communication, en renouvelant l’objet de son combat idéologique.

Cela dit, l’une des différences majeures avec l’an 2000 est que l’époque actuelle semble compter beaucoup plus d’auteurs « conservateurs » qu’il y a un quart de siècle, lesquels n’hésitent d’ailleurs plus à se présenter comme tels. À cet égard, Mathieu Bock-Côté rend hommage dans sa préface à Jean Sévillia, qu’il décrit comme « un des premiers dissidents du régime diversitaire » (p. 18).

Que le lecteur nous permette ici de formuler un point de vue un peu plus général sur le livre de Jean Sévillia. Face à la volonté exprimée par l’ultragauche (et par l’ultra-centre…) de mettre en place ce que Bock-Côté appelle le « régime diversitaire », il faudrait revenir aux yeux des conservateurs à une certaine « identité nationale », qui nous définirait en propre. Or si les conservateurs ont à notre sens raison d’opposer bien des choses à la gauche (bureaucratie, réglementations, étatisme étouffants), s’ils pointent à juste titre les dangers de l’idéologie immigrationniste (à distinguer d’une immigration voulue réciproquement par l’étranger et les personnes qui acceptent librement de l’accueillir au sein de la communauté nationale), et s’ils défendent légitimement l’importance de conserver un patrimoine culturel commun à la nation (langue, littérature, architecture, etc.), reste qu’ils semblent néanmoins obéir à une conception somme toute rigide et prédéfinie de la « nation ». « Qu’on le veuille ou non, écrit Jean-Sévillia, la nation reste la communauté politique la plus ancienne et la plus solide – à condition que l’on en cultive les liens » (p. 222). Certes, mais il faut aussi rappeler que dans une perspective libérale, c’est déjà l’individu qui compte en tant qu’unité sociale fondamentale, si bien que parler de souveraineté – comme le font bon nombre de conservateurs – devrait déjà s’appliquer aux individus eux-mêmes avant de s’appliquer à la nation. Or les conservateurs d’aujourd’hui parlent presque exclusivement de la souveraineté de la nation, jamais de celle de l’individu. Ils montrent par là même qu’ils sont au fond des « constructivistes » de droite, aux prises avec les « constructivistes » de gauche, pour reprendre le mot de l’économiste autrichien Friedrich Hayek, auxquels celui-ci opposait les véritables libéraux. Les libéraux n’ont pas la même vision de la « nation » que les constructivistes, laquelle, nous dit l’économiste Pascal Salin dans son livre Libéralisme (Paris, Odile Jacob, 2000, p. 265), « relève (…) de l’ordre spontané », ce qui la rend donc « multiforme, évolutive et difficile à cerner » (p. 265).

Cela étant, ayons présent à l’esprit le fait que le débat d’idées à propos du rapport à la nation ne saurait se réduire à l’opposition entre « progressistes » de gauche et « conservateurs » de droite : il existe une autre voie, la seule qui vaille d’ailleurs car elle seule repose sur la reconnaissance et le respect absolu des droits légitimes de l’individu : la voie libérale. Ne laissons donc pas aux « conservateurs » le monopole de la définition de la « nation » : tout en étant tributaire d’une culture et d’un patrimoine dont il faut en effet sauvegarder les éléments remarquables, la nation n’est pas pour autant une entité sociale mise sous cloche, figée à jamais. La nation n’est par ailleurs pas l’État, contrairement à ce que pensent bien des conservateurs. Il serait donc temps de refaire confiance aux individus qui composent une même nation, de leur redonner leur liberté et leur responsabilité, que l’État n’a eu jusqu’à présent que trop tendance à leur confisquer illégitimement.

Jean Sévillia : « Le monde culturel et intellectuel reste dominé par l’idée selon laquelle la gauche est le camp du bien, et la droite, le camp du mal »
Par Julian Herrero

Epoch Times : Jean Sévillia, vous venez de publier aux éditions Perrin Les habits neufs du terrorisme intellectuel, version augmentée et actualisée de votre ouvrage Le terrorisme intellectuel paru en 2000. Pourquoi ?

Jean Sévillia : Ce livre, en son temps, a été un classique de la littérature de droite conservatrice et un succès en librairie. Mais par définition, il avait vieilli puisqu’il s’arrêtait en 1999, un an avant sa parution. Vous imaginez bien qu’en 24 ans, il s’est passé beaucoup de choses en termes de terrorisme intellectuel.

Ainsi, j’ai voulu revenir sur certains événements de ces vingt dernières années et expliquer quelques nouveautés dans le paysage intellectuel actuel et en quoi ces dernières ont modifié ou non la donne du terrorisme intellectuel.

Vous estimez que le politiquement correct et la pensée unique sont toujours aussi présents 25 ans après la sortie de votre livre ?

Le monde culturel et intellectuel reste dominé par l’idée selon laquelle la gauche est le camp du bien et la droite le camp du mal. Ce schéma reste majoritaire chez les intellectuels de basses couches, mais également chez les journalistes qui sont, à leur manière, des intellectuels. Soixante-dix pour cent des journalistes sont de gauche, par exemple.

Par ailleurs, ce schéma est aussi dominant dans l’Éducation nationale, à l’université, dans le monde de la recherche scientifique ainsi que celui des grandes associations culturelles. Dans le fond de la société française, tout ce qui contribue au débat d’idées, à former les mentalités, les représentations mentales des citoyens reste dominé par la gauche.

En même temps, il y a eu une nouveauté à partir des années 2000. En 2002, l’historien de gauche Daniel Lindenberg publie Le Rappel à l’ordre, un ouvrage dans lequel il dénonce un mouvement « néo-réactionnaire » d’intellectuels venus de la gauche mais qui ont rompu avec celle-ci, tels qu’Alain Finkielkraut ou Philippe Muray.

Puis, dès les années 2010, il y a eu ce qu’on a appelé en France un « moment conservateur » : de plus en plus de médias ont ouvert leur porte à des intellectuels de droite conservatrice. L’exemple d’Éric Zemmour est particulièrement marquant.

Ensuite, des jeunes journalistes de droite ont fait leur apparition, la plateforme FigaroVox est lancée en 2014, de nouveaux titres de presse conservateurs voient le jour à l’instar de Causeur, de L’Incorrect, etc. Et Vincent Bolloré a racheté iTélé qui deviendra CNews. Une chaîne de télévision ouverte à la pensée de droite.

Il y a eu un tel changement de paysage, que même la gauche, à un moment donné, a cru qu’elle avait perdu le combat des idées, ce qui relève du fantasme. La droite a certes gagné en visibilité, mais comme je le disais à l’instant, chez les intellectuels et dans les milieux culturels, la dominante reste à gauche. Le terrorisme intellectuel fonctionne toujours.

Par ailleurs, il y a une nouveauté technologique : les chaînes d’information en continu, bien entendu les réseaux sociaux, mais surtout le smartphone qui est à la fois un téléphone, une télévision, une radio et un ordinateur relié à Internet. Nous vivons donc à l’ère de la surmultiplication des moyens de communication et de diffusion de l’information. Ces canaux sont un atout pour la pensée libre, mais aussi malheureusement pour le terrorisme intellectuel. Ce dernier se sentant menacé par l’avancée de la pensée de droite, il s’est raidi et aggravé.

J’ai observé, ces dernières années, une progression de la judiciarisation des débats. Pour un mot qui déplaît, on peut risquer un procès. Ce phénomène est notamment lié à une certaine interprétation de la législation française puisqu’on a étendu la notion de racisme aux mœurs ou à la religion, alors que cela n’a strictement rien à voir avec le racisme.

Si vous prononcez un mot qui n’est pas dans l’ère du temps, vous risquez de vous retrouver au tribunal.

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Jean Sévillia: un barrage contre le conformisme
Par Frédéric Rouvillois

Un premier sentiment entre effroi et consternation

Il faut toujours se fier à son premier sentiment. Celui qui saisit à la lecture le dernier opus de Jean Sévillia, Les Habits neufs du terrorisme intellectuel, se situe entre effroi et dégoût, consternation et suffocation. Il suffit en effet de feuilleter cette lumineuse démonstration pour comprendre, preuves à l’appui, que depuis un quart de siècle, la garde-robe du terrorisme intellectuel s’est considérablement étoffée. Et qu’il en va de même de l’arsenal dont il dispose, et des sévices qu’il est en mesure d’infliger à ceux qui refusent de se prosterner. En 2000, dans la première édition de son ouvrage, Sévillia avait consacré douze chapitres à des thèmes essentiellement politiques et qui, souvent, se croisaient : révolution, communisme, décolonisation… En 2025, à l’issue d’une période pourtant plus brève que celle qu’il avait traitée dans la version initiale, huit nouveaux chapitres viennent s’ajouter à l’ensemble, des chapitres qui, plus encore que les précédents, traitent de problèmes que la novlangue contemporaine n’hésiterait pas à qualifier d’« existentiels ». Ces menaces nouvelles, en effet, portent moins sur la forme du pouvoir ou la construction des mythes historiques que sur la nature de l’homme, de la famille, de la nation, de la culture et même de l’espèce. Leur nature et, au-delà, leur pérennité exigent ou impliquent leur élimination. Cette dernière est ouvertement réclamée au nom d’une idéologie plus totalitaire qu’aucune autre avant elle, puisqu’elle va encore plus loin dans la déconstruction du monde ancien et la fabrication d’un « Homme nouveau » dont elle précise avec insistance qu’il ne sera plus un homme.

Des menaces plus proches et omniprésentes

Les menaces implacablement dévoilées par Jean Sévillia se distinguent des précédentes en ce qu’elles paraissent infiniment plus proches. Elles ne se situent plus de l’autre côté du rideau de fer, ou de la Méditerranée, ou de l’histoire : elles sont à nos portes, dans nos maisons ou sur nos pas, ici et maintenant – avec, bien plus puissants que jadis, les gardiens de la révolution et les fourriers de la bien-pensance, prêts à tout pour interdire qu’on les nomme –, puisque les nommer, ce serait déjà les circonscrire et les combattre. Cachez ce sein que je ne saurais voir, taisez ce mot que je ne saurais entendre : Jean Sévillia rappelle à ce propos la passe d’armes mémorable autour du « sentiment d’insécurité », opposant le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui avait osé employer le mot d’« ensauvagement » pour désigner les explosions de violence de l’été 2020, et le garde des Sceaux (et du politiquement correct) Éric Dupond-Moretti, lui reprochant d’avoir employé un terme nourrissant « le sentiment d’insécurité », c’est-à-dire les plus « bas instincts » des Français, « parce que le sentiment d’insécurité, c’est de l’ordre du fantasme »…

Jean Sévillia: un barrage contre le conformisme - Causeur