Comment la tech a révolutionné la guerre - Par Guerric Poncet

Lasers, essaims de drones, missiles hypersoniques… Ces nouvelles armes sont sur le point de bouleverser les conflits. Comment la tech a révolutionné la guerre - Par Guerric Poncet.


L'art de la guerre n'échappe pas à l'accélération de l'Histoire. S'il fallait des décennies, voire des siècles, pour inventer un nouvel alliage métallique ou changer la forme d'un bouclier durant l'Antiquité, il suffit aujourd'hui de six mois pour qu'un drone soit obsolète sur le champ de bataille. « Une invention qui change la donne à elle toute seule, cela n'existe plus, à part peut-être l'arme atomique », prévient Léo Péria-Peigné, chercheur à l'Observatoire des conflits futurs de l'Institut français des relations internationales (Ifri).

Adieu donc les fameux game changers, ces armements censés offrir un avantage décisif et définitif. « La guerre reste un duel dans lequel il n'y a pas de solution miracle, mais une combinaison de systèmes d'armes tous nécessaires », ajoute l'auteur de Géopolitique de l'armement (Le Cavalier bleu). Néanmoins, dans tous les domaines, des inventions vont radicalement transformer la conduite de la guerre. Emblème de cette révolution, l'intelligence artificielle (IA) « va irriguer toutes les dimensions de notre travail », assure le général Pierre Schill, chef d'état-major de l'armée de terre française, qui salue la création en mars dernier de l'agence ministérielle de l'IA de défense (Amiad).

« Dans dix à quinze ans, un tiers de l'armée américaine sera robotisé et largement contrôlé par des systèmes dotés d'IA », a même prédit le général Mark Milley, ancien chef d'état-major des armées américaines sous les présidents Trump puis Biden, lors d'une conférence le 15 juillet 2024. Aux États-Unis comme en Chine, des milliers d'ingénieurs travaillent sur des algorithmes voués à l'analyse du renseignement, à la surveillance automatisée des mouvements ennemis, à la conduite de mission des essaims de drones ou encore à la maintenance prédictive des outils les plus précieux comme les avions, les navires et les chars. Presque tout peut être géré par une IA en une fraction de seconde, charge ensuite aux humains de suivre le rythme impulsé par la machine.


Une autonomie accrue pour les IA

L'étape suivante sera celle des systèmes d'armes létaux autonomes (Sala, parfois surnommés « drones tueurs »), une piste que plusieurs pays, dont la France, refusent de suivre. L'idée est de créer des drones terrestres, aériens et navals dotés d'une autonomie de décision plus poussée que celle des armements actuels, qui leur permettrait de tuer sans intervention humaine.

Leur mission serait par exemple d'éliminer tout soldat pénétrant dans une zone donnée ou de détruire tout avion ayant la signature radar d'un ennemi. Ils seraient certes programmés par des humains, mais l'action létale deviendrait automatisée, à grande échelle. Alors que le temps de décision est souvent ce qui sépare la victoire de la défaite, les armées ne peuvent qu'être séduites. Au prix d'une question vertigineuse : si un belligérant place son curseur si bas dans l'intervention humaine, l'autre peut-il s'offrir le luxe de maintenir l'humain dans ses chaînes de décision, que ce soit pour des raisons éthiques ou techniques ? En ajoutant quelques secondes ou minutes de temps de réaction, il se condamnerait à la défaite…

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Pour cette raison, les États-Unis ne s'interdisent pas de donner une grande autonomie à leurs futurs armements, en adoptant une approche que l'agence de recherche militaire du Pentagone, la Darpa, décrit comme « adaptative ». Par défaut, ils maintiendront l'humain dans la boucle de décision, mais les ingénieurs américains développent aussi des modes d'autonomie accrue, voire totale, pour leurs IA. Ainsi, face à un adversaire qui ne suivrait pas les mêmes règles éthiques, ils pourraient décider de niveler par le bas leurs pratiques. « Si nous avons une arme sur la tempe, nous pourrons aussi ajuster nos IA », assure un responsable militaire français sous le couvert de l'anonymat.

L'existence de ces modes autonomes ouvre la voie à des dérives, en cas de piratage ou de réaction anormale des IA. Preuve que le Pentagone est conscient du risque, le 29 février 2024, l'US Air Force a dévoilé par le biais d'un appel d'offres qu'elle entend former des officiers de sécurité de l'IA, chargés de surveiller le comportement des algorithmes et de les réorienter si nécessaire. Mais en auront-ils la capacité technique et le pouvoir, face à des IA formidablement complexes, dont même les créateurs peinent désormais à saisir l'ensemble des rouages ? « Comprendre le fonctionnement d'une IA est encore plus difficile que de la créer, car elle évolue durant son apprentissage et à chaque utilisation », affirme un expert français qui travaille sur le sujet pour le ministère des Armées.


Toxines numériques et fonctionnalités cachées

Pis, dans ce contexte d'« algorithmisation » massive des guerres, l'empoisonnement des IA devient une menace existentielle pour les États. Des toxines numériques, souvent des codes malveillants, des fonctionnalités cachées ou des défauts volontaires de programmation, peuvent être intégrées dans les briques fondamentales servant à fabriquer les algorithmes, y compris en temps de paix pour être utilisées plus tard. Compte tenu de l'internationalisation des équipes scientifiques et de l'omniprésence de chercheurs chinois dans les laboratoires occidentaux, le sujet inquiète les alliés de l'Otan. De fausses informations peuvent aussi être injectées dans les bases de données servant à l'apprentissage ou diffusées comme leurres lors de la conduite des opérations. L'objectif : pousser l'IA à décider de manière contraire aux intérêts de son maître, sans que celui-ci s'en rende immédiatement compte. Un cauchemar.

Les combats en Arménie, au Proche-Orient et en Ukraine ont consacré le drone comme l'un des outils essentiels de la guerre moderne. Si l'on calculait hier la puissance des armées par leur nombre de chars, de frégates ou d'avions, il est impensable de le faire aujourd'hui sans comptabiliser les drones. Près de deux décennies après l'invention (ou plutôt la réinvention, lire encadré « Drones 1.0 » en fin d'article) des drones, le déséquilibre persiste entre l'attaquant et le défenseur.

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Les militaires ne sont pas au bout de leurs peines car demain une étape majeure sera franchie avec l'arrivée des essaims. Adieu les simples avions télépilotés : les essaims aériens, terrestres ou navals seront des ensembles de dizaines, de centaines, voire de milliers de drones, concentrés dans un espace très restreint, par exemple une base militaire ou une installation industrielle. Une telle force saturerait n'importe quelle défense, y compris celles encore en développement aujourd'hui. Ce n'est pas de la science-fiction : en mai dernier, des ingénieurs américains ont fait décoller pour un spectacle nocturne 5 293 drones équipés de leds multicolores. Le précédent record du monde, 5 164 appareils en vol simultané, avait été établi il y a trois ans par la Chine. Les algorithmes permettant aux drones de voler en formation sont déjà en cours d'adaptation pour des opérations militaires.


« Camouflage électronique »

« Dans l'immense majorité des cas aujourd'hui, les opérateurs de drones ne pilotent qu'une seule machine en utilisant une liaison radio », explique Éric Lenseigne, vice-président de Thales chargé de la guerre des drones, qui précise que son groupe fait « d'ores et déjà voler des essaims d'une dizaine de drones hétérogènes, qui accomplissent des missions précises sous le contrôle d'un opérateur unique ». Les usages sont infinis et parfois inattendus : « Des essaims de drones peuvent servir de camouflage électronique en émettant des ondes au-dessus d'un poste de commancdement », rapporte par exemple le général Pierre Schill. De quoi préfigurer la véritable révolution à venir pour les drones : celle de l'intelligence artificielle embarquée.

« Les essaims de drones que les hommes réussissent à créer avec l'IA sont aussi complexes que des vols d'étourneaux, l'une des choses les plus élaborées que l'on connaisse dans la nature », estime Giorgio Parisi, Prix Nobel de physique 2021 pour ses travaux sur les systèmes complexes. « À la différence près que les étourneaux n'ont la capacité de communiquer qu'avec les oiseaux les plus proches, alors que les drones communiquent à longue portée », précise le physicien. L'IA est la seule technologie capable de fournir à l'essaim l'agilité nécessaire pour remplacer à la volée les drones perdus et réorganiser les forces restantes. Les petits processeurs de chaque drone, connectés entre eux, fournissent une puissance de calcul importante tant que la liaison radio reste performante. Mais dans un contexte de spectre disputé, avec des brouillages de part et d'autre et des changements réguliers de fréquence et de mode de chiffrement, ce n'est pas un atout facile à préserver.

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Autre nouveauté qui appartenait jusqu'à peu à la science-fiction : le laser. Les quelques armes expérimentales, installées notamment sur des navires et sur de petits blindés, ouvrent la voie à une systématisation de leur présence sur le champ de bataille en complément des fusils, canons et missiles traditionnels. Avec le laser, il n'y a pas de munitions : les tirs sont illimités tant que l'énergie est disponible. « L'instantanéité du tir est aussi un atout majeur », précise Léo Péria-Peigné, qui souligne cependant « les problèmes d'échauffement et d'usure des lasers lorsqu'ils sont très sollicités ». Les blindages doivent être réimaginés, tout comme la logistique et surtout la production d'énergie des véhicules, navires et avions. Seuls les porte-avions équipés de petits réacteurs nucléaires semblent aujourd'hui suffisamment dotés en électricité pour mettre en œuvre plusieurs canons lasers dans un contexte de combat de haute intensité.


Manipuler les perceptions du cerveau

Le supersonique était une évolution, l'hypersonique est une révolution. Capables de dépasser cinq fois la vitesse du son (6 174 km/h), les missiles de croisière et les planeurs hypersoniques rejoignent les missiles nucléaires intercontinentaux dans la panoplie des armes quasiment imparables. Pis : contrairement à ces derniers, leur trajectoire n'est pas balistique. Jusqu'au dernier moment, ils peuvent manœuvrer pour échapper à des défenses ou pour camoufler la véritable origine de l'attaque. Leur vitesse ne laisse que quelques instants à la cible pour décider d'une riposte, qui peut prendre la forme d'une contre-attaque éclair visant les systèmes de guidage et de ciblage des armes hypersoniques adverses : c'est ce que prévoit la Russie par exemple, avec une combinaison de missiles et de lasers. Toutefois, les armes hypersoniques coûtent très cher et n'apportent pas toujours un avantage décisif. « La Russie dispose de missiles hypersoniques et cela ne lui a pas donné la victoire en Ukraine depuis deux ans », relève Léo Péria-Peigné, selon qui « Moscou préfère fabriquer une myriade de petits drones rustiques ou de missiles classiques, pour le prix d'un seul missile hypersonique ».

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On sait brouiller les communications ; mais les cerveaux ? La guerre cognitive rêve de manipuler les perceptions du cerveau et donc d'altérer sa capacité à décider. En 2016, des diplomates américains et canadiens en poste à La Havane ont été pris de mystérieux vertiges et de maux de tête violents, au point qu'ils ont dû être rapatriés pour être traités dans leur pays. Le « syndrome de La Havane » est resté mystérieux pendant des années. Une enquête conjointe de CBS, Der Spiegel et The Insider publiée en avril 2024 a levé un coin du voile : il s'agissait d'une opération du GRU, le renseignement militaire russe, menée à l'aide d'armes soniques visant les bureaux et les maisons des diplomates aux postes les plus sensibles – dont, probablement, des espions américains sous couverture. Les Soviétiques avaient mené, en vain, des recherches dès les années 1970 pour identifier des ondes, des sons, des odeurs ou encore des hormones capables d'amputer l'agilité de l'adversaire.

Aujourd'hui, les IA développées pour la recherche médicale peuvent être détournées et réaliser ce rêve fou en quelques heures… « Des acteurs du domaine des arômes et des laboratoires de phéromones de synthèse produisent déjà des composés technologiques de très haut niveau qui intéressent les armées du monde entier », explique un haut responsable de l'innovation militaire française, sous le couvert de l'anonymat.

« La compréhension des cerveaux a explosé en trente ans et les chercheurs savent comment leurrer celui d'un chef d'état-major comme ceux d'un équipage de sous-marin ou d'une population entière, au moyen d'une attaque qui reste souvent sous le seuil de l'acte de guerre et demeure difficilement attribuable », ajoute l'expert, avant de conclure : « On sait fabriquer nos cauchemars. »

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Drones 1.0

C'est à Delmar Fahrney que l'on doit la première frappe de drone en… 1944. Cet officier de l'US Navy développe pendant la Seconde Guerre mondiale le TDR-1, un drone suicide en bois de piano et en acier de vélo. Il est télépiloté depuis un avion accompagnateur doté d'un écran rustique qui affiche les images d'une caméra fixée sur le nez du drone. Le 27 septembre 1944, quatre TDR-1 frappent pour la première fois une cible : une batterie anti-aérienne japonaise sur Bougainville, dans les îles Salomon. Malgré plusieurs succès, les réticences des pilotes d'avions traditionnels conduisent le Pentagone à enterrer cette arme révolutionnaire… jusqu'au lendemain du 11 septembre 2001.

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Le quantique dope la cyberguerre

L'écart entre les cyberarmées modernes et les cibles mal défendues va se creuser avec l'arrivée de l'informatique quantique, qui permettra par exemple de casser en un rien de temps un chiffrement robuste, dont les ordinateurs actuels mettraient des décennies à venir à bout. Grâce à l'intelligence artificielle, les attaquants pourront débusquer des failles critiques en quelques minute, là où il faut des années aujourd'hui, et pourront générer massivement de fausses informations. Mais l'IA permettra aussi de mieux détecter et contrer ces attaques.
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