Comment sont morts les politiques - De Arnaud Benedetti


La politique est devenue impuissante et déclassée, le peuple se détourne des suffrages, l’abstention massive manifeste le désintérêt des citoyens à l’égard des élus. Pourtant, la France était autrefois le pays du politique, mais cette exception semble aujourd’hui terminée. Arnaud Benedetti analyse les causes de cet effacement du politique et de ce désamour des Français.

La politique n'est plus ce qu'elle était. Impuissante et déclassée...

Il était une fois un pays, la France, qu'avait fait la politique et qui était fait pour la politique. Il en était la terre de toutes les conceptions, raisons et déraisons, passions et pondérations. Ce temps n'est plus.
Pourquoi assistons-nous au dépérissement de la politique ? Pourquoi n'assume-t-elle plus et ne protège-t-elle plus ni le peuple et les libertés, ni la nation et les citoyens ? Pourquoi ne résiste-t-elle pas à l'emprise de la globalisation, de l'individualisme et de la technique ? Comment cède-t-elle à la mainmise de la communication, du ritualisme et de l'expertise ? Comment abdique-t-elle son devoir de décision face aux opinions instantanées et volatiles ? Et comment les trois derniers quinquennats ont-ils accéléré le mouvement ?

C'est en mémorialiste impartial et en observateur capital qu'Arnaud Benedetti éclaire ici l'étrange défaite des politiques qui apparaissent déclassés, décrédibilisés, discrédités. En historien qu'il dévoile ce théâtre d'ombres. En chroniqueur qu'il décrypte ses simulacres. En contradicteur qu'il détaille son abyssal bilan qui cumule fractures sociales, désinvestissements civiques, replis communautaires. Et en penseur qu'il nous interroge sur la fragilité de la démocratie.

Voici, en forme de coup de poing, un appel au réveil.

La mort des politiques

Arnaud Benedetti est rédacteur en chef de La Revue politique et parlementaire. Il est également professeur associé à Sorbonne-Université, ainsi qu’aux Hautes études internationales et politiques. Il a publié Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir, (Le Cerf, 2021). Entretien réalisé par Antoine-Baptiste Filippi.

La thèse de votre ouvrage est celle d’un effacement du politique dans la démocratie moderne, un processus enclenché voilà plusieurs décennies. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Nous assistons à un triple effacement : celui de la souveraineté des États-nations, celui de la démocratie dans sa dimension libérale, celui de peuples comme corps politique. Encore faut-il nuancer ou distinguer, car certains États, comme le Royaume-Uni, l’Allemagne ou les États-Unis disposent encore dans des formes différentes des moyens de leur souveraineté, laissent tout autant les processus délibératifs réguler l’espace démocratique et n’ont pas, loin de là, dissous le peuple au profit d’une classe dirigeante à dominante oligarchique. Non pas que ce processus n’existe pas au sein de ces trois pays, mais il est mieux contenu, quand bien même les phénomènes décrits plus haut tendraient à se développer : néanmoins l’Allemagne gouverne d’abord ses intérêts, les États-Unis aussi, le Royaume-Uni tout autant. Le problème est surtout français. Il y a une virulence française dans le dépérissement politique : parce que l’État y est historiquement le principe d’organisation, de cohésion de la société et que cet État ne répond plus qu’aux inputs de la globalisation sans vouloir y résister, tenter de les maîtriser ; parce que le débat y est capté, kidnappé par un marais idéologique qui considère qu’il n’existe pas d’autre légitimité que la sienne pour être habilité à gouverner ; parce que le peuple qui est l’autre figure majeure de l’histoire de France n’est plus qu’un chœur dévitalisé dont la fonction n’est plus agissant, mais décorative.


Le grand malaise du pouvoir

Par Maxime Tandonnet

Arnaud Benedetti, professeur associé à la Sorbonne, rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire, soulève l’une des grandes questions de notre époque : « Comment sont morts les politiques – où le grand malaise du pouvoir ». Dans un lumineux essai de philosophie politique de 180 pages, il convoque l’histoire et les auteurs les plus prestigieux, de Montesquieu à Jacques Ellul, en passant par Benjamin Constant, Alexis de Tocqueville, Max Weber, pour analyser la crise actuelle du politique.

Selon lui, elle est le fruit d’une évolution de longue date qui trouve son paroxysme aujourd’hui. L’approbation par la voie parlementaire du traité de Lisbonne, reprenant pour l’essentiel les dispositions du traité constitutionnel européen rejeté par référendum en 2005, a marqué, selon lui, un tournant emblématique dans la perte de confiance des citoyens envers le politique. « C’est une couche profonde du cerveau démocratique que le traité de Lisbonne vient bouleverser en s’affranchissant ouvertement du résultat d’une consultation. Le choix du peuple est effacé, réinitialisé au travers du seul mécanisme représentatif. Il n’a pas fini de produire se répliques et ses effets, tant il génère le sentiment d’une expropriation démocratique et d’une aliénation de la volonté générale. »

L’auteur montre au fil des pages comment l’effacement des frontières ou la mondialisation (globalisation) se traduit par un vertigineux déclin de la capacité des peuples à choisir leur destin : « A proportion que l’uniformisation gagne, la délibération recule, ce qui n’exclut pas pour autant des controverses planétaires qui n’ont trouvé à ce stade aucun moyen de régulation […] L’extension du domaine supra-étatique s’accompagne mécaniquement d’une rétractation du domaine démocratique. » Il revient sur les mécanismes qui vident le pouvoir politique de sa substance : les transferts de compétence à la bureaucratie supranationale ou l’emprise croissant des juridictions. Il insiste sur la montée en puissance des GAFAM (Google, FB, Amazon, etc.), l’un des phénomènes les plus spectaculaires de ces trente dernières années : « Ces firmes des technologies de l’information subvertissent le vieil ordre politique […] Elles gèrent l’information, l’agrègent, la croise, la diffuse et la commercialise. Elles prennent possession de milliards d’existence par la connaissance qu’elles génèrent de leur vie quotidienne et par les processus de contrôle qu’elles génèrent sur ces dernières. Elles réalisent peu à peu la prophétie pessimiste de Jacques Ellul qui, l’un des premiers, vit dans la révolution informatique l’accomplissement de la domination technicienne. »

Il en résulte l’abstentionnisme et la montée du vote protestataire, une méfiance croissante envers la politique et le dégoût de la chose publique qui s’exprime dans la montée des rebellions à l’image des Gilets Jaunes : « De facto la démocratie a tout de l’église désertée, la liturgie républicaine opère comme une vague prière récitée mécaniquement sans que l’on en saisisse le sens profond, au-delà d’une sonorité qui parle vaguement, comme en écho à une accoutumance lointaine. » Et d’ailleurs, « l’abstention indique une montée de l’athéisme civique, une perte de foi dans ce que la démocratie a sans doute fait de mieux ou de plus abouti dans l’histoire récente, à savoir la démocratie libérale ». Pour Arnaud Benedetti, la crise sanitaire a encore amplifié ce phénomène. « La pandémie a renforcé les tendances à l’individualisation sur fond de retour en catastrophe de l’Etat mais d’un Etat devenu hyper-tutélaire, voire intrusif […] A ce vide où l’impuissance s’est compensée par un surcroît de surveillance des comportements, dans un pays comme la France où historiquement le contrat entre le peuple et l’Etat consiste à accepter un Etat collectivement fort mais scrupuleusement contenu dans son droit au regard de la sphère domestique, a répondu en écho le repli sur soi » (d’où la poussée de l’abstentionnisme aux dernières élections municipales et régionales).

L’impuissance croissante du politique a pour corollaire une tendance à la médiocrité de son personnel. « Si la politique, en tant qu’activité voit son prestige tous les jours un peu plus battu en brèche, sans doute faut-il y comprendre les raisons pour lesquelles le sentiment général de sa médiocrité réelle ou supposée gagne de larges secteurs de l’opinion. Elle n’appelle plus les énergies, moins les talents, ne rapporte plus son expression au terreau fécond des humanités, mais elle exige un personnel adaptable aux prérequis de la mondialisation. » Dans ce contexte d’impuissance croissante, faute de choix, d’action et de programme, la politique en est réduite à être une affaire de communication et de manipulation de l’opinion. Pour décrire l’archétype du dirigeant politique de nos jours, il cite un texte incroyablement prophétique de Max Weber : « C’est un ennemi bien vulgaire, trop humain, que l’homme politique doit vaincre chaque jour et chaque heure : la très ordinaire vanité […] Il ne peut y avoir de caricature plus ruineuse à la politique que celle du matamore qui joue avec le pouvoir à la manière d’un parvenu, ou encore narcisse vaniteux de son pouvoir, bref tout adorateur du pouvoir comme tel » (pour lui-même).

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