J'ai lu et aimé : "Woke fiction - Comment l'idéologie change nos films et nos séries" – De Samuel Fitoussi
Samuel Fitoussi publie son premier essai, Woke Fiction, aux éditions du Cherche-Midi. Il s'interesse à la façon dont l'idéologie change nos films, nos séries, et plus largement, l'imaginaire de notre époque. Au-delà du constat, il tente de proposer une réflexion sur la fiction, la nature humaine, et les grands postulats, parfois fallacieux, qui ont envahi les civilisations occidentales ces dernières années. Un essai stimulant et rigoureux...
Comment le wokisme transforme-t-il les films, les séries et, plus largement, l'imaginaire de notre époque ?Pourquoi Friends, Psychose, Intouchables et Game of Thrones ne pourraient-ils plus être produits tels quels aujourd'hui ? Pourquoi les séries Netflix se ressemblent-elles toutes ? Pourquoi les films Disney ne font-ils plus rêver ?
Dans cet essai percutant, Samuel Fitoussi répond à ces questions et brosse un tableau édifiant du monde de la culture. Il montre que la pression idéologique fait tout d'abord une victime : la liberté artistique. En s'appuyant sur l'analyse de films et de séries à succès, il identifie les injonctions morales qui pèsent sur la création et transforment – le plus souvent à notre insu – notre imaginaire en champ de bataille politique.
Avec lucidité et rigueur, Woke Fiction éclaire les grands clivages idéologiques de notre époque, dévoilant les erreurs de raisonnement dans les discours militants dominants. Une lecture essentielle, à la fois érudite et vivante, pour comprendre ce qui se joue dans la fiction contemporaine et se munir d'arguments solides pour participer au débat d'idées.
Éditeur : Cherche Midi (21 septembre 2023)
Langue : Français
Broché : 368 pages
ISBN-10 : 2749177707
ISBN-13 : 978-2749177700
Poids de l'article : 390 g
Dimensions : 14.3 x 2.7 x 21.2 cm
Eugénie Bastié : «Il était une fois au Wokistan, quand l’idéologie envahit la fiction»
Dans Woke Fiction (Le Cherche midi), Samuel Fitoussi nous plonge dans l’univers des séries imprégnées par les nouveaux commandements inclusifs et diversitaires. Un outil de propagande qui modèle l’imaginaire de la jeunesse occidentale.
Attention, usage d’un mot désormais interdit. Le « wokisme » ça n’existe pas, c’est comme la « théorie du genre », « l’islamo-gauchisme » ou la « Terreur » : des mots inventés par les vilains réactionnaires pour discréditer la Cause. Une « panique morale » fabriquée à partir de petits faits insignifiants. Pourtant le terme, certes imparfait, est crucial. Parce que, comme l’explique Samuel Fitoussi dans son livre Woke Fiction, il permet de nommer ces courants (postcolonialisme, néoféminisme, mouvement queer) autrement que par les étiquettes vertueuses dont ils se parent. Celles-ci leur permettent de s’introduire insidieusement dans les institutions culturelles sous les gracieux noms de « diversité », de « parité », d’« inclusivité ». À ceux qui doutent de l’existence d’une révolution culturelle en cours, le jeune et brillant chroniqueur au Figaro démontre dans cet essai magistral la réalité d’une entreprise d’ingénierie sociale sur les imaginaires inédite par son ampleur et sa radicalité.
De quoi parle-t-on exactement ? D’une idéologie qui impose désormais son cadre à la fiction, d’une politisation de la culture, d’un retour de l’ordre moral. Le procureur Pinard est revenu : il prend le visage de Dana Walden, ex-présidente de Disney, qui déclarait : « Nous recevons parfois des scénarios magnifiquement écrits qui ne remplissent pas nos conditions d’inclusivité, et nous les refusons. »
Évidemment, il y a les œuvres qu’on annule et qu’on censure (Autant en emporte le vent ) ; il y a celles précédées désormais d’avertissements (Les Aristochats, à cause de chats chinois trop stéréotypés), et celles qu’on réécrit (les romans de Roald Dahl où le mot « gros » a disparu, jugé offensant). Mais il y a aussi et surtout un nouvel art officiel, promu de Netflix à Hollywood en passant par le service public français, et qui construit l’imaginaire de toute une génération. « Quand on parle de cancel culture on passe sans doute à côté de l’essentiel. Le problème aujourd’hui n’est pas ce qui est annulé mais ce qui n’est plus produit », écrit très justement Samuel Fitoussi.
Eugénie Bastié : «Il était une fois au Wokistan, quand l’idéologie envahit la fiction» (lefigaro.fr)
« Woke Fiction » de Samuel Fitoussi: un essai exemplaire.
Par Xavier-Laurent Salvador
Avec Woke Fiction, essai analytique remarquable qui vient de paraître aux éditions du Cherche-Midi, Samuel Fitoussi répond brillamment à ces questions. Il montre que le monde de la culture est désormais aux mains de militants idéologues, qui se livrent à une immense tentative d’ingénierie sociale sur les esprits, imposent aux créateurs de fictions un cadre moral à ne pas dépasser, et souvent, tuent dans l’œuf des chefs-d’œuvre que nous ne verrons jamais. « Quand on parle de cancel culture, on passe sans doute à côté de l’essentiel. Le problème aujourd’hui n’est pas ce qui est annulé, mais ce qui n’est plus produit » écrit très justement Fitoussi. Preuves à l’appui (les anecdotes sont édifiantes), l’auteur démontre que les fictions qui parviennent sur nos écrans répondent désormais à un véritable cahier des charges idéologique. Pas d’asymétrie comportementales entre les personnages féminins et masculin (ce serait véhiculer des stéréotypes de genre), sauf évidemment si c’est pour rabaisser les hommes et montrer aux femmes qu’elles peuvent et doivent se comporter comme hommes (avec le féminisme woke, les choix féminins sont souvent dévalorisés, argumente Fitoussi) ; pas d’asymétries dans les rapports de séduction amoureux (adieu l’acuité psychologique) ; représentation de nos sociétés comme des enfers misogynes et patriarcaux (quitte à rendre paranoïaques des millions de spectateurs, qui traqueront partout les micro-agressions) ; représentation à l’écran de tous les groupes identitaires qui composent la société (quitte à discriminer massivement certains groupes, et à réduire l’identité à l’identité biologique) ; pas d’appropriation culturelle (Monica, le personnage de Friends, ne pourrait plus se faire des tresses, coiffure afro-américaine) ; pas de schémas trop hétéronormatifs (le modèle du couple hétérosexuel heureux, de la famille nucléaire… se font plus rares), pas de policiers dépeints trop positivement (Fitoussi livre une analyse fine des réactions qui ont suivi la sortie du film Bac Nord, qui selon lui, ne serait plus produit tel quel aujourd’hui). La liste est longue.
L’auteur ne s’arrête pas au constat. Les exemples tirés de l’univers du cinéma sont parfois prétextes à des digressions qui servent à décortiquer les grandes croyances wokes, à déconstruire les postulats et les hypothèses implicites sur lesquelles elles s’appuient, et ainsi, à donner au lecteur les outils pour lui permettre de résister intellectuellement aux dérives de ces idées faussement progressistes. Dans ces passages, nourris aux réflexions de Kundera, Scruton, Sowell, Pinker, Adam Smith, Friedman, Orwell et même… Noam Chomsky (les nombreuses références à des auteurs anglo-saxons apportent, pour un public français, un éclairage original), Fitoussi tire le fil d’une argumentation stimulante. Par exemple, contre le socioconstructivisme qui voudrait que les comportements humains découlent de stéréotypes intériorisés ou de discours qui nous conditionnent, Fitoussi en appelle à la science et à la psychologie évolutive. Contre l’idée selon laquelle les disparités statistiques entre groupes identitaires seraient nécessairement la preuve d’une discrimination, Fitoussi en appelle à l’Histoire. Contre l’idée selon laquelle l’obsession de la couleur de peau pourrait servir de remède contre le racisme, Fitoussi propose une réflexion passionnante sur la nature humaine, nos réflexes tribaux et les meilleures façons de cultiver nos prédispositions à l’empathie (indice : ce n’est pas avec le wokisme, qui nourrit les identités particulières plutôt que le sentiment d’appartenance à une humanité commune). Contre l’idée d’un privilège masculin en Occident, Fitoussi utilise l’humour pour interroger certains biais du débat public, dans lequel sont souvent mis en avant certains chiffres, rarement d’autres. Ces passages plus réflexifs sont d’ailleurs la faiblesse mais aussi la force du livre : le lecteur espérant un livre sur le cinéma sera déçu, le lecteur intéressé par les idées sera réjoui.
Mais Woke Fiction est peut-être avant tout un essai sur la nature humaine. Parce qu’il nie la nature humaine, le projet de société woke ne concordera jamais avec les volontés individuelles, ne serait réalisable qu’au gré de restrictions de liberté toujours plus grandes, et porte en lui les germes d’un projet totalitaire, nous dit Fitoussi. Surtout, l’auteur démontre que les grands artistes partagent davantage la vision d’un Burke (« il y a, par la constitution fondamentale des choses, une infirmité radicale dans la nature humaine ») que celle d’un Rousseau (« L’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt »). Selon lui, les fictions wokes, parce qu’elles cherchent non pas à représenter l’Homme tel qu’il est mais tel qu’il serait préférable qu’il soit (croyant pouvoir le changer), créent des personnages qui nous semblent artificielles, et dans lesquelles nous peinons à nous identifier. Elles n’aident même pas à façonner une société meilleure : au contraire, elles alimentent peut-être de dangereuses illusions. Pourquoi ? Parce que si l’on considère que l’Homme est un bon sauvage, il est aisé d’oublier que la civilisation est un trésor précieux et fragile, il est dur de résister à l’ivresse de la table rase, à la soif de déconstruction.
Un ouvrage brillant, remarquablement documenté, riche en réflexions stimulantes et en arguments originaux.