John Stuart Mill
Un Marx libéral ?
Les principaux éléments de l’économie marxiste se trouvent chez John Stuart
Mill, qui a ajouté aux erreurs de Ricardo et Malthus dont il prend la suite.
Pourtant, il s’oppose avec véhémence au communisme (bien que se disant
parfois socialiste) car il pense que les remèdes du collectivisme et de
l’étatisme sont pires que le mal, et qu’à tout prendre il vaut mieux la
liberté, même si elle ne promet pas des lendemains qui chantent. Il donne ainsi
à la science économique, qu’il aime bien pourtant, le visage d’une science
« triste » et pessimiste.
Aldous Huxley a dit de lui : « Intelligent jusqu’à en devenir presque
humain » !
Le partage du travail
Ne cherchez pas d’où vient l’idée du partage du travail, si en vogue
aujourd’hui : on la trouve dans la théorie du « fonds des
salaires ». Dans une économie, il y a un montant global de revenus à
distribuer à ceux qui apportent le « capital circulant »,
c'est-à-dire leur force de travail. Pour Mill comme pour Ricardo, il n’y a que
deux facteurs de production : le capital fixe (les machines, les équipements)
et le capital circulant (la main d’œuvre). Au passage on aura noté que
l’entreprise n’est pas prise en compte : l’entrepreneur n’est qu’un
capitaliste, propriétaire du capital fixe. La répartition entre profits
(revenus du capitaliste) et salaires (revenus des travailleurs) est donnée au
niveau global. Le fonds des salaires va devoir être partagé entre tous les
travailleurs. Plus ils sont nombreux, plus faibles seront les salaires. Il faut
donc réduire la population : on est dans le droit fil de Malthus. Il y a
donc un gâteau à partager, et la seule chance de survie pour les salariés est
de réduire le nombre de leurs enfants. Mill estime que le statut social de la
femme et une bonne éducation devraient limiter la population laborieuse.
La propriété : une commodité contestable
Dans le partage profits-salaires l’avantage va au propriétaire du capital
fixe. « Il n’a fourni simplement que les fonds, sans contribuer peut-être
aucunement à la production, même sous forme de surveillance », dit-il.
L’exploitation marxiste est donc bien là. Mill refuse de voir dans la propriété
un droit naturel, ce n’est qu’une convention utile pour le bon ordre social,
mais elle doit s’arrêter aux portes de l’intérêt général. Donc il faut
supprimer l’héritage, fortune sans effort, taxer les plus values foncières et
limiter la propriété et le profit quand c’est nécessaire.
Mill estime cependant que la rente des propriétaires est destinée à fondre
à cause de l’accumulation du capital fixe, dont la rentabilité est déclinante
avec la quantité (loi des rendements décroissants). Cela s’appellera la
« baisse tendancielles des profits » chez Marx.
L’état stationnaire
L’invention la plus originale de Mill est certainement l’idée de
l’ « état stationnaire » auquel conduit nécessairement
l’évolution économique. Ici Mill est redevable aux philosophes et socialistes
français Auguste Comte, Saint Simon, Considérant, Fourier : l’humanité va
atteindre son stade final, la société parviendra alors à un équilibre général.
La course au profit va se ralentir, et les hommes pourront alors travailler
ensemble, dans des structures coopératives où capital et travail ne seront plus
opposés. Quel contraste entre cette vision irénique et utopique et la
sécheresse voire l’inhumanité des analyses de Mill !
Finalement, on peut voir dans Mill l’un des premiers prophètes du tiers
système. Il rejette l’intervention de l’Etat : comme Malthus il croit aux
bienfaits de l’éducation (il est un ardent défenseur de l’école privée) et aux
vertus de l’abstinence. Comme Ricardo il pense que le commerce international
peut diminuer les rentes et les privilèges. Mill dénonce aussi les erreurs de
la « propriété commune », « moins efficace que la gestion de
l’entreprise privée par le capital privé ». Utilité, efficacité,
moralité, il n’y a guère de place pour les passions : « l’homo
oeconomicus » est né avec Mill, il nous empoisonnera désormais la vie.
Quels arguments rationnels, selon Mill, justifient la liberté de pensée et d’expression ?
Pourquoi, selon Mill, avons-nous besoin d’une grande diversité de personnalités originales ?
De la liberté
" Le sujet de cet essai est la liberté sociale ou civile : la nature et les limites du pouvoir que la société peut légitimement exercer sur l'individu. Cette question, bien que rarement posée ou théorisée, influence profondément les controverses pratiques de notre époque par sa présence latente et devrait bientôt s'imposer comme la question vitale de l'avenir. (...)
Je considère l'utilité comme le critère absolu dans toutes les questions éthiques ; mais ici l'utilité doit être prise dans son sens le plus large : se fonder sur les intérêts permanents de l'homme en tant qu'être susceptible de progrès. Je soutiens que ces intérêts autorisent la sujétion de la spontanéité individuelle à un contrôle extérieur uniquement pour les actions de chacun qui touchent l'intérêt d'autrui. "
L'utilitarisme
Ce traité de John Stuart Mill a été publié en 1863. Il s'inspire de la morale de Bentham, fondateur de l'utilitarisme à la toute fin du XVIIIe siècle, qui partait du principe que le plaisir est l'unique but de l'existence. Mill, son disciple, a su comprendre que même une philosophie utilitaire ne saurait se passer d'une conscience et il a voulu la doter d'un sentiment du devoir et d'une obligation morale. Bentham avait lancé la formule : chercher le bonheur du plus grand nombre en identifiant toujours l'intérêt de l'individu à l'intérêt universel. Sans combattre ce point de vue, Mill observe qu'on trouve d'autant mieux le bonheur personnel qu'on le cherche moins, et qu'on y parvient en travaillant au bonheur des autres, à l'amélioration du sort de l'humanité.