Laurent Sailly : La liberté d’expression ne doit pas se taire !
Les entraves
à la liberté d’expression se multiplient : formatage médiatique de
l’opinion, dictature du politiquement correct, vérité historique officielle,
dictature des minorités agissante, théorie du complot… Ces derniers jours, les
menaces viennent du pouvoir : l’inutile loi contre la haine sur internet d’un
député LREM, une volonté de réforme de la loi de 1881 sur la liberté de la
presse de la ministre de la justice, volonté de création d’un conseil de l’ordre
des journalistes du secrétaire d’état au numérique.
Pays des
libertés individuelles, la « pensée » française devient-elle
uniforme, indifférenciée ? Les Français sont-ils devenus incapables de
débattre ? Quels présidents de chaînes publiques remettra à l’antenne des
émissions telles que « Apostrophes » de Bernard Pivot ou « Droit
de réponse » de Michel Polac ? Plutôt que d’interdire Dieudonné,
capable de remplir une salle sur un simple SMS, ou un Soral, ne vaudrait-il pas
mieux les combattre par la réflexion ? Plutôt que de s’apostropher par
tribune journalistique ne peut-on pas échanger, même vigoureusement, pour
échanger des idées, chercher à convaincre et se laisser avoir droit de changer
d’opinion ?
Pourtant, la
libre manifestation des idées est l’un des fondements de notre République. Elle
est une source de progrès. Elle est source d’ouverture et de vérité. La liberté
d’expression suppose le droit d‘exprimer une opinion contraire à la majorité
sans risque physique pour soi ou les siens, sans risquer l’opprobre et les
insultes. La liberté c’est la liberté d’exprimer sa pensée ; d’avoir le
droit de penser faux, de se tromper ; d’avoir le droit d’argumenter avec
sincérité ses opinions.
Quelle est
la fonction de la liberté de la presse dans une démocratie ?
Dans un
régime démocratique où les citoyens sont destinés à exercer leur autonomie
politique, la fonction essentielle de la presse consiste à leur donner les
moyens de développer leur sens critique, d'évaluer leurs représentants et leurs
administrateurs, et de former leur jugement politique. Il est par conséquent
indispensable que la presse puisse fournir des informations pertinentes sans
dissimuler des faits déplaisants, par prudence, par crainte ou par déférence à
l'égard d'un pouvoir illimité.
Cette
liberté d'informer est si essentielle à la démocratie qu'elle ne saurait être
limitée sans mettre en danger les droits politiques de chaque citoyen. Comme
l'écrivait Tocqueville, l'auteur de De la démocratie en Amérique :
"Dans un pays où règne ostensiblement le dogme de la souveraineté du
peuple la censure n'est pas seulement un danger, mais encore une grande
absurdité". Aussi faut-il avoir des raisons supérieures, impérieuses
même, pour la contraindre légitimement.
La liberté
de la presse, c’est la liberté d’expression émise par une personne
particulière : le journaliste. La multiplication des organes de presse du
type BFM TV, I-Télé, France Info pousse la presse à divulguer des informations
insuffisamment vérifiées, commettant des erreurs, et mêlant des faits
incertains à des faits avérés. Or, comme le monde politique, le milieu
journalistique n’est pas exsangue de toute critique. La collusion entre les
deux mondes se révèle au grand jour (par sympathie ou par pression). Il ne
s’agit bien sûr pas de condamner toute interaction entre le monde politique et
le monde de la presse (la coexistence est aussi facteur d’échanges utiles). Il
ne s’agit pas de condamner chaque fois que la presse se rend coupable d'erreurs
de bonne foi, on ne produirait qu'un seul effet : la censure de la presse par
son autocensure. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et la
combinaison des articles 4, 10 et 11 de la Déclaration de 1789, présente dans
le préambule de la constitution, sont suffisantes pour protéger et limiter la
liberté de la presse.
Et de l’opinion
publique ?
Le
« non-journaliste » lorsqu’il exprime ses idées dans le cadre privé
n’est voué qu’au courroux de son auditoire (qui semble pourtant être remis en
cause par le décret n° 2017-1230 du 3 août 2017 relatif aux provocations,
diffamations et injures non publiques présentant un caractère raciste ou
discriminatoire), mais qu’en est-il lorsque celle-ci s’exprime en public
(notamment sur internet – la fameuse « opinion publique »). Cette
liberté d’expression devrait être soumise aux mêmes règles que celle de la
liberté de la presse. Dans sa décision du 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel
estime que la protection constitutionnelle de la liberté de communication et
d’expression s’applique à Internet compte tenu du rôle croissant que joue ce
média dans l’accès du citoyen à l’information. Il souligne qu’Internet permet
également, à travers la messagerie électronique, les réseaux sociaux, les blogs
et autres forums de discussion, d’exercer sa liberté d’expression et de
contribuer à la diffusion de l’information et de participer à la circulation et
à l’échange d’idées et d’opinions. De plus, comme le souligne le Comité des
ministres du Conseil de l’Europe dans sa recommandation du 18 février,
l’Internet peut être mis au service du développement de la démocratie par des
outils de démocratie électronique qui peuvent concerner de nombreux domaines
(législation électronique, vote électronique, consultation électronique,
pétition électronique...) et permettre au citoyen de débattre, surveiller et
évaluer les actions de ses représentants. L’information des blogueurs et des
internautes en générale doit être plus poussée afin qu’ils connaissent les
conséquences et les responsabilités de leurs actes. Cette information pourrait
faire l’objet d’une alerte spécifique à chaque entrée sur un site du type de
celle concernant l’utilisation des cookies.
En intégrant
la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 dans le préambule de
la Constitution, les constitutionnalistes ont conféré une force à la liberté
d’expression supérieur à la loi. Pour élargir le sujet, il faudra s’interroger
sur les prérogatives du C.S.A. qui, sous la présidence d’Olivier Schrameck,
tend à devenir un organe de censure influencé par twitter.
Liberté et
responsabilité d’expression
La liberté
d’expression, que ce soit par la presse ou par l’opinion publique doit rester
la libre servante de la démocratie (selon l’expression de Marc-Antoine Dilhac,
professeur agrégé et docteur en philosophie).
Il faut dès
à présent rétablir les libertés fondamentales et la première d’entre
elles : la liberté de pensée, liberté secrète, individuelle. Elle
nécessite un enseignement philosophique : la connaissance de son
libre-arbitre (notamment j’ai le choix de faire le bien ou le mal, c’est un
choix personnel qui n’est pas dicté par une quelconque prédisposition ou
destinée). Elle exige un accès à l’information libre et honnête (l’honnêteté
n’exclut pas l’information subjective).
La liberté
de pensée doit pouvoir s’extérioriser : c’est la liberté d’expression. La
principale limite à la liberté d‘expression est définie par la conscience
individuelle. L’auto-censure est saine lorsqu’elle n’est pas commandée par un
élément extérieur à la conscience. L’autre limite ne peut être définie que par
la loi, mais celle-ci doit être exceptionnelle. Cette limitation ne doit avoir
pour objet que d’assurer la liberté d’expression d’autrui.
En France,
celle-ci est limitée strictement par les infractions de diffamation, d'injure,
de provocation à la haine ou à la violence, ou encore d'apologie du terrorisme
ou du négationnisme. Pourtant, il n’y a jamais eu autant de lois restreignant
la liberté d’expression dans notre pays. Or les Français n’ont jamais autant
été intolérants. La libération de l’expression nécessite d’abord de redonner la
parole aux imbéciles en abrogeant les lois concernées. Ensuite, il convient de
réaffirmer les principes de la loi de 1881. Enfin, concernant internet, il faut
interdire la création de profils anonymes sur les réseaux sociaux, l’anonymat
créant l’irresponsabilité.
Ainsi se
fera la reconquête de la liberté d’expression en France. Mais jamais au grand
jamais, la liberté d’expression ne doit se taire !