«Pourquoi l’irruption de l'IA au sommet de la science est un tournant historique pour la recherche» - Par Laurent Alexandre
L’attribution des Nobel de physique et chimie 2024 marque l'avènement de l'intelligence artificielle comme principal moteur des découvertes scientifiques, analyse Laurent Alexandre. Selon lui, cette évolution soulève des questions éthiques majeures.
Laurent Alexandre est chirurgien urologue et essayiste. Dernier livre paru : ChatGPT va nous rendre immortels (2024, éditions JC Lattès).
Le Nobel de physique 2024 vient d'être décerné à Geoffrey Hinton et John Hopfield, tandis que le Nobel de chimie honore Demis Hassabis et John M. Jumper. Ces deux distinctions attribuées à des figures emblématiques de l'intelligence artificielle (IA) marquent un basculement sans précédent dans l'histoire de la recherche scientifique. Que signifie cette reconnaissance pour l'avenir de la science et des chercheurs ?
Nous assistons à l'avènement de l'IA comme principal moteur des découvertes scientifiques. Geoffrey Hinton et John Hopfield, pionniers des réseaux neuronaux profonds, ont posé les fondations de l'apprentissage profond qui révolutionne notre compréhension du monde. De leur côté, Demis Hassabis et John M. Jumper, à travers les avancées d'AlphaFold, ont résolu le mystère du repliement des protéines, ouvrant la voie à des innovations biotechnologiques sans précédent. Demis Hassabis, responsable de l'ensemble des IA chez Google depuis le 23 avril 2023 est le plus grand spécialiste de la neuro-IA, c’est-à-dire de l'association des neurosciences et de l'IA.
Deux utilisations des IA de Google-DeepMind ont étonné le monde scientifique. AlphaFold a découvert en quelques semaines la structure en trois dimensions de 200 millions de protéines et AlphaMissense permet de déterminer l'impact médical des mutations de notre ADN. Le 2 janvier 2024, John Thornhill explique dans le Financial Times qu'il fallait jusqu’à̀ présent cinq années de travail à un biochimiste pour réaliser la détermination en 3D de la structure d'une seule protéine. Ainsi, l'analyse de 200 millions de protéines par AlphaFold représente l'équivalent du travail d'un milliard de biochimistes humains pendant un an. Sans l'IA, ce travail aurait pris plusieurs milliers d'années à la communauté scientifique mondiale. La recherche pharmaceutique va bénéficier des progrès importants réalisés par Google-DeepMind. Le 20 décembre 2023, Eric Topol publie dans Nature la découverte d'une nouvelle classe d'antibiotiques grâce à l'IA, ce qui n'était pas arrivé depuis trente-huit ans. Le 10 janvier 2024, Demis Hassabis a déclaré que sa nouvelle IA biologique allait réduire de cinq à deux ans le temps de développement des nouveaux médicaments. Une grande vague d'innovations est devant nous et l'industrie pharmaceutique se précipite dans l'antichambre des dirigeants de Google.