Alexandre Stobinsky : «Pour retrouver la crédibilité perdue de la justice pénale, limiter l’individualisation de la peine»

La maladie mortelle du droit pénal n’est pas sa politisation mais son illisibilité, tranche Alexandre Stobinsky, magistrat au tribunal judiciaire de Nanterre. L’instauration de peines planchers, parmi d’autres mesures, permettrait à la justice pénale de retrouver son efficacité.

Les premières semaines de Gérald Darmanin Place Vendôme auront eu le mérite d’une incarnation politique et d’une cohérence enfin retrouvée avec le ministère de l’Intérieur. Le garde des Sceaux semble vouloir réformer un ministère qui, peut-être plus que d’autres, oppose des résistances sous couvert du droit ou en réalité de sa capacité à s’emboliser par sa propre folie normative. Car la maladie mortelle du droit, et du droit pénal en l’occurrence, n’est pas sa politisation mais son illisibilité. Depuis des années, dans une volonté à peine dissimulée de régulation de la population carcérale, le droit de la peine et le droit de l’exécution de celle-ci ont été le symbole d’une incapacité à offrir une réponse pénale intelligible aux condamnés et aux victimes.

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Il est temps de redonner à la peine une crédibilité perdue. Celle-ci ne passe pas nécessairement par une incarcération mais elle est, à l’inverse, largement entamée par l’écheveau des peines alternatives à l’emprisonnement, fruits de réformes législatives successives, contradictoires, ignorantes des précédentes, et croyant en leur propre valeur ajoutée. La détention est devenue l’exception malgré une surpopulation carcérale – certes difficilement acceptable – mais qui n’est, au fond, que la conséquence d’une sous-capacité carcérale. Sursis simple, sursis probatoire, travail d’intérêt général, amende, jour-amende, stages, sanction-réparation : l’arsenal est sans cesse augmenté sans qu’il ne soit interrogé réellement le sens de la peine et donc aussi l’effectivité de son exécution. Comment expliquer que certaines de ces mesures puissent être prononcées, même pour un récidiviste, de manière quasi illimitée par les magistrats ? Même constat sur les mesures éducatives potentiellement inexhaustibles pour les mineurs.

C’est l’individualisation de la peine qui est officiellement et d’autorité opposée. La liberté d’appréciation dont jouissent les juges est partie intégrante de leur office et constitutionnellement protégée. Mais l’individualisation n’est pas le seul élément d’une fixation d’une peine et ne saurait autoriser les excès. Car si le juge est contraint par une limite supérieure – personne ne critique ce principe – pourquoi ne l’est-il pas par une exigence inférieure ? Rappelons-le encore une fois, les peines minimales – dites peines à temps – ont existé entre 1810 et 1994 en France et de très nombreuses démocraties ont instauré des peines minimales obligatoires pour certaines infractions.

Ces peines planchers, notamment pour des délits relatifs aux atteintes à l’État, auraient un autre mérite, celui de rapprocher quelque peu les Français d’une justice qu’ils estiment en deçà de leur besoin d’autorité. D’éviter des incompréhensions sur des décisions qui ont pu choquer l’opinion. Les magistrats renverraient à sa responsabilité le législateur sur la peine minimale que ce dernier a souhaité fixer. Il n’y aurait plus alors de supposé arbitraire d’un juge rouge mais l’application de la volonté de la représentation nationale, dont la légitimité est réelle, plus que jamais. Par ailleurs, il est étonnant que des opposants aux peines minimales ne s’indignent pas des peines obligatoires quand elles sont susceptibles de toucher des adversaires politiques. Et au-delà de l’inéligibilité, les peines imposées au juge existent – parmi d’autres, confiscation d’un véhicule, interdiction de détenir ou de porter une arme – et ne souffrent pas d’inconstitutionnalité, pas plus que les peines planchers réintroduites sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy.

Surtout, c’est de l’égalité des prévenus devant la loi dont il s’agit. L’absence de peines minimales obligatoires renforce considérablement l’aléa judiciaire. Celui-ci, combattu en matière civile, est réel au pénal, d’abord entre les différents tribunaux français, puis au sein même des juridictions, entre les différentes formations de jugement. Pour des mêmes faits, une même culpabilité, une même personnalité, un prévenu sait qu’il ne sera pas condamné à la même peine à Mulhouse, Cahors, Bobigny ou Nanterre. Au sein même d’un quantum de peine encouru, les différences peuvent être considérables mais plus d’instruments sont mis à la disposition des juges, en plus de l’emprisonnement, plus la fortune de la peine est entière et participe à son discrédit. Or le principe de légalité des délits et des peines exige que la loi pénale soit accessible mais aussi prévisible.

Penser par principe qu’une non-incarcération est toujours bénéfique à la réinsertion d’un prévenu plusieurs fois condamné est une chimère. La multiplication des mesures – sursis sur sursis, délais de probation de deux ans ou plus, obligations diverses – peut se révéler un piège pire qu’une sanction immédiate. Certains condamnés veulent parfois passer à autre chose. Certains condamnés ne comprennent pas pourquoi un sursis simple prononcé n’est plus, depuis 2014, automatiquement révoqué quand ils commettent de nouveaux faits. Certains condamnés ont souvent du bon sens.

Car le discrédit de la peine se matérialise surtout par son exécution. L’attente de pose de centaines de bracelets électroniques dans les Bouches-du-Rhône, où il était en déplacement, a indigné le nouveau ministre de la Justice. Mais ces délais ne sont que le résultat de dispositions législatives rendant par principe les peines de moins d’un an aménageables, sans augmentation substantielle par ailleurs du nombre de greffiers, de magistrats, d’agents pénitentiaires. Mettre en place une détention à domicile sous surveillance électronique, c’est une nouvelle ordonnance du juge de l’application des peines, un rendez-vous pour sa pose, un suivi de l’administration pénitentiaire et du juge. Il en est de même pour la peine de sursis probatoire prononcée fréquemment par les juridictions.

Au 31 décembre 2023, il y avait 143.750 sursis probatoires en cours pour lesquels les condamnés doivent répondre à des obligations et interdictions sous le contrôle du juge de l’application des peines. Mais la France compte un peu moins de 500 magistrats chargés de cette fonction. Qui peut prétendre que toutes les détentions à domicile sous surveillance électronique et tous les sursis probatoires sont exécutés à leur juste mesure ? La justice française – malgré une hausse substantielle de ses crédits depuis 2020 – a-t-elle les moyens de correctement appliquer les règles que le législateur a créées et par ailleurs de veiller aux obligations qu’elle-même pose ?

Une fois encore, les chantres de l’individualisation de la sanction ont une conception à géométrie variable de ce principe de détermination de la peine. Éric Dupond-Moretti lui-même, comme solution immédiate à la surpopulation carcérale, força la main des juges de l’application des peines en prévoyant une sortie anticipée automatique des détenus trois mois avant leur fin de peine – avec quelques rares exceptions – sous un régime d’aménagement, quel qu’il soit. Un des effets pervers de la réforme fut d’emboliser les quartiers de semi-liberté et d’y placer des détenus qui ne pouvaient répondre à ce régime de faveur. Et in fine, à les réincarcérer pour certains en maison d’arrêt. Le monstre normatif se nourrit lui-même – le code de procédure pénale en est le triste symbole –, engendre son propre contentieux qui alimente davantage la chaîne pénale, ne faisant qu’accentuer le delta immense et démocratiquement dangereux entre la peine encourue, prononcée et exécutée. L’ancien garde des Sceaux a également mis fin aux crédits automatiques de peine mais a augmenté les réductions supplémentaires de peine, désormais jusqu’à six mois la première année. La peine prononcée est vidée de sa substance.

Gérald Darmanin a toujours eu à cœur de rationaliser l’action de l’État. La justice, malgré ses singularités institutionnelles, ne peut échapper à une telle cure. La crédibilité du droit pénal – et au fond des magistrats qui l’appliquent – ne passe pas par un grand soir. Simplement par un courage politique.

Alexandre Stobinsky: «Pour retrouver la crédibilité perdue de la justice pénale, limiter l’individualisation de la peine»
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