27 décembre 1594 : Jean Chastel tente d'assassiner Henri IV

Le roi de France a réchappé à près de vingt-cinq tentatives d'assassinat, avant celle réussie de Ravaillac en 1610.


Henri IV vient de reprendre Paris à la Ligue, un parti catholique qui s’était rebellé contre le roi protestant. Il descend à l’hôtel de Gabrielle d’Estrées, dans l’actuel 3ème arrondissement. Deux officiers viennent lui rendre hommage. Le roi est entouré de ses courtisans. Comme il est de coutume, les deux soldats posent genoux à terre. Le monarque s’approche d’eux et se baisse pour les embrasser.

C’est à ce moment qu’un jeune homme bondit de la foule des partisans. Il tient en main un poignard et assène un coup en direction du cœur du roi. Mais comme Henri IV s’est baissé, le jeune homme manque sa cible et lacère les lèvres du roi. La violence du coup est si forte qu’elle casse une dent au monarque.

L’homme est arrêté. On découvre rapidement son identité. Il s’agit de Jean Châtel, 19 ans, un fervent catholique. Il a été élève des jésuites au collège de Clermont, l’actuel collège Louis le grand. On arrête ses anciens professeurs, que l’on accuse de l’avoir poussé à commettre sa tentative de régicide.

Les jésuites sont exilés de France. Leur collège est mis sous séquestre et les meubles sont vendus.
Jean Châtel, lui, est écartelé publiquement en place de Grève. Sa maison sur l’île de la Cité est démolie. On construit à la place une pyramide commémorative, qui restera pendant 10 ans, jusqu’à ce que le roi rappelle en France les jésuites exilés.

Le prévôt des marchands, un certain Mirron, la remplace par une fontaine qui porte l’inscription : "Là, s’élevait un monument consacré à éterniser les fureurs du fanatisme, Miron l’a remplacé par une fontaine, dont les eaux pourront servir à effacer les souillures d’un attentat exécrable." Cette inscription a depuis été effacée.

27 décembre 1594. Le jour où Henri IV est poignardé par Jean Châtel

Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Avant Ravaillac, de nombreux assassins ont tenté leur chance pour décrocher le titre envié du plus célèbre régicide de l'Histoire de France. Henri IV aurait survécu à pas moins de vingt-cinq tentatives d'assassinat. Un record ! Les raisons animant ces hommes sont multiples. Il y a ceux qui détestent la poule au pot, d'autres n'apprécient pas ses frasques sexuelles... Mais la plupart lui reprochent son opportunisme religieux qui lui a fait retourner sa chasuble à de nombreuses reprises. Réformé un jour, catholique le lendemain. Et vice-versa. Sitôt après son couronnement, il focalise la haine des fanatiques. Les ligueurs soutenus par le pape et l'Espagne continuent de contester sa légitimité.

C'est ainsi que le 27 décembre 1594, un étudiant de 19 ans nommé Jean Châtel tente de le poignarder. C'est le fils d'un riche drapier de l'île de la Cité à Paris qui a effectué sa scolarité chez les jésuites du collège de Clermont (aujourd'hui le lycée Louis-le-Grand, à Paris). Ceux-ci l'éduquent dans l'aversion du Béarnais.

« C'est vous ou moi qui avons blessé le roi ? »

Châtel ne respire pas l'intelligence. Disons-le carrément, c'est un faible d'esprit. Lui qui se vautre dans la luxure avec des femmes de petite vertu, comme on dit, est très croyant, et se croit condamné à l'enfer. La seule chose qui pourrait l'empêcher de céder à la tentation de la chair, croit-il, c'est de mourir. Mais comment faire ? Le suicide est condamné par l'Église ! Alors, il envisage de perpétrer un crime de bestialité avec une de ces vaches ou un de ces cochons qui traînent dans les rues de Paris. Assistant à une telle scène, la foule ne pourra que l'écharper à mort ! Mais il abandonne vite cette idée, car il en a une bien meilleure ! Pourquoi ne pas assassiner Henri IV pour obtenir son salut ? Il aurait entendu un jésuite dire que le meurtre d'un roi non approuvé par le pape serait une bonne action.

Châtel décide de passer à l'acte dès que possible. Justement, le 27 décembre 1594, il apprend que le souverain est de retour d'un déplacement en Picardie. Il décide de l'attendre devant l'hôtel particulier de sa maîtresse Gabrielle d'Estrées. Bonne stratégie puisque, vers 17 heures, Henri IV, suivi d'une trentaine de gentilshommes, pénètre dans l'hôtel de Bouchage, éclairé par des flambeaux, la nuit étant tombée. Châtel demande à un passant de lui désigner le roi – « C'est celui qui a des gants fourrés » –, avant de suivre le cortège à l'intérieur du bâtiment. Personne ne s'inquiète de sa présence. Le voilà dans la chambre de la belle Gabrielle. Il se glisse au premier rang où il observe deux seigneurs présenter leurs hommages à Henri IV. Quand M. de Montigny plie le genou pour effectuer sa révérence, Châtel brandit un poignard.

Il avait prévu d'atteindre le cœur, mais, comme le roi a conservé un gros manteau, il vise la gorge. Au moment où le poignard file vers sa cible, Henri IV se baisse pour relever M. de Montigny. Ce geste amical lui sauve la vie. La lame ne fait que lui trancher la lèvre et desceller une dent. Croyant à une chiquenaude de sa folle Mathurine, le souverain la gronde de quelques mots. En revanche, Montigny, voyant le roi saigner, s'adresse à Châtel : « C'est vous ou moi qui avons blessé le roi ? » Châtel veut s'échapper. On l'arrête, le frappe. Le voilà ceinturé. Il commence par nier, puis se tait. Pendant ce temps, le roi est conduit dans une autre pièce pour y être pansé. Heureusement, la blessure à la lèvre n'est que superficielle. Il faut néanmoins rassurer la population, la rumeur de l'attentat s'étant vite propagée. Des Te Deum sont chantés dans toutes les églises de Paris. C'est bien joué, car cela cloue le bec aux catholiques extrémistes qui doutent toujours de la foi d'Henri IV.

Les jésuites visés

Jean Châtel est aussitôt emmené dans la prison de For-l'Évêque, à deux pas du Louvre, où il est soumis à la question (la torture). Il avoue tout. Oui, il a voulu tuer le roi ; oui, il a fait ses études chez les jésuites. Inutile d'en dire plus : ceux-ci sont à l'origine du complot, ce sont eux qui ont armé la main de leur élève. Forcément. Tous les Parisiens savent que ces suppôts du pape ont la haine des huguenots. Déjà, en juillet 1594, la Compagnie de Jésus avait échappé à une sentence d'exil grâce à l'intervention d'Henri IV. Cette fois, leur compte est bon ! Même si Châtel jure n'avoir reçu aucune consigne de ses maîtres, les jésuites du collège de Clermont sont tous arrêtés et embarqués dans la nuit. Le lendemain, ils sont libérés, sauf deux : Jean Guéret, l'ancien maître de philosophie du jeune homme, et le bibliothécaire Jean Guignard, qui possède dans sa cellule des écrits injurieux pour le roi. Ce dernier sera pendu le 7 janvier suivant. Le Parlement signifie l'expulsion de tous les jésuites de France le 29 décembre 1594.

Ce même jour, le procès de Châtel est vite expédié par le même Parlement. À l'époque, on ne perd pas de temps en plaidoiries et en appel. Le fils du drapier est dans de beaux draps, il est convaincu du crime de lèse-majesté divine et humaine au premier chef, par le détestable parricide attenté sur la personne du roi. Ce dernier aurait bien gracié le jeune illuminé, mais le Parlement ne veut pas en entendre parler. Les parlementaires le condamnent à « faire amende honorable devant la principale porte de l'église de Paris, nu en chemise, tenant une torche de cire ardente du poids de deux livres, et aller à genoux dire et déclarer que, malheureusement et proditoirement, il a attenté ledit très inhumain et très abominable parricide et blessé le roi d'un couteau en la face ; et être mené et conduit en un tombereau en la place de Grève, tenaillé aux bras et cuisses, et sa main dextre, tenant en icelle le couteau duquel il s'est efforcé commettre ledit parricide, coupée. Et après, son corps tiré et démembré avec quatre chevaux, et ses membres et corps jetés au feu et consumés en cendres, et les cendres jetées au vent »... La sentence est immédiatement exécutée. Le père de Châtel est frappé d'exil du royaume durant neuf ans et à perpétuité hors de Paris et ses faubourgs. Il paie une amende de 2 000 francs et sa maison est rasée. Les ligueurs feront de Châtel un martyr.

Pour remercier Dieu d'avoir épargné la vie du roi, le Parlement organise, le 5 janvier 1595, une procession dans les rues de la capitale. L'accueil des Parisiens n'est pas franchement enthousiaste. Des slogans hostiles accompagnent le carrosse dans lequel Henri IV se tient, renfrogné, un pansement sur la bouche. Seize ans plus tard, Ravaillac se montrera moins maladroit que Châtel.

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