Inscrire le « droit à l’avortement » dans la Constitution : inutile et dangereux - Par Laurent Sailly

Voici pourquoi une telle insertion dans la constitution est juridiquement inutile et socialement dangereuse.


Par 337 voix pour et 32 voix contre, la proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) de la députée LFI Mathilde Panot a été adoptée jeudi 24 novembre lors de la niche parlementaire des Insoumis.

Nous vous expliquons pourquoi une telle insertion dans la constitution est juridiquement inutile et socialement dangereuse.

Tout commence le 24 juin 2022 aux États-Unis lorsque la Cour suprême a renversé sa jurisprudence de 1973 (Roe vs Wade) en matière d’avortement. Cet arrêt (Dobbs vs Jackson women’s health organization) a produit des réactions très vives dans la classe politique conduisant à plusieurs propositions de loi constitutionnelle afin d’inscrire un « droit à l’avortement » dans la Constitution.

Ces réactions sont d’autant plus incompréhensibles juridiquement parlant que personne, dans la société politique française, ne remet en cause l’IVG. Or, invoquer cette décision est hors-sujet car elle concerne le fédéralisme américain. En l’espèce, la Cour suprême des États-Unis se borne à rendre aux États leur compétence en matière d’IVG, elle ne remet pas en cause le fond. Elle ne déclare pas l’avortement anticonstitutionnel mais juge que dans le silence de la Constitution américaine, l’IVG n’est ni imposée ni interdite au niveau fédéral.

L’état du droit positif : la loi Veil

La loi du 17 janvier 1975 sur l’IVG, dite loi Veil, énonce dans son article 1er :

« La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi. »

Il s’agissait d’équilibrer les droits de la mère et ceux de l’embryon. Ce principe posé, la loi Veil l’a assorti de deux exceptions : l’avortement pour cause de détresse enfermé initialement dans un délai de 10 semaines et l’avortement thérapeutique (grave malformation fœtale ou menace pour la santé de la mère) possible jusqu’au terme. La législation française ne reconnait donc pas de « droit à l’avortement », seulement une liberté des femmes de mettre un terme à leur grossesse dans les conditions prévues par la loi.

Au niveau du droit du Conseil de l’Europe, il n’existe pas non plus de « droit à l’avortement ». Au contraire, la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) énonce :

« Le droit au respect de la vie privée ne saurait […] s’interpréter comme consacrant un droit à l’avortement » (CEDH, 16 décembre 2010, A., B. et C. c/ Irlande et 30 octobre 2012, P. c/ Pologne).

D’ailleurs, la CEDH admet que les États peuvent « légitimement choisir de considérer l’enfant à naître comme une personne et protéger sa vie. »

Une révision constitutionnelle inutile

Affirmer le droit à l’avortement dans la Constitution n’aurait absolument aucune conséquence sur le régime juridique de l’avortement fixé par la loi Veil.

Comme pour toute liberté, le régime juridique est fixé par la loi. Un certain nombre de textes sont venus amender la loi Veil, jusqu’à un dernier de mars 2022 (allongement du délai de 12 à 14 semaines). Si le législateur décidait de revenir à 12 semaines, l’inscription du droit à l’avortement ne le lui interdirait pas puisque le législateur aménage les conditions d’exercice des droits constitutionnels.

Dans une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel considère qu’en matière de législation sur l’IVG, comme toutes les questions sociétales (avortement, euthanasie, mariage homosexuel), il ne lui appartient pas de substituer son appréciation à celle du législateur. Par sa décision du 27 juin 2001, il a de plus rattaché à la liberté de la femme, protégée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, elle-même mentionnée au préambule de la Constitution. Ainsi, s’il n’a pas consacré un droit à l’avortement, il le considère comme une des manifestations de mise en œuvre de la liberté constitutionnelle des femmes.

La constitutionnalisation d’un droit à l’avortement conduira à s’opposer à d’autres droits constitutionnels : la liberté de conscience des médecins reconnue comme une liberté constitutionnelle, la liberté personnelle ou encore la protection de la santé publique.

L’un des arguments insistant sur la nécessité de l’inscription de ce « droit à l’avortement » dans la Constitution est fondée sur les difficultés d’accès à l’IVG. Or, cet accès est non seulement organisé par le Code de la santé publique mais garanti par le Conseil constitutionnel qui considère que l’accès aux services d’IVG relève d’une garantie de service public et respecte le principe d’égalité en organisant ces services sur l’ensemble du territoire.

Une révision constitutionnelle dangereuse

Le chemin de l’adoption d’un tel « droit » est encore long.

En effet, une proposition de loi constitutionnelle devra être votée dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat. Or les sénateurs se sont déjà exprimés sur la question le 19 octobre dernier en rejetant – 139 voix pour, 173 contre – un texte similaire porté par l’écologiste Mélanie Vogel.

Hervé Marseille, le président du groupe des sénateurs centristes déclarait dans Le Figaro :

« La plupart de nos parlementaires ont jugé qu’il n’y avait pas lieu d’inscrire l’IVG dans la Constitution. Je ne vois pas très bien pourquoi ils changeraient d’avis en quelques semaines. »

Mais ce n’est pas tout.

Comme l’exige l’article 89 de la Constitution, ce texte devra ensuite être soumis au peuple français qui est le constituant souverain, par une procédure de référendum. Cette proposition risque de créer une grave division au sein de la population française. Il s’agit donc d’un acte majeur et grave du point de vue de la cohésion nationale. L’organisation d’un référendum serait démesurée pour faire adopter un texte sans portée utile dans un pays perclus de problèmes d’une autre urgence.

Le Parlement n’a-t-il rien d’autre à faire ?

Cette révision est dangereuse par son caractère démagogique. Elle consiste à être soutenue par le gouvernement qui ne peut être soutenu par la NUPES que sur des sujets sociétaux et qui trouve là un terrain de gauche à satisfaire… Sur cette affaire comme sur d’autres, la Macronie sacrifie au symbole par calcul ou par posture et diffère le traitement des maux de la société française.

La Constitution n’est pas là pour faire des coups d’éclat symboliques

Rappelons ce que Montesquieu disait des lois et qui s’applique avec plus de force encore à la Constitution, à laquelle on ne doit toucher « que d’une main tremblante ».

Le rythme du législateur n’est pas et ne doit pas être celui de la communication politique. Toucher à la Constitution sur une question sociétale serait l’occasion de toutes les surenchères et de toutes les improvisations.

Cette réforme a clairement été imaginée, au-delà de tout calcul politicien, dans l’émotion de l’arrêt (mal compris en France) de la Cour Suprême (cf. supra) avec une dimension symbolique sans préoccupation de ses conséquences juridiques, politiques et sociales.

L’objet de la Constitution n’est pas celui des lois. La Constitution est faite pour fixer les grands principes.


NDLA : Merci à Anne Levade, à Anne-Marie Le Pourhiet, à Guillaume Drago, à Bruno Daugeron, à Pierre Steinmetz et à Jean-Eric Schoettl dont les enseignements et les lectures ont nourri mes réflexions et m’ont permis de rédiger cet article.

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